Placer le soin psychique au coeur de la cité

Des assises pour se lever. Associations, collectifs et syndicats de la psychiatrie, du médico-social, de l'éducation se sont donnés rendez-vous à la bourse du travail de Paris les 11 et 12 mars 2022 pour ouvrir un débat public face à la déshumanisation du soin.
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Plusieurs réseaux de la psychiatrie, du médico-social, de l'éducation sont vent-debout contre la casse du service public. Cinq cents personnes se sont rassemblées à Paris pour témoigner de la crise de l'accueil et de la déshumanisation du soin, deux cents autres avaient demandé leur inscription, la jauge des locaux a tranché. Patrick Chemla, psychiatre, collectif des 39, rend compte d'une longue et laborieuse préparation faite de rencontres en visio et de contacts tous azimuts et se dit rassuré par cette mobilisation. Delphine Glachant, collectif Printemps de la psychiatrie et présidente de l’Union Syndicale de la Psychiatrie fait état de la dynamique de résistance qui fleurit au sein de nombreuses équipes engagées dans la relation humaine et rappelle l'objectif poursuivi de "revalorisation du soin psychique dans la cité".

Jean-Pierre Martin, psychiatre, Médecins du monde, évoque la symbolique du lieu de ces rencontres, la bourse du travail d’abord, la salle Ambroise Croizat ensuite. Les constats fusent dans les retours d’ateliers sur la perte de sens au travail, l’épuisement, l’entravement de tout ce qui crée du collectif, le pilotage par le chiffre. Cette grande salle Ambroise Croizat dans son ambiance de la fin du XIXème siècle porte le nom associé aux lois d’organisation de la sécurité sociale adoptées en 1947 et c'est bien de sécurité sociale que les discussions ont traité dans ces assises, celle qui est l’affaire de toute la société, celle qui organise la solidarité, répond aux besoins de chacun·e et les sollicite selon leurs moyens, celle qui aujourd’hui est en danger, glissant d’une œuvre collective à un système d’assurance individuelle où les indicateurs chiffrés s’éloignent de plus en plus de la réalité vécue par la population.

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Et de cette réalité, celles et ceux qui étaient là en ont parlé, ils et elles en ont parlé d’abord avec leurs tripes, de leur travail de soignant, d’éduc, de personnel administratif mais aussi de leur vécu, raconté par des personnes qui se sont nommées ou qui ont été nommées par nombre de mots tout au long de ces deux journées : patient·es, bénéficiaires, usagers, psychiatrisé·es, fous, pairs-aidant·es, neuro-atypiques, personnes empêché·es ou personnes concernées.

Dans les dispositifs en vogue qui fonctionnent par appels à projets ces personnes deviennent des flux et des stocks, la souffrance de celles et ceux qui y travaillent comme de celles et ceux qui y sont ciblé·es est rendue invisible dans l'ombre des tableaux de bord réduisant leur existence à la mesure de quelques indicateurs irréels.

Mais tous sont citoyen·es, c’est le point commun qui se dégage, prendre soin c’est l’affaire de toute la société, dans la vie quotidienne mais aussi dans la manière de s’organiser, de financer, c’est une affaire de politique, l’oublier c’est prendre le risque de s’épuiser à traiter les symptômes sans s’attaquer aux causes rappelle Pierre Dumortier, psychologue, commission nationale de psychiatrie de la CGT.

Des citoyen·nes qui ont des droits, acquis pour la plupart dans les grands moments de l’histoire où le projet de société de la république française s’est construit.

Le droit du travail aujourd’hui bafoué, cela a été  illustré au sein des ateliers de ces assises du soin psychique avec des récits des luttes, parfois gagnées, souvent perdues sur la reconnaissance, la valorisation, les conditions de travail mais aussi le droit pour chacun·e à être traité·e dignement même en situation de privation de liberté.

Les questions de mise en isolement, de contention, de contrainte, de consentement sont revenues dans plusieurs prises de parole, des questions d'éthique surgissent quand des participant·es racontent comment ils et elles réagissent au contact de pratiques indignes, inhumaines ou illégales, plusieurs font le lien avec les évolutions sécuritaires dans toute la société avec comme marqueur la loi de Juillet 2011 qui s'adresse aux "70 000 patient·es par an qui souffrent de troubles mentaux rendant impossible leur consentement aux soins".

Sarah Massoud, chargée des fonctions de juge des libertés et de la détention au tribunal judiciaire de Bobigny, syndicat de la magistrature, explique devant cette assemblée que le service public de la justice comme celui de la santé souffre et n'a pas les moyens d'assurer ses missions. Elle rappelle que la France a été plusieurs fois condamnée par la cour européenne des droits de l'homme pour indignité dans la prise en charge des patients. La magistrate note toutefois que l'ordonnancement juridique a évolué au cours des dernières années en faveur du droit des patients avec un affichage des garanties qui leur sont accordées. Cet affichage, dit-elle, doit être nuancé par l'incapacité structurelle de l'institution judiciaire à l'assurer et ensuite par le fait que ces garanties se confrontent avec la notion d'ordre public que les autorités administratives manient avec largesse.

Essaimer le débat par la culture et l'éducation populaire

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"Créer du maillage, un tissu qui va tenir. On entre, on sort, c'est ouvert" , "mutliplier les points d'appui, inviter des gens de la culture", "assises citoyennes, la question citoyenne reste à construire, comment l'amener sur la place publique ?", "Rendre les choses plus repésentables". L'envie de porter le débat dans la société s'exprime dans les ateliers, les tables rondes et les plénières.

La nécessité de sortir de l'entre-soi est répétée, le langage spécialisé est un frein, ici-même pendant ces assises des explications furent nécessaires d'une spécialité à l'autre, la litanie des acronymes et des expressions en usage au sein de cercles restreints jetait de temps à autre son brouillard de confusion. Le constat est fait, un film, un sketche, une conférence gesticulée, un théâtre-forum sont plus percutants qu'un argumentaire finement ciselé. Les appels à la créativité, à l'initiative locale sur la base des difficultés vécues, défilent au micro. Louise Dubet, psychologue, CMPP SNCF convoque le monde de la culture et de l'éducation populaire "Toucher tout le monde avec nos récits, nos chansons, nos vidéos".

Faire un tour de France des secteurs psychiatriques, interroger la place du soin psychique partout, poursuivre la dynamique des collectifs et des luttes dans tous les espaces mais aussi se fédérer et peser sur le débat politique, comment ne pas s'épuiser ?

Le volontarisme s'affiche, peut-être entraîné par la magie du moment, certain·es en sont conscient·es et le disent, il faut s'organiser, il faut se soutenir car dans la dure réalité des situations qui seront mises en lumière quelques un·es seront en position de lanceur et lanceuses d'alerte. Cela nécessite l'existence d'un collectif qui prendra soin de celles et ceux qui deviendront des cibles.

"Faire oeuvre ensemble"  cette citation est lancée comme un slogan, pour montrer l'envie d'être là, d'en être, qui transparaît de ces rencontres. C'est une citation de Lucien Bonnafé, dont parle le film "les heures heureuses" réalisé par Martine Deyres. Une projection était au programme de ces assises pour se replonger dans l'histoire de l'hôpital psychiatrique de Saint Alban en Lozère où Lucien Bonnafé, François Tosquelles posèrent les bases de la psychothérapie institutionnelle. Jean Oury, Frantz Fanon et bien d'autres viendront y faire leur internat. Le film va, comme les miltant·es ,silloner les routes de France avec sa sortie en salle dès le mois prochain.

Un film de Martine Deyres

Pendant la seconde guerre mondiale, 45 000 internés sont morts dans les hôpitaux psychiatriques français. Un seul lieu échappe à cette hécatombe : l’asile d’un village isolé du centre de la France. À Saint-Alban, soignants, religieuses et malades ont travaillé côte-à-côte à la survie de tous pour tous. Sur fond de résistance active, les médecins ont entraîné toute une communauté dans l’élaboration d’une nouvelle conception de la psychiatrie et de la place du fou dans la société

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Les discussions se poursuivent dans la rue du chateau d'eau pendant que les musicien·nes de Fanfartos rechargent leur matériel au son d'une dernière samba. Les cartons de livres bien empilés contre la vieille façade de ce monument du mouvement ouvrier vont rejoindre leurs étagères dans l'attente de la prochaine manifestation. Une rangée de véhicules des forces de l'ordre est postée le long du trottoir. Déjà la confrontation ?

Pas vraiment ! À quelques encablures de là sur la place de la République, la manifestation pour rappeler l'urgence climatique se termine, des drapeaux ukrainiens flottent, confirmations que nous vivons dans une société en crises.

 

assises citoyennes du soin psychique à la bourse du travail de Paris - mars 2022

Revoir les plénières en vidéo

Les captations de la séance d'ouverture et des deux tables rondes sont disponibles sur les sites du Printemps de la psychiatrie et du collectif des 39.

Une réunion ouverte aux participant·es pour formuler des conclusions d’étape des Assises et pour préparer les suites aura lieu le 10 avril 2022

à AERI-Montreuil de14h à 17h

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assises citoyennes du soin psychique à la bourse du travail de Paris - mars 2022