Jeunes migrants : la question du langage et de la culture

Dans l'accompagnement des jeunes migrants, la question de la santé mentale est essentielle. une psychologue témoigne à travers l'exemple de la situation d'un jeune.
Média secondaire

Jeunes migrants : la question du langage et de la culture

J'ai repris l'écrit de Fatima parce que moi aussi, je travaille dans une MECS comme elle et c'est important, tout ce qu'elle a décrit mais c'est vrai que les jeunes exilés qui sont placés dans les MECS ne le sont pas pour les mêmes raisons que les autres enfants ou jeunes qui ont été retirés de leur familles.

Ce n'est pas le même public : par leur histoire mais aussi, dès leur arrivée, ces jeunes exilés sont dans l'observation de l'autre, du lien entre les jeunes accueillis et leur rapport à l'adulte. Ils sont bien souvent très choqués par exemple, du manque de respect. C'est la première chose que les ados vont me dire, c'est comment les enfants parlent aux adultes. Il y a aussi des différences autour des liens précoces. Enfant, ils n'ont pas forcément été entachés par la maltraitance familiale. Je parle là surtout des adolescents qui arrivent sur le sol français. Les petits exilés qui sont nés pendant le parcours migratoire ou qui ont très peu vécu sur leur sol d'origine, ont des souffrances psychologiques différentes, voire d'autres pathologies.

Moussa, 7 ans

Je pense à un enfant que nous avons accueilli, qui est né durant la traversée migratoire. Il vient du Nigeria et il est né en Espagne. Il était accompagné à ce moment-là par sa mère et un frère qui est né au pays et qui a deux ans de plus. Dans un premier temps, Moussa est orienté au foyer de l'enfance du Département, avec son frère. Après quelques mois, Moussa arrive dans la MECS ou je travaille. C'est un enfant vif, intelligent, qui s'exprime très clairement en Français. Là, aussi, c'est un travail qu'on va faire avec l'équipe, c'est que l'écart est très grand entre la facilité de son expression et le manque d'épaisseur de la langue, en tout cas, de l'histoire du mot. Très souvent, il va avoir des interprétations de ce que l'on veut dire qui vont beaucoup le persécuter. C'est un travail qui est réfléchi beaucoup avec l'école. Tout à coup, il réagit violemment à des expressions qu'il ne comprend pas. On a mis longtemps, par exemple, avec cette expression "avoir peur du noir" : il ne voulait surtout pas être noir alors on a cherché et en fait, il avait entendu un enfant du groupe qui avait peur du noir. Cet été, c'était "les coups de soleil". Il avait très très peur du soleil.

On voit bien que cela réactive , chez des enfants qui appréhendent l'autre des effets de persécution importants. Il y a l'illusion de la langue et après sa compréhension. Moussa se sent persécuté, par les enfants, par les adultes. Il va avoir des passages à l'acte très violents. Comme pour chaque enfant accueilli, nous nous mettons en quête de l'histoire du jeune. C'est très important d'en savoir quelque chose.

La mère est hébergée de temps en temps chez une amie, autrement elle est dans la rue et elle vient rendre visite à Moussa. On remarque très rapidement qu'ils ne se comprennent pas : une langue les sépare, le Français. la mère ne parle pas le Français et Moussa ne comprend pas une autre langue. Quand la mère le reçoit, son premier geste c'est de le crémer, de le peigner. Moussa résiste, il ne supporte plus ce toucher de peau à peau sans un mot. la mère de Moussa semble résignée, épuisée. A la suite de cette observation et d'un travail en équipe, la présence de l'éducatrice devient indispensable lors de ces visites. Elle parle anglais, donc elle interprète les mots et met en mots les gestes du lien mère-enfant. Dès la première rencontre, à la vue de sa mère, Moussa vient se coller à son sein, il s'accroche, s'emprise, il vient l'en-têter, il veut détruire le sein de sa mère, frappe. Dans les mois qui ont suivi, Moussa a pu dire que lorsque on frappait sa mère, il était accroché au sein. On perçois bien comment, pour Moussa, le sein de vient son point de salut, une accroche psychique, face à l'anéantissement. Pour résister à l'abandon, la question de cet attachement devient très importante. Dans l'institution, tout le monde se plaindra de ses morsures. C'est un enfant qui va être hospitalisé régulièrement en pédopsychiatrie et on va entamer, évidemment un travail avec leur service.

La connaissance de la culture nécessaire

Si je reprends ce que dit Fatima concernant le manque de soins psychologiques apportés aux jeunes migrants, j'ai envie de répondre que la psychiatrie et la pédopsychiatrie ainsi que des lieux de consultations, sont saturés. Pour tous les enfants que nous accueillons, c'est un dilemme, L’État ayant sacrifié l’hôpital psychiatrique et tout le travail de secteur. On en paye les conséquences tous les jours. Nous n'avons pas le choix, lorsque nous accueillons un enfant, un jeune, dans notre structure, il va falloir penser l'institution pour penser le sujet. Quand on accueille un enfant à la MECS, nous nous mettons en lien avec ceux qui l'ont connu : la famille ... puis en équipe, on va se mettre en lien avec un interprète si nécessaire, prendre connaissance de la culture du pays, rencontrer des médiateurs culturels. C'est une nécessité pour nous dans l'équipe pour déjà commencer à comprendre dans quel bain de langage est l'enfant.

Un enfant, qui est guinéen, son père l'a extrait (il l'explique comme ça) de Guinée, à cause d'Ebola. Il est venu chez une tante (en France) et il est maltraité.. C'est un enfant qui est d'abord accueilli en urgence au foyer de l'enfance, et après 8 mois, il arrive à la MECS. Quand je prends contact avec le foyer de l'enfance, les collègues me disent qu'il a perdu sa mère et qu'ils ont essayé de travailler avec le père à distance pour lui signifier la perte de sa mère. Son père lui a donc dit que sa mère était décédée et l'enfant était en souffrance. Lorsque je rencontre cet enfant avec l'éducateur, je me mets en contact avec Guinée-France et grâce au réseau je rencontre un médiateur culturel qui m'explique que la mère dont il parle n'est pas forcément sa mère biologique et qu'il est important de remettre les choses en lien et en place.

Il a été élevé certainement par un groupe de femmes, mère et tantes. On contacte donc le père et on lui demande, quand il arrivera en France (lors d'une de ses visites), d'amener des photos. Lors des entretiens entre le père et l'enfant, quand nous demandons au père de montrer la photo de la mère décédée, l'enfant dit qu'il ne connaît pas cette femme. Il a été élevé par une tante, qui, pour lui, est sa mère. On voit bien comment, aller chercher et en comprendre quelque chose peut nous éviter le pire. Cela nous a paru énorme quand on l'a appris, par rapport à l'impact sur l'enfant. Les collègues, auparavant, ont pensé franco-français, culture judéo-chrétienne. La question du langage et de la culture est quelque chose d’extrêmement important.