LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Le pouvoir de décider pour de vrai

Les structures de vacances et de loisirs sont d’irremplaçables lieux d’éducation. Indéniablement. Mais aussi des espaces incontournables d’apprentissages multiples et pas n’importe lesquels. Peut-être pas ceux auxquels on s’attend d’ailleurs !
Dans les séjours de vacances et les accueils collectifs de mineur·e·s le vivre ensemble et l’apprentissage de la vie collective tiennent le haut du pavé. Mais leur particularité est bien que en leur sein naissent, vivent de véritables lieux de décision dans le filigrane du quotidien sans tapage, sans mise en place de réunions rasoirs où à la longue les enfants et les adolescent·e·s s’ennuient et ne font que choisir. Or si choisir c’est renoncer, c’est aussi renoncer au pouvoir de décider pour de vrai, c’est le domaine de l’illusion. Celle qui fait croire qu’on décide alors qu’on se contente d’approuver ou désapprouver une proposition décidée par d’autres, les adultes. Les valeurs politiques et éducatives permettent d’offrir des lieux et des instants de décision tout au long du séjour, imperceptibles moments où se font jour de nombreuses déterminations.
Média secondaire

Depuis qu'ils existent, depuis en tous cas qu'ils développent des valeurs politiques et des valeurs éducatives, le vivre ensemble, l'apprentissage de la vie collective tiennent le haut du pavé. La place de l'activité n'a cessé de croître, les valeurs « ajoutées » à la pratique d'activités ont grandi en même temps, même et y compris si la mainmise du mercantilisme, de l'activisme mettent tout cela en danger aujourd'hui. Les activités ont suivi l'évolu­tion de la société. Pour faire très bref, la prise en compte de l'environnement prend une place de plus en plus importante, et c'est tant mieux, comme l'élargissement à l'échelle européenne et mondiale des lieux de voyages. Les activités, avec retard souvent, mais là n'est pas le plus important, s'inspirent ou intègrent les avancées technolo­giques, permettant une imprégnation et une appro­priation des nouvelles données.

L'accompagnement culturel prend une place de plus en plus importante même si la culture, l'expérimentation culturelle sont au cœur des structures de loisirs depuis les années Trente. Toute la problématique de la santé, de l'hygiène, des prudences pour ce qui concerne l'alimentation restent des préoccupations fortes, et encore une fois, c'est tant mieux. Pourtant, il nous semble que là n'est pas l'essentiel.

De véritables lieux de décision

Les séjours de vacances, les accueils de jeunes doivent et devraient être des lieux d'apprentissage de la décision. Des lieux d'expérimentation de la prise de décision et de ses conséquences.

Et à cette condition seulement, des espaces d'apprentissages et d'exercice d'une forme de citoyenneté, d'un vivre ensemble plus dynamique, plus créateurs de liens sociaux. C'est à ce prix qu'on pourra alors véritablement parler d'accession à l'autono­mie - cette pastille à gargarisme de trop de projets pédagogiques !

Le souci premier des équipes, au travers de toute l'organisa­tion du séjour ou de l'accueil devrait être d'analyser et de mettre en place toutes les conditions de la participation active des enfants et des jeunes à leurs vacances.

Les lieux. les structures et les moments nous semblent les plus propices. Les vacances, les temps de loisirs sont des temps de moindres contraintes sociales et structurelles (mais non pas de contraintes, ni de cadres de vie collective). Ce sont des temps pour soi, des temps de liberté, certaine­ment les moments où cette liberté est la plus simple à vivre et à exercer. Bien évidement, les éléments d'association des enfants à leurs propres vacances sont à adapter aux âges, aux moyens, aux besoins. Mais si c'est là l'axe premier de travail, nous n'avons aucun doute sur la pertinence des moyens mis en place.

Associer enfants et adolescents au séjour

Qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire? Pourquoi d'ailleurs cette interpellation, au moment où il n'y a jamais eu autant de réunions quotidiennes d'enfants, de prises d'avis, ou de moyens d'évaluer la satisfaction? Et bien. jus­tement, parce que! Parce que c'est comme si tous ces moyens s'instrumentalisaient petit à petit.

Comme si la réunion d'enfant, la fiche d'évaluation - tu mets un soleil si c'était bien et un orage si tu n'es pas content sur le pan­neau de ta porte de chambre comme ça on verra ce que tu penses - la prise d'avis devenaient en soi une activité, avec sa propre vie. L'intérêt ne réside plus que dans la forme. D'ailleurs, et pour sourire un peu, bien évidemment que c'étaient les enfants qui avaient décidé de se réunir, ou de mettre sur chaque porte de chambre un panneau d'évalua­tion ! La première question tient du "décider de quoi?" Pas de tout justement, ce qui serait la meilleure façon de ne décider de rien. Puisque nous sommes dans le cadre d'ap­prentissages, il faudra réfléchir à une démarche pédago­gique, choisir les objets précis. Encore une fois en fonction des participants, de leurs âges, de leurs besoins.

Il nous semble absurde, et le mot est faible, que des adoles­cents ne soient pas associés dès l'origine au séjour de vacances qu'ils vont vivre. Là, il sera question de prévision, d'organisation, de négociation, tant des destinations, que des moyens de s'y rendre, des contraintes locales, organisationnelles. C'est une banalité de dire que le but ultime d'un camp d'adolescents reste qu'ils puissent partir seuls l'année suivante. Une banalité à se redire. De là à penser qu'on va, d'une façon ou d'une autre les réunir et leur demander : « Alors on fait quoi? On va où?» ... Meilleur moyen, bien connu, de s'assurer d'un mutisme ronchon, et de garantir un joli pou­voir absolu, qui sera bien évidemment combattu ... À l'évidence, cela ne peut se passer que dans un cadre déterminé, organisé, justement pour laisser de véritables espaces de prises de décisions.

Ce qui paraît plus simple pour des adolescents peut l'être pour de plus jeunes. On peut organiser de l'apprentissage de la décision avec des enfants d'âge maternel. Surtout pas à coup de réunions (mais chaque animateur a conscience que le jeune enfant, justement n'a aucune conscience du groupe), ni à coups de demandes d'avis trop souvent démagogiques. Bien plus simplement en organisant toute la vie du centre autour de l'activité spontanée. Une installation du cadre bien réfléchie, un enrichissement de l'environnement qui permette, tout au long de la journée, à chaque enfant de décider de ce qu'il va faire, parce qu'il a le choix !

Mais aussi parce qu'il a besoin de ce choix. Pour caricaturer (ce qui est souvent plus simple) il ne sera pas question de lui demander à quelle heure il veut aller se coucher, ou s'il veut bien se laver, ou de gérer son linge tout seul, ni de monter un « projet » ! Le choix. Le véritable choix. Parce que décider c'est toujours choisir. Choisir des activités organisées par les animateurs, ce n'est pas choisir, c'est faire son marché, trier dans des produits tout faits, c'est manier sa zapette sur l'écran de l'offre !

Décider c'est toujours choisir

Choisir des activités parmi toutes celles déclenchées, suscitées par le cadre que les animateurs ont mis en place (et dans ce cadre il y a bien évidemment les goûts, les passions, les compé­tences des animateurs), négocier cela avec les copains, comprendre l'échelle des possibles, s'organiser ensemble, avec l'aide des adultes pour aller au bout de l'idée, alors là oui

Oui parce que nous serons en face de réelles activités, oui parce qu'il y aura eu de la véritable prise de décision, suivie de la réalisation. C'est dans ce cadre, dans cet encadrement que la réunion d'enfant aura du poids et sera direc­tement compréhensible. Plus que dans la répétition formelle et sou­vent ennuyeuse de la réunion quotidienne obligatoire.

Et comme nous sommes dans le temps des vacances, il y aura de la prise de décision informelle, mais tout aussi organisée, au hasard d'une idée, d'un souhait, d'un désir, cette opportunité d'aider ce groupe de pré­adolescents à aller au bout de l'idée qui vient de jaillir.

Ce moment où l'animateur va dire : « Chiche, on y va. mais on fait comment? » Non seulement on aura une activité issue des idées des jeunes eux-mêmes, mais on aura mis en place ce qui fondera vraiment cette activité : les moyens d'aller au bout ensemble. Et subtilement, quand ensemble on fera le bilan (surtout pas formel, sans papier et crayon, mais confortablement installés, dans les sourires de la satis­faction). faire voir justement comment on y est parvenu. Que les éléments de la prise de décision soient conscientisés.

Une règle dynamique

Bien évidement ces temps de vacances et de vie collective sont des moments propices à la compréhension de ce qu'est une règle, et par extension une loi. Il est nécessaire que les enfants, les jeunes, dans le cadre général de la loi générale, mettent en place eux-mêmes. avec le soutien des adultes, les règles de fonctionnement de leur groupe, de leur micro-collectivité. Et qu'ils veillent à l'apphcation des règles. Il est indispensable qu'ils comprennent que la loi et la règle sont là pour permettre et favoriser, et pas pour interdire. Même si notre environnement actuel semble majoritairement construit sur des interdits. il s'agit souvent d'un angle de vue. Il sera donc important de bâtir des règle­ments intérieurs, de règles de fonctionnement qui n'énon­cent pas d'abord l'interminable liste des: « il est interdit de » pour aboutir à quelques timides : « il est permis».

On peut tout à fait dire la même chose en inversant le point de vision. On verra alors que la règle devient quelque chose de plus dynamique, de plus investie par les jeunes eux-­mêmes. Tout ce qui de l'activité de vacances, de loisirs doit donner lieu à prise de décision, à responsabilisation. Et tout cela n'a rien de péniblement formel.

Il suffit que les adultes assurent et assument leur responsa­bilité, celle surtout d'installer et de faire vivre un cadre sécu­risé et sécurisant, et celle d'installer un éventail des pos­sibles le plus large possible. Celle d'être proprement installé dans son rôle d'adulte, garant d'un cadre, donc de contraintes, mais il devient pénible d'avoir à le justifier continuellement. On découvrira que les enfants sont en capacité de prendre des décisions, de les assumer, voire de les enrichir au fur et à mesure des évolutions. Qu'ils ont des idées. Qu'ils sont déjà des partenaires actifs et partie prenante de la vie en collectivité. Donc de la vie sociale ! Le vivre ensemble, dans le cadre de la société inclut de fait les enfants. Est-ce si vrai ?


Issu des Cahiers de l'Animation - Vacances Loisirs n°63 - Juillet 2008