Faisons un rêve
Comme il est bon d’entrer en utopie, d’y laisser aller sa pensée, d’y élaborer son pays de cocagne aux senteurs de ses parfums préférés ! Comme il est bon d’inventer un univers doré où tout n’est qu’ordre et beauté, luxe calme et volupté ! Comme il est bon de se projeter dans un rêve éveillé et d’y trouver ce qu’on défend depuis toujours, le projet qu’on prône qui n’est pas un mirage ! Comme il est bon de croire à la mise en agir dans TOUS les centres de loisirs et de vacances de ce que les Ceméa préconisent depuis 80 ans ! Comme il est bon d’affirmer que c’est possible et que c’est une révolution du sens ! Comme il est bon de crever l’outre de l’utopie et d’en faire un vraiment de la réalité ! Et si tout ceci n’était pas qu’un rêve ?
L’éducation est reconnue comme un tout, une globalité en langage moderne et coutumier. Le loisir n’est plus complémentaire de l’école publique, la famille n’est plus pourvoyeuse d’élèves, ni partenaire-obligé-mais…
Chaque moment de la vie des enfants et des jeunes est considéré comme un temps d’éducation. Formelle, non formelle, mais dynamique et heureuse, formalisée, non formalisée, mais ouverte sur la vie et le monde. Didactique, non didactique, fondamental, savoirs, transmission, citoyen, syllabique, globale, adaptation, central, au cœur de, sciences de, bonne éducation, mauvaise, dressage, formatage, touts éléments des débats rangés doctement au musée de…
Temps de loisirs et de vacances
Offrons-nous une plongée sur l’organisation des temps de loisirs et de vacances des mineurs. Il faut s’y pencher mieux ; l’organisation et le maillage en sont subtils. Ce ne sont pas des temps détachés, à part. Pas le genre de temps que l’on a mérité quand on a bien travaillé à l’école ou été sage à la maison. Des temps de loisirs, appuyés sur une définition bizarre, issue du XXe siècle, et qui a peu évolué : temps durant lequel on peut faire ce que l’on veut, quand on veut !
Temps où le principal sujet est l’individu lui-même. Temps consacré à cela. A faire épanouir le « moi » ! Des esprits inventifs ont ajouté rapidement, à l’origine du concept semble-t-il, que ce « moi » s’épanouissait d’autant mieux qu’il construisait et se confrontait tout en même temps à une collectivité. Histoire de continuer d’affirmer ce que les psychologues du même XXe siècle appelaient « l’être social ». Dans chaque quartier des grandes villes, dans chaque village, bourg ou bourgade existent des structures d’accueils aux noms variés. Certaines ont même gardé un nom ancien : le centre de loisirs.
On parle parfois d’un ancêtre plus lointain, le centre aéré, mais là nous approchons de la protohistoire ! Tout cela se nomme aujourd’hui accueil de mineur... Dommage que le loisir et l’air s’estompent.
Ces structures sont parties prenantes de la vie de tous les jours, pour tout ce qui concerne les temps de loisirs. C’est de là que des enfants ou des jeunes inscrits dans des clubs sportifs ou culturels partent pour leur séance et reviennent ensuite. De même que certains vont à la bibliothèque, d’autres à la ludothèque, d’autres ont été chez eux chercher quelque chose qui leur manquait, ou tout simplement ont été chez eux un moment. La structure d’accueil n’est pas une garderie ! Et cela en accord avec les parents. Tous reviennent ensuite vers ce centre de vie ; le terme est fort ? Très sincèrement je n’en trouve pas d’autre.
C’est au sein de ces structures que ces mêmes jeunes et enfants développent des projets, ou pas d’ailleurs. On a depuis quelques temps déjà fait un procès définitif à la dictature du projet, sans pour autant le faire disparaître, pour peu qu’il soit un outil au service de l’activité des usagers ! Tout se passe dans un brouhaha d’activités spontanées et d’autres bien plus élaborées. Des aventures « minutes » et des aventures « plein mois »…
Et en parlant de projets, tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit bien de ceux des jeunes, des enfants, et non de ceux des structures, des adultes, des équipes, pour qui ces mêmes projets de jeunes ou d’enfants n’étaient qu’alibis fort bien instrumentalisés. En tous cas, les lieux sont accueillants, ouverts ; on s’y retrouve entre copains, on y crée des histoires qui n’appartiennent qu’à ce lieu, on y apprend à vivre ensemble, à créer des règles et à les respecter, voire à les faire respecter.
Et ces lieux, mais aussi le projet de la structure, la vie démocratique, les prises de décisions, sont élaborés en relation avec les parents. Non, non, pas des parents alibis, pas de ceux qu’on laisse à la porte pour leur expliquer tout ce-qui-se-passe-dedans-mais-qu’ils-n’ont-jamais-ledroit-de-voir ! Des parents associés, des parents informés, des parents formés, des parents en confiance, porteurs et accompagnateurs des projets des structures.
L’encadrement ? Ah oui, l’encadrement
C’est un subtil maillage entre des professionnels qui valorisent à fond leurs connaissances, leur rigueur, leur professionnalisme, et des jeunes gens qui, en soutien, développent leur don d’eux-mêmes, leur spontanéité, pour ne pas dire leur enthousiasme désordonné, profitant à fond de la courte durée de cet investissement non professionnel. La société, qui reconnaît l’importance capitale de leur investissement les valorise financièrement par un petit pécule à chaque action encadrée, dont le montant tente le fragile équilibre entre le mépris de l’obole et la confusion avec un vrai salaire de professionnel. Les séjours de vacances (ex centres de vacances, ex colonies de vacances, mais que les participants et les parents appellent toujours « les colos ») ne sont plus « à part » des structures de loisirs. Chaque structure de loisirs porte en soi et développe des actions de vacances. Tout un temps de l’accueil de proximité est utilisé à préparer les séjours. A aider les enfants, les jeunes et leurs parents à inventer leurs vacances, à monter leur projet, à trouver les partenaires, mais aussi les financeurs. Certains séjours courts sont parfois organisés par les structures de loisirs. Mais souvent de grandes fédérations d’éducation populaire sont sollicitées pour soutenir le montage des projets ou des actions. Cela permet aussi de se retrouver avec d’autres, des enfants, des jeunes porteurs du même projet, des mêmes envies. Un objectif à tout cela. Le départ. Partir de là où on passe toute son année, aller tester ailleurs de nouvelles responsabilités, pouvoir être un autre que ce « je » si quotidien, pris dans des règles, des habitudes, des murs, des espaces qu’à force on ne voit plus, on ne comprend plus. Et aussi vivre avec d’autres, des inconnus, ceux qui font peur tant qu’on ne les connaît pas. Dans les structures de loisirs on apprend à vivre ensemble. Mais on se connaît déjà – ce qui ne rend pas les choses forcément plus simples d’ailleurs.
Les offres en séjours de vacances
Il n’y a pas que des séjours organisés par les accueils. Il y a les grandes fédérations, il y a les petits organisateurs locaux. Il y a les comités d’entreprises, les municipalités. Et d’autres encore. Cela n’a pas beaucoup changé. Presque tous ceux qui, au siècle dernier, ont développé ce qui était une formidable conquête sociale sont, heureusement, toujours là ! Ce qui a changé, c’est l’évolution fulgurante de l’offre. Une prise de conscience rapide mais douloureuse a fait émerger cette absurdité que les enfants et les jeunes devenaient consommateurs d’eux-même, puisqu’ils n’existaient plus qu’en tant qu’inscrits à telle ou telle activité. Ils n’étaient plus que nombres, chiffres, quantité, tellement d’ailleurs que n’étaient conservées que les activités réunissant un quota suffisant de participants. Les seules bonnes activités étant consommées par le plus grand nombre. Angoissant dites-vous ? Plus que cela ! N’être qu’un numéro servant à évaluer quantitativement une activité, tous les psys du monde vous diront que ce n’est pas bon ! D’autant que sur cette base ultra consumériste, les activités, les programmes, les catalogues se construisaient sur l’antienne du « pour toucher le plus grand nombre, il faut proposer ce qui rassemble le plus grand nombre ». Bref ! Pour faire court (!), disons simplement que quelques grandes règles régissent maintenant ces structures. Les enfants, les jeunes, vont s’imprégner de l’endroit dans lequel ils passent leurs vacances ; ils vont se l’approprier, vivre ce qu’il est possible de vivre, dans l’environnement qui est le leur. C’est devenu central. L’environnement, une éducation à l’environnement par les vacances. Tout ce qui se passera pendant le séjour sera leur projet. Chaque séjour se prépare avec les parents, les enfants, l’encadrement, bien en amont. Quand c’est possible par des réunions, sinon en utilisant les techniques modernes de communication.
Ne plus se tromper de cible
Pas simple de trouver l’adéquation entre un cadre de vie à enrichir pour que les jeunes curiosités soient alimentées, voire titillées, et les envies, les désirs, tellement guidés dans un premier temps par les modes et notre consumérisme compulsif… Les notions de productivité, de rendements (si, si, même dans les vacances on avait été jusque là ; rentabilité pédagogique qu’on disait, ratio de productivité des encadrements et autres grandes thèses gestionnaires) ont disparu. Autres points communs : un apprentissage de la citoyenneté par une association des jeunes et des enfants aux décisions qui les concernent. Oh les propositions sont très diverses, mais ils ont la parole ! Oui, des apprentissages ! Bien sûr des apprentissages, et des apprentissages enfin dégagés d’une espèce de piège : une rentabilité didactique qui poussait toutes sortes d’adultes à réclamer aux loisirs des apprentissages pour qu’un jour les enfants aient du travail ! On se trompait juste de cible ! Des apprentissages il y en a en permanence. Des grands, des petits, des qui se voient, des très discrets. Ainsi, le « vivre ensemble ». A se demander si cela ne vient pas juste avant la compréhension des environnements. Un « vivre ensemble » différent encore, parce que loin des parents et des repères habituels, c’est un « vivre ensemble » à la fois dans l’aventure et dans l’invention de soi. Pas simple. Les encadrements s’y arrachent les cheveux. Ah oui, les encadrements. Comme dans les structures d’accueil. Une volonté forte des organisateurs, une volonté forte de l’Etat. L’Etat. N’oublions pas l’Etat. Entre autres… Des moyens financiers considérables ont été consacrés aux loisirs et aux vacances. Enfin, enfin reconnus comme indispensables à l’éducation. Les familles sont aidées, les formations des personnels sont aidées, les organisateurs sont aidés, les patrimoines préservés… Utopie était une île. Faisons-en un continent !
Cet article est issu de la revue Les Cahiers de l'Animation Vacances - loisirs