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Question de genres : quelle place dans un centre de ressource de formation en travail social ?
Loreline est co-responsable du Centre De Ressources de l’organisme de formation des Ceméa Occitanie. Il est aussi en formation DEJEPS et porte une attention militante toute particulière, aussi parce qu'il est concerné, aux questions de dominations liées au genre, aux féminismes et à l’invisibilisation des minorités. Nous l’avons rencontré pour Délié. Entre analyse intellectuelle et perception sensible, se pose la question de la place du genre pour les futur·e·s travailleurs-ses sociaux·ales. Extrait d’interview.
Média secondaire

Est- ce que tu peux te présenter ?

Loreline, 28 ans cette année. Je suis entré en apprentissage DEJEPS, parcours Projet Développement Territoire et Réseaux. C’est dans ce cadre que je suis en alternance aux Ceméa et plus particulièrement au Centre De Ressources (CDR). Mon poste au CDR est plutôt dirigé sur la vie apprenante1. Je collabore avec Maëlle2 qui est plus sur la question du fonds documentaire et des ressources.

Quand on est deux, et qu’on nous dit “les filles”, il y a une forme de violence, parce qu’il n’y pas de remise en question de la personne

As-tu un regard particulier sur la manière dont le genre est traité ou non dans le centre de formation et quand on parle de genre, qu’est-ce que cela inclut pour toi dans une formation professionnelle du social3 ?

Cemea

Pour moi, quand on parle de genre en formation, ça inclut la visibilisation. Donc nécessairement le fait que lorsque l’on cite des textes, des penseurs, des pédagogues, lorsque l’on invite des travailleurs·euses du social en fait il y a des hommes et des femmes, des personnes non binaires … Même si je sais que d’un point de vue générationnel ça peut être plus complexe. Donc déjà il y a cette question-là de la visibilisation et de la sensibilisation. Parce que, malgré tout on est formé à des métiers de l’accueil, de la compréhension des publics et si on a pas cette sensibilité de la question du genre, aujourd’hui on rate quelque chose.

Est-ce qu’être interpellé par son genre peut constituer une forme de violence ?

C’est des histoires de ressenti personnel. Moi, typiquement quand on est deux, et qu’on nous dit “les filles”, il y a une forme de violence, parce qu’il n’y pas de remise en question de la personne. Enfin, tu vois, on est autant … Bon, je suis pas un garçon, donc c’est aussi ce qui entre dans la complexité de mon genre. Et de comment je le communique aux autres. À partir de là ça devient un peu violent. Au bout de la deuxième fois, t’as la flemme de reprendre la personne. Y’a des personnes qui me disent “je comprends pas, je le dis jamais, et quand t’es là, je le dis”. Des fois ton cerveau ne veut pas le dire, et processus inverse, Programmation Neuro Linguistique et le cerveau fait comme il peut. Mais c’est complexe la question du genre. Je n’ai pas de côté fataliste, loin de là parce que je sais que ce sont des questions qui se posent. Chez certains stagiaires notamment. Il y en a un·une avec qui j’ai eu des discussions par rapport à ça. Iel voulait savoir si être “out” au centre de formation c’était “OK”. Le problème c’est que moi, ma réponse c’est “ça dépend avec qui”. Et si “ça dépend avec qui”, globalement c’est plutôt non !

Je me souviens d’une fois, je ne saurais jamais si c’était de la maladresse ou non, où, pour un rappel à l’ordre parce que je discutais en formation, on était deux et on nous a appelé “mesdemoiselles”... Ça faisait trois mois que l’on était en formation et la personne avait plutôt pour habitude de bien me genrer. Parfois ce n’est pas conscient mais c’est aussi un système de punition, parce que le dominant peut le faire à ce moment. Et c’est très loin d’être confortable. Après quand t’as mon aisance à l’oral, pour se placer dans un espace, ça pose pas de problème. Moi on m’appelle “mademoiselle”, je ne bouge pas en général.

Quand tu dis visibilité de la question du genre, des auteurs, autrices, et intellectuel·les non binaires, est-ce que tu veux dire que c’est la question du genre à mettre en avant ou la question des minorités qui produisent de la ressource ?

Bah, je pense que c’est les deux. Parce que, quand on visibilise, si l’on parle du féminisme, des femmes blanches qui écrivent sur le féminisme depuis 70 ans et sont déjà ultra connues depuis des années, tu visibilises une vision du féminisme. Et c’est quand même dommage, quand tu parles d'émancipation et de pouvoir d’agir, il faut donner à voir tout ce qui existe, pas qu’un petit bout de la lorgnette. Aujourd’hui on sait qu’il y a des questions d'intersectionnalité, donc en plus des questions de genre, des questions de race, de milieu social qui entrent en carrefour. Et on ne peut plus se permettre de ne donner qu’une vision.

Quand je parle visibilité, je parle du fait de « donner à voir » différentes réalités. Je m’explique je pense qu’aujourd’hui c’est politique et nécessaire de penser la pluralité des expert·es qu’on présente, que les profils soient variés et que ce soit mis en avant. Mais c’est aussi adopter des pratiques de langage inclusive pour éviter que les projections soient binaires et genrées.


  1. La vie étudiante des stagiaires de la formation
  2. Maëlle Gutierrez, co-responsable du CDR des Ceméa Montpellier.
  3. Je précise que j'englobe les métiers de l’animation professionnelle dans une activité qui peut-être regroupée sous la terminologie générique de travail social.

Crédit photo: Loreline