LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Justice des mineurs, aide sociale à l'enfance, des politiques à repenser

Interview croisée entre Kim Reuflet, conseillère à la cour d'appel d'Angers, et Lyes Louffok, référent protection de l'enfance dans un hôpital parisien.
Média secondaire

Quel était l'esprit de la proposition de loi sur la justice des mineurs déposée en mai dernier par Gabriel Attal ? 

Kim Reuflet : La philosophie globale du texte était de renforcer la répression des mineurs auteurs de délits, d’accroître la sévérité des peines et d’accélérer la justice dans l’objectif de sanctionner. Une idée de l’autorité fondée sur la répression. En censurant six articles très problématiques du texte, le Conseil constitutionnel fait un rappel très ferme aux principes qui irriguent la justice des mineurs : la primauté de l’éducatif sur le répressif et l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs. Ce dernier est un principe constitutionnel protégé par la Convention internationale des droits de l’enfant selon laquelle un enfant n’est pas un adulte et qu’il convient de lui appliquer une justice adaptée. Il ne s’agit pas de sanctionner un mineur avec une peine très sévère mais de l’éduquer avant tout. Ce texte avait la particularité d’avoir suscité l’opposition de tous les professionnels de la protection de l’enfance – les éducateurs, éducatrices, magistrats, magistrates, avocats, avocates, etc. – car il ne répondait pas aux difficultés que connaît la justice pénale des mineurs. 

Lyes Louffok : L’impératif de visée de relèvement éducatif est un principe fondamental de la justice des mineurs sauvegardé grâce à cette décision du Conseil constitutionnel. L’esprit de la loi adoptée au Parlement rejoint tous les aménagements qui ont pu être faits ces vingt dernières années sur la justice pénale des mineurs. Un état d’esprit tourné vers le répressif. Pourtant, après la Seconde Guerre mondiale, l’ordonnance de 1945 considère les enfants en conflit avec la loi comme étant en danger, des enfants qu’il faut donc protéger. Une doctrine en lien avec les valeurs républicaines : des valeurs d’émancipation et de respect des droits humains. Mais petit à petit, la bataille culturelle qui consiste à considérer les enfants en conflit avec la loi comme étant avant tout des enfants en danger se perd. Des propos de plus en plus violents à l’égard de la jeunesse sont tenus. Parfois, elle est même qualifiée de horde de barbares.

Investir dans la prévention c’est faire en sorte que des mineurs qui présentent des facteurs à pas dans la délinquance. C’est éviter le passage à l’acte coûteux pour la victime, les mineurs eux-mêmes, les familles et la société.

En quoi le développement d’une politique de prévention est-elle une réponse plus adaptée ? 

K.R. : La politique de prévention est plus adaptée car, par définition, elle évite le passage à l’acte. Investir dans la prévention c’est faire en sorte que des mineurs qui présentent des facteurs à risque ne tombent pas dans la délinquance. C’est éviter le passage à l’acte coûteux pour la victime, les mineurs eux-mêmes, les familles et la société. Mettre de l’argent dans l’enfermement coûte beaucoup plus cher que dans des éducateurs et éducatrices de rue qui jouent un rôle essentiel de repérage et d’accompagnement des jeunes et des habitants des quartiers. Mais la prévention spécialisée, située dans les quartiers défavorisés, est un secteur qui souffre d’une insuffisance de financement. 

L.L. : Avec l’augmentation de la pauvreté, il y a de plus en plus de familles, de parents, en couple ou isolés, qui sont en difficulté pour satisfaire les besoins fondamentaux de leurs enfants. Ils ont du mal également à fournir un cadre de vie qui favorise leur bien-être et leur développement dans de bonnes conditions. Il est évident qu’il faut renforcer considérablement l’accompagnement des familles dans un objectif certes de prévention mais aussi de repérage précoce pour pouvoir apporter ensuite toutes les réponses. Si les budgets en matière d’aide sociale à l’enfance augmentent d’année en année, c’est une réalité mathématique, ils n’augmentent jamais proportionnellement aux besoins. Les premiers budgets qui font l’objet de baisses de crédit sont les actions de prévention notamment les actions à domicile. Or, la prévention doit être menée au sein des familles mais aussi dans nos institutions y compris quand les enfants ont déjà une mesure de protection qui a été prononcée par la justice. Mais pour faire de la prévention, encore faut-il avoir des données. Par exemple, nous n’avons pas de statistiques sur les motifs de placement des enfants dans le système de protection de l’enfance en cas de défaillance des parents ni d’informations sur comment se matérialisent les négligences. Pourtant, ce sont des éléments très importants pour cibler les actions.

Aujourd’hui, on est dans une tension permanente entre une justice qui n’a pas les moyens de fonctionner correctement et une Aide sociale à l’enfance qui n’a pas les moyens de répondre aux attentes.

Quel est le rôle d’un juge pour enfant ? 

K.R. : Sa fonction est de prononcer des mesures de protection de l’enfance dans des situations prévues par la loi après avoir organisé un débat contradictoire. Le juge a un rôle procédural et doit permettre à chacun de donner son avis, de s’exprimer, de se défendre, de débattre des éléments du dossier pour in fine prononcer la mesure de protection adaptée pour protéger un enfant en situation de danger. Son deuxième rôle est de sanctionner un mineur qui a commis un délit avec une sanction éducative ou une peine qui à la fois sanctionne l’acte et permet l’éducation, l’insertion du mineur et la réparation du dommage.

L.L. : C’est d’abord appliquer les lois protectrices pour les enfants et veiller à ce que leur intérêt supérieur passe systématiquement avant tout autre considération qu’elle soit institutionnelle, gestionnaire ou organisationnelle. L’intérêt de l’enfant doit primer sur toutes autres considérations. Aujourd’hui, on est dans une tension permanente entre une justice qui n’a pas les moyens de fonctionner correctement et une Aide sociale à l’enfance (ASE) qui n’a pas les moyens de répondre aux attentes.

La principale diffifficulté rencontrée par la justice des mineurs est l’inexécution des mesures de protection de l’enfant, qu’il s’agisse des mesures de soutien éducatif à domicile ou des mesures de placement.

Quelles sont les principales difficultés auxquelles est confrontée la justice des mineurs ? 

K.R. : La situation est catastrophique au civil comme au pénal. La principale difficulté rencontrée par la justice des mineurs est l’inexécution des mesures de protection de l’enfant, qu’il s’agisse des mesures de soutien éducatif à domicile ou des mesures de placement. C’est d’autant plus catastrophique que la justice civile est là pour agir en amont normalement. Concrètement, un enfant qui subit des violences dans sa famille a un fort risque d’y rester. Des milliers d’enfants sont dans cette situation aujourd’hui. On manque de familles d’accueil, de maisons d’enfants et d’éducateurs et d’éducatrices pour accueillir en milieu ouvert. Une étude du Syndicat de la magistrature, « La justice protège-t-elle les enfants en danger ?», publiée en mai 2024, montre que plus de deux tiers des juges avaient déjà renoncé au moins une fois à une mesure de placement parce qu’ils savaient que la mesure ne serait pas exécutée par le département. Ces difficultés systémiques sont dramatiques pour les enfants et insupportables pour les travailleurs et travailleuses des droits de l’enfant. Souvent, on en arrive à prononcer des placements parce que des mesures éducatives n’ont pas été réalisées. Les parents n’ont pas été aidés à remédier au problème. La justice pour mineurs se heurte aussi aux difficultés de recru- tement des personnels qui font de la prévention. Le métier n’est pas attractif car les conditions de travail sont dégradées avec une multiplication des situations, une file d’attente des mesures de protection de l’enfance et une perte de sens du métier. Au pénal, les difficultés sont les mêmes sauf que les mineurs sont dans des passages à l’acte avec des victimes. En restant dans leur famille, la situation des mineurs se dégrade jusqu’à ce que, parfois, cela se termine par la prison. Et lorsque les enfants atteignent leur majorité, beaucoup n’ont rien, sont rejetés, en rupture, sans ressources suffisantes. La loi Taquet1 a essayé d’améliorer la situation des en- fants placés en proposant davantage de contrats « jeunes majeurs ». Mais faute de financement et de places, des départements proposent des contrats extrêmement courts de trois mois ce qui n’est pas du tout suffisant pour construire un parcours d’insertion. Il est impératif de proposer beaucoup plus à ces jeunes que cela soit en amont ou en aval. 

L.L. : Cela fait très longtemps que les magistrats et magistrates alertent sur le fait que quand une décision judiciaire est prise, soit elle n’est pas exécutée, soit elle met très longtemps avant de l’être. C’est une atteinte aux droits procéduraux mais aussi une atteinte aux droits fondamentaux, vitaux puisque quand des décisions ne sont pas exécutées, ce sont des enfants en danger qu’on laisse en danger. Et on s’étonne que les situations se détériorent et que ces enfants soient plus tard potentiellement en conflit avec la loi. De qui se moque-t-on ? Il appartient à la puissance publique d’apporter aux enfants dont elle a la responsabilité ce que n’importe quel parent a l’obligation d’apporter à son enfant. Ce n’est pas répondre seulement aux besoins matériels mais c’est également répondre aux besoins affectifs et psychologiques.

Il appartient à la puissance publique d’apporter aux enfants dont elle a la responsabilité ce que n’importe quel parent a l’obligation d’apporter à son enfant.

Quelles sont les mesures à adopter en urgence ? 

K.R. : Mettre la main au portefeuille en priorisant la justice civile à l’enfermement des mineurs. Renverser la priorité gouvernementale axée sur la répression qui, au final, est plus coûteuse pour la société et les individus. Agir en amont dans des mesures de prévention et de protection, financer les mesures de protection de l’enfance, assurer une meilleure égalité sur le territoire pour les enfants en danger dans leur famille, faire en sorte que les fratries ne soient pas séparées, maintenir les liens quand ils doivent l’être avec les parents et frères et sœurs. C’est aussi mettre le paquet sur la pédopsychiatrie, avoir des infirmières et psychologues scolaires. Il faut une remobilisation de tous les services publics de l’enfance et repenser toute la politique de l’enfance. 

L.L. : Il faut rendre obligatoire, pour chaque enfant placé, l’assistance d’un avocat qui va veiller à ce que les droits du mineur soient pleinement respectés. C’est un interlocuteur digne de confiance, qui, s’il y a des violences institutionnelles, peut être alerté par l’enfant. Celui-ci utilisera toutes les voies de droit pour les faire cesser. Il faudrait aussi créer une autorité administrative indépendante de contrôle pour établir des faits car des enfants voient leurs droits fondamentaux bafoués dans le cadre de leur placement à l’ASE ou en institution. Il faudrait également renforcer considérablement le métier de famille d’accueil. Le « tout institutionnel » ne fonctionne pas. Les instances onusiennes ont établi que l’accueil familial était protecteur des droits fondamentaux et des besoins fondamentaux des enfants. Il y a davantage d’enfants placés en institution parce qu’il y a une pénurie de recrutement, que le métier n’est pas attractif, parce qu’on empêche le cumul d’emplois. Une réforme structurelle massive de notre système de protection de l’enfance s’impose.

Il faut renverser la priorité gouvernementale axée sur la répression qui, au final, est plus coûteuse pour la société et les individus.

Quelles pourraient être les retombées d’une commission de réparation2 pour les enfants placés victimes de violences institutionnelles ?

 K.R. : Une retombée politique avec une reconnaissance par la collectivité que ces enfants ont été mal pris en charge et sont les victimes d’un système qui était censé les protéger. Mais aussi des retombées individuelles qui pourraient permettre à certains enfants d’entrer dans la réparation. Dans tous les cas, la commission de réparation doit s’accompagner de changements structurels du système de protection de l’enfance pour que celui-ci arrête d’abîmer les enfants qui lui sont confiés. 

L.L. : Cela acterait de manière historique que la nation a failli, État et départements. Reconnaître ce qui s’est passé, établir des faits, établir la part de responsabilité des uns et des autres dans les drames humains qui ont pu se jouer dans ce contexte. C’est aussi une réparation qui se joue au niveau institutionnel avec la nécessité de réformes et, au niveau individuel, avec la question financière qui se pose. Mais la réparation financière n’est pas satisfaisante si elle n’est pas accompagnée d’une réparation globale. Les générations actuelles et futures ne doivent pas subir ce que l’on a vécu. 

 

 


1. Depuis la loi Taquet du 7 février 2022, la règle est désormais que les jeunes majeurs de 18 à 21 ans confiés à l’ASE avant leur majorité, continuent, de droit, à être pris en charge, dès lors qu’ils ne bénéficient pas de ressources ou d’un soutien familial suffisants. L’objectif était « d’articuler les dispositifs d’insertion et les dispositifs d’accompagnement socio-éducatifs afin qu’aucun majeur ne se retrouve sans solution ». Le collectif Cause Majeure, dont les Ceméa sont membres, le Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) et le Conseil d’orientation des politiques de la jeunesse (COJ) déplorent des pratiques très diverses selon les départements et constatent que de nombreux jeunes majeurs de la protection de l’enfance sont encore victimes de sorties sèches et imposées. 

2. L’une des 92 recommandations de la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance, 2025.