Cause Majeur ! Pour que la protection de l’enfance ne s’arrête pas à 18 ans

Entretien avec Florine Pruchon, responsable plaidoyer de l’association SOS Village d’enfants France et coordinatrice du collectif Cause Majeur !
Média secondaire

Si les enfants sont protégés par les lois et dispositifs, que se passe-t-il à leurs 18 ans ? Trop souvent aujourd’hui, ils sortent des dispositifs d’aide alors qu’ils n’ont pas encore acquis les moyens nécessaires à une autonomie, qu’elle soit affective, financière, professionnelle... « Comment demander à ceux qui ont eu le plus de difficultés durant leur minorité d’être autonomes plus vite que les autres ? » nous dit Florine Pruchon, coordinatrice du collectif Cause majeur ! . Elle témoigne ici des actions de ce collectif, pour les jeunes.

Cause Majeur !

Qui êtes-vous,  Florine Pruchon ?

Je suis la responsable plaidoyer de l’association SOS Villages d’Enfants France et je suis également la coordinatrice du collectif Cause Majeur ! dans lequel les CEMEA sont impliqués. SOS Villages d’Enfants a initié ce collectif en 2018 et en assure la coordination.

Qu’est-ce qui a provoqué la création de ce Cause majeur ?

Les premières prémices datent de septembre 2018. On a constaté ensemble que la question des jeunes majeurs constituait un angle mort des politiques publiques et qu’il n’y avait pas vraiment d’interlocuteur au gouvernement sur ces questions. Si on veut que le sujet émerge, il est important de se structurer et de travailler avec d’autres pour porter ensemble des recommandations. Pour cela, on s’est dit que ce serait intéressant de créer un collectif, qu’on a appelé Cause Majeur !. 
Nous avons souhaité que ce collectif rassemble des associations de protection de l’enfance, de jeunesse, des personnalités qualifiées et des jeunes. La volonté d’ouvrir sur les enjeux de jeunesse de manière plus globale était forte.

Nous souhaitons aborder le jeune dans sa globalité, avoir une vision du jeune dans la société et sortir de la logique des silos du jeune accueilli en protection de l’enfance. Avant d’être en protection de l’enfance, il s’agit toujours d’un jeune qui vit dans la société avec des problématiques de jeune.

Notre objectif est de remettre les jeunes au coeur des politiques publiques, principalement les jeunes majeurs, issus de la protection de l’enfance (à la fois les jeunes qui ont été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, comme ceux venant de la protection judiciaire de la jeunesse) mais aussi plus globalement, tout jeune pouvant être en situation de vulnérabilité entre 18 et 25 ans.

Notre collectif milite plus largement pour une prise en compte globale des jeunes en situation de vulnérabilité et s’engage à s’assurer que leurs droits fondamentaux soient connus et respectés de manière identique sur l’ensemble du territoire national, y compris en outre-mer.

Cause Majeur ! plaide pour une inclusion pleine et entière de chaque jeune majeur dans la société et veille à la cohérence, à l’harmonisation et à l’efficacité des politiques publiques concernant tous les jeunes.

Quelle est votre position concernant la diminution, quand ce n’est pas la suppression, des « contrats jeunes majeurs » ?

Initialement, il est important de rappeler qu’on parle d’Aide Provisoire Jeune Majeur (APJM), qui peut être proposée au jeune à sa majorité et cela jusqu’à 21 ans. 

Cependant, on constate des inégalités entre les territoires en terme d’accompagnement de ces jeunes tant dans les modalités d’accompagnement offertes que dans la durée de cet accompagnement. 


A Cause Majeur !, on va plus loin. Nous plaidons pour que soit proposé à chaque jeune un Projet d’Accompagnement Vers l’Age Adulte dans la continuité de son Projet Personnalisé pour l’Enfant qui est mis en place par la protection de l’enfance. Cet accompagnement doit être co-construit avec le jeune, il doit être individualisé, évolutif et gradué pour lui permettre de sortir de manière sécurisée de la protection de l’enfance en respectant ses besoins, sa temporalité, son degré d’autonomie et ses potentialités.

Pour nous, ce Projet d’Accompagnement vers l’âge adulte est un socle d’appui pour l’inclusion du jeune dans la société et pour qu’il ait accès à des ressources suffisantes, à un logement stable, aux soins, à la construction et à la poursuite d’un parcours professionnel, à la culture et aux loisirs.

Pour nous, ce qui est vraiment important dans ce Projet d’Accompagnement Vers l’Age Adulte est qu’il soit basé sur un socle de suppléance parentale. L’accompagnement socio-éducatif du jeune doit être au coeur de ce projet.

D’autant plus que l’autonomie se construit lentement …

On connaît les chiffres de  l’INSEE : l’âge moyen de la décohabitation en France (l’âge moyen où les enfants quittent le foyer de leurs parents pour être autonomes) est de 24 ans aujourd’hui. Comment demander à ceux qui ont eu le plus de difficultés durant leur minorité d’être autonomes plus vite que les autres ?

Quelles sont vos actions ?

L’action principale de Cause Majeur ! est le plaidoyer. Cela consiste à influencer les pouvoirs publics pour mettre la question des jeunes majeurs au coeur des politiques publiques.

Par ailleurs, on a construit ce Projet d’Accompagnement Vers l’Age Adulte présenté précédemment  avec des recommandations très précises, très claires sur chacun des facteurs d’inclusion que j’ai cités tout à l’heure. On porte ces propositions auprès des ministères concernés, des parlementaires et on intervient aussi dans le débat politique sur des sujets qui nous concernent comme le Contrat d’engagement Jeune ou encore le projet de loi Enfance qui est en cours d’élaboration au Parlement.
On a aussi travaillé sur le projet de loi de finances 2022 et 2021.

Notre second volet d’action consiste en l’organisation de sessions d’’échange de pratiques. En effet, il nous semble important aussi d’échanger entre nous sur nos pratiques et voir comment les faire évoluer.

Le troisième volet consiste à communiquer en s’appuyant notamment sur les médias et en produisant des communiqués de presse pour interpeller sur nos sujets. Les médias sont d’un grand soutien pour porter cette cause. Pour donner une idée : entre janvier et juillet on a eu une trentaine de relais dans la presse nationale, spécialisée comme locale.

Qu’est-ce que vous diriez à un jeune éducateur qui commence à travailler ?

Prenez le temps d’échanger avec le jeune sur son projet, ses envies et surtout ne fermer pas le champ des possibles. Je pense notamment à la question de l’orientation scolaire : les éducateurs savent que ces contrats jeunes majeurs sont compliqués à avoir et ils peuvent parfois, dans une logique d’insertion rapide, orienter un jeune par défaut pour être sûrs de le sécuriser. En échangeant avec les jeunes, il m’est arrivé d’entendre plusieurs d’entre-eux qui ont eu une orientation « subie » : « on m’a orienté »  et non « je me suis orienté»….

Il est vraiment important de laisser du temps au jeune et surtout de l’associer à son parcours, de prendre en compte sa parole pour l’ensemble des décisions qui le concerne Il nous semble également important de pouvoir garantir à chaque jeune, accueilli en protection de l’enfance, un droit au retour, à l’erreur et à l’expérimentation.