LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Du basket à Victor Hugo

Les habitudes ont la vie dure, elles ont du mal à se plier à la réalité d’un présent qui les bouscule pour se mettre au goût du jour. Derrière elle, il y a les gardiens d’un dogme qui freine toute intention de changer la donne. À l’école l’EPS magnifie le sport et dénigre le jeu.
Média secondaire

Il est urgent de questionner les éléments qui justifient le fait de considérer certains sports institutionnalisés comme le nec plus ultra de l'Éducation Physique et Sportive, d’en interroger les limites, comme de poser la question du vieux débat culturalistes/traditionnalistes en EPS d'une autre manière. Le sport doit être simplement pensé à une place mieux réfléchie dans un contexte d'indépendance de la discipline et des personnes. Les CEMÉA n’excluent pas le sport, ils affirment la nécessité d’envisager une éducation physique qui ne soit plus dépendante, comme cela a pu être le cas par le passé, de l’armée, de la médecine, des loisirs ou du « sport ». Ils proposent une ouverture vers des pratiques ludiques motrices et sportives dans laquelle les jeux sportifs traditionnels et/ou innovants ont toute leur place. 

Du basket à Victor Hugo
A propos de culture, de jeux et de sport

« N’imitez rien ni personne. 
Un lion qui copie un lion devient un singe »

(Victor Hugo)

Dans un texte récent, Didier Delignières a cité Yvon Adam : « plus un sport se perfectionne dans son jeu, ses règles, ses techniques, plus il exige un niveau d’approche élevé, plus il offre de possibilités éducatives. C’est pourquoi nous pensons que certains jeux, l’épervier par exemple, ou les barres qui ne sont pas institutionnalisés, socialisés, n’ont qu’une faible valeur éducative » (Adam, 1966).

Puis il a ajouté que « les pratiques de référence de l’EPS doivent être légitimées par leur inscription durable dans la société, leur valeur patrimoniale et le processus d’institutionnalisation dont elles ont fait l’objet. De ce point de vue, les APSA (Activités Physiques Sportives et Artistiques) sont en soi les objets d’études de la discipline, comme la littérature pour l'enseignement du français. L’EPS devrait s’attacher à l’étude des objets culturels les plus élaborés (à condition évidemment qu’ils demeurent didactisables), faute d’apparaître encore comme complètement à part dans le système scolaire.

Il est curieux de donner l’impression de revenir à de vieux débats sans même se demander ce qui expliquerait ce « retour ». Le manque de lisibilité de la discipline EPS ne résiderait-il pas justement surtout dans le flou entretenu, dans les représentations collectives (des parents d’élèves au ministre de l'éducation nationale, de la Jeunesse et... des sports), entre l’EPS et le « sport »?

En cherchant à s’émanciper d’un terme qui la réduit, l’empêche de trouver son objet propre, l’EPS pourrait au contraire clarifier ce qu’elle est, pour ne plus avoir à justifier (y compris auprès des autres disciplines auxquelles elle n’aurait plus à se comparer) sa place « à part dans le système scolaire »

Il y aurait, d’après ces messieurs, des jeux sportifs traditionnels joués depuis le Moyen Âge ou la Renaissance (Les barres), des jeux intergénérationnels, dont la présence est attestée dans nombre de cultures – les jeux transculturels- (les jeux de chat, mère garuche), des jeux issus par exemple d’une Culture africaine (Dibeke) ou indienne (kho-kho, les maîtres du souffle)

ll y aurait des jeux qui ont voyagé du pourtour de l’Océan indien, du Cambodge aux Philippines (Ou Chen), des jeux particulièrement inclusifs (le Torball), des jeux propices à des rencontres sportives apaisées, avec des règles offrant des structures non duelles, plus coopératives et moins agressives (Tchoukball, Kin-ball, Poull-ball)

Il y aurait des jeux qui sont des sports dans d'autres cultures (Chinlon, Kabaddi), des jeux issus de pratiques sportives émergentes (Parkour, football freestyle, speedriding…), des jeux porteurs de traditions régionales, des jeux récents aux particularités ludiques inédites (liaisons dangereuses)

Il y aurait donc tous ces jeux inscrits au patrimoine ludique mondial, ces jeux qui permettent d’entrer en contact et de mieux comprendre tant d’autres cultures qui seraient d’une plus « faible valeur éducative » que certains autres jeux (« institutionnalisés »), tous issus d’une seule et même culture (la nôtre) ?

Parce que si la définition du sport ne fait pas consensus, il semble au moins admis que le sport moderne dont nous parlons (celui qui définit les « pratiques sociales de référence », qui ne sont pas sans liens étroits avec les APSA) est né récemment, en Angleterre, à la fin du 19ème siècle. Ce sport-là ne saurait être LA Culture.

 

Non, nous ne pensons pas qu’il y ait des jeux moins « culturels », moins « classiques » ou « grandes œuvres » que d’autres, sous prétexte qu’ils ne sont pas regroupés en fédérations, qu’ils n’organisent pas d’activités médiatiques, économiques ou en lien avec des personnes faisant de la politique leur métier.

J’ai certes déjà pu noter l’efficacité de partenariats négociés par certaines de ces fédérations avec le ministère de l’éducation nationale, qui conduisent parfois à des propositions d’activités suggérées et facilitées par les « inspections » au sein même de nos écoles. Elles sont parfois intéressantes. Mais avons-nous bien observé ce qu'il advient d'un jeu qui devient un sport ?

Lorsque ses règles changent, ce n'est pas pour « offrir plus de possibilités éducatives » aux pratiquants mais pour satisfaire ceux qui ne pratiquent pas ou plus : les spectateurs et les commentateurs. 

Je ne vois donc aucune raison pour que l’EPS continue d'avancer avec des œillères en imitant d’autres disciplines et en excluant, sur la base de comparaisons biaisées, nombre de pratiques ludiques ; « sportives » ou non, d’ici et d’ailleurs.