LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Ânes et Lutins

En période estivale, le mini-séjour peut être l’occasion d’une parenthèse dans le quotidien de l’accueil de loisirs. Surtout quand il nous emmène complètement ailleurs, comme ici, en compagnie d’ânes de bât, en suivant des pistes enchantées par un conteur.
Média secondaire

Prendre un séjour court à la campagne, des animaux réputés pour leur résistance et leur aménité et une série de contes où l’onirisme fait loi, est roi. Mélanger le tout et vous obtenez une agréable semaine de vacances pleine de découvertes, de relations avec les ânes, de jeux de pistes, où légendes et elfes de Normandie agrémentent les journées par la voix enchanteresse d’un conteur-animateur toujours prêt à magnifier le réel. Un véritable bol d’air pour les enfants qui s’en donnent à cœur-joie.


Dans notre petit coin du bocage virais en Basse­ Normandie, nous sommes perdus dans la campagne avec comme port d'attache une ferme dont les principaux locataires sont des ânes.
Pendant cette semaine, nous allons oublier ordinateurs et télévisions, montres et horloges pour vivre au rythme des vacances sans jamais s'ennuyer.
Les enfants et le conteur sont dans une vieille pièce avec des murs en pierre. Le feu danse dans l'âtre de la che­minée. Les paroles s'envolent, les oreilles les accueillent. Nous terminons la première journée du mini séjour « Ânes et contes » d'une semaine.
Le mariage entre les ânes et le conte nous a paru évident. Ils ont en commun le temps de la lenteur, le temps du rêve et de l'écoute. Les animaux comme la parole demandent une présence, ici et maintenant, totale. Si vous perdez l'attention, l'âne s'en va brouter en vous laissant en plan ou l'histoire s'envole, sans queue, ni tête.

Rencontre avec le lieu et les ânes

Dès leur arrivée, les enfants, par petits groupes, visitent les lieux avec le conteur, prennent connaissance des règles de vie et des particularités du lieu. Des livres, des jeux de société, des sollicitations à l'écriture sont mis en place. Ce n'est pas une maison comme les autres avec son chauffe­-eau solaire pour les douches, ses réservoirs d'eau de pluie pour les toilettes, son tri sélectif, son compost pour le pota­ger. Nous rendons une visite rapide aux animaux de la ferme. Déjà, les poules, les coqs, les oies, les canards sont dans nos pattes pendant que les chiens et les chats vaquent à leurs occupations préférées.
Enfin, ils rencontrent les compagnons du séjour : les ânes. Une équipe de trois ou quatre enfants entoure un âne durant tout le séjour. Quatre d'entre eux sont mobilisés pour le mini séjour. Ainsi, les enfants s'aperçoivent avec le temps des différences de caractères de chaque animal. En arrivant, la notion de troupeau est prévalente. Avec le temps et avec l'observation des ânes, les enfants finis­sent par individualiser la plupart des animaux.

Par petit groupe de quatre, nous entrons dans le champ et nous attendons. Le troupeau ne semble pas faire atten­tion à nous. Ce premier contact avec l'animal est magique et important. Nous apprenons à dominer notre peur et nos appréhensions. Nous sommes entourés de quinze bêtes en liberté.

Le choix étant fait, la relation avec l'âne choisi va s'installer. Le premier temps sera celui du brossage, du battage, de la construction de la bulle relationnelle entre l'équipe et l'animal. Pour la première sortie, nous nous contenterons d'une petite balade. L'âne va tester son équipe d'humains. S'ils sont trop gentils, trop agités ou trop peu cohérents entre eux, l'âne en profitera pour aller brouter l'herbe dans les fossés, provoquant des arrêts incessants.
Au fur et à mesure de la semaine, une véritable relation va se construire entre l'âne et son équipe. Les randonnées dans les chemins creux seront de plus en plus longues, variant de 2 à 6 kilomètres.

Rencontre avec l'univers du conte

Dans le même temps, nous avons vécu des aventures avec le support du conte. Le premier jour, il nous faut retrouver des tableaux volés et éparpillés dans la nature ; le suivant, il faut retrouver les lutins voleurs égarés. Et le dernier nous sommes invités par ces mêmes lutins à venir dans leur royaume. Au fur et à mesure, les jeux sont plus longs, en temps et en kilomètres.
Dans sa proposition autour du conte, le conteur s'est mis quelques points de repères essentiels :
- Des moments de contes bien repérés avec un rituel et dans un lieu précis : la comptine Tout le monde parle à ma grand-mère, le personnage fil rouge de grand-­mère, la vieille pièce avec la cheminée.
- Un choix de contes adaptés à l'âge des enfants et à l'évo­lution du groupe. Des entrées et des sorties de l'imagi­naire : il s'agit de faire la part des choses entre le réel et le rêve, de ne pas se noyer dans un monde inventé, mais de garder les pieds sur terre. Le meilleur exemple que nous puissions suivre est celui des enfants quand ils jouent aux cow-boys et aux indiens: nous faisons comme si ...
- Jouer avec le Mentir et le Vrai sans être dupes. Si les enfants se posent des questions sur l'existence des lutins, le mieux est de leur répondre : « Qu'ils existent ou pas, ce n'est pas le plus important. Le principal est que l'on s'amuse ensemble. »
- Les temps de jeu ne débordent pas sur les temps de vie quotidienne ou sur les autres temps d'activités.

Contes et jeux de pistes

Plusieurs principes guident le conteur pour la mise en place des jeux de piste. Nous sommes organisés en équipes de quatre à six enfants maximum permettant une relation plus facile entre l'adulte et son équipe durant les randonnées et nous essayons de faire en sorte que le milieu soit inducteur de jeu pour que la motivation se construise avec les enfants au fur et à mesure par : - Le rituel du conte avec les histoires et la présence de la grand-mère.

- Le soin apporté à la réalisation des jeux.
- L'écoute et la prise en compte des interventions des adultes et des enfants.
- La présence du compteur durant le séjour.
- Nous jouons pour jouer ; il n'y a jamais ni gagnants ni perdants.
- Nous jouons pour le plaisir. Il n'y a pas de récompenses ou de chasses au trésor.
- À certains moments, dans le jeu, le conteur met en place des situations induisant l'écriture et la lecture.
- L'organisation du dernier jeu, celui à la journée, permet de le vivre sans contraintes de temps. Nous allons à notre rythme. Il n'est pas nécessaire de parcourir tout le circuit pour réussir.
- Nous sommes attentifs aux enfants qui ne veulent pas jouer ou qui sont en difficulté.

La visite du royaume des lutins

Ce matin, nous avons une surprise. Au moment du petit déjeuner, nous découvrons la canne du roi des Lutins avec une invitation à venir dans son royaume et une recette de cake salé. Aussitôt, les enfants et les animateurs s'organisent: un groupe fait le cake, un autre va relever les indications de la station météo. Ensuite, tout le monde va chercher son âne pour le préparer. La randonnée sera longue, les sacoches seront chargées du pique-nique pour le déjeuner.
Nous arrivons enfin au lieu du rendez-vous. C'est un immense parc privé, envahi par les fougères et les ronces. Des chemins s'enfoncent dans la végétation, nous condui­sant à des champs ou à des haies. Au détour de l'un d'entre eux, nous découvrons un grand espace herbe dégagé avec, en son centre, un énorme tilleul. Nous man­geons à cet endroit. Les ânes sont libres dans leur champ. Le conteur vient nous rejoindre avec un livret : le guide de l'office du tourisme du royaume des Lutins. Le guide contient des noms de rues et de places. Il n'y a pas de plan. Il suffit d'aller n'importe où dans le parc. Nous trou­verons forcément tous ces lieux.

Par équipe, nous partons dans différentes directions. Nous nous perdons vite de vue, du fait de la hauteur des fougères et des haies. Nous sommes dans un véritable labyrinthe. À chaque nom de rue, il y a une consigne à lire sur le livret. Ici, c'est l'atelier poterie des lutins. Là, il faut faire en peinture le portrait de la vilaine sorcière. Sous un jeune pommier, nous pouvons dessiner notre lutin personnel et lui donner un nom, une identité et décrire ses pouvoirs ... Les lutins ne nous obligent à rien. Ils nous demandent simplement de nous amuser. Certaines équipes mettent deux heures à faire la visite, courant d'un lieu à un autre. D'autres prennent trois heures pour la faire tranquillement.
Qu'importe ! Nous n'avons rien à gagner si ce n'est le plaisir de jouer ensemble et nous n'avons pas à attendre les autres équipes. Une fois le parcours fait, nous pou­vons toujours jouer à cache-cache ou courir comme des fous dans tous ces chemins étroits. Nous nous retrouvons sous le gros tilleul pour le goûter et nous repartons avec nos ânes à la maison. Le lendemain matin, nous retrou­vons nos petits bonshommes en terre, nos peintures de sorcière et nos dessins de lutins sur la grande table de la maison. Ils partent avec nous dans notre centre de loi­sirs. L'aventure avec les ânes et les contes se termine. À travers ce séjour, nous accompagnons les enfants dans une prise de conscience que l'âne, compagnon de ran­donnée, est un être vivant nécessitant la construction d'une relation fondée sur le respect réciproque.

Apprendre de soi et des autres au contact de l'animal

Il ne s'agit pas de le dominer en montant dessus, ni de s'en servir comme jouet, mais de le comprendre, d'en prendre soin et de réagir en fonction de son caractère et de ses besoins. Une leçon de vie qui guidera les relations établies lors de ce séjour à la ferme durant lequel nous sou­haitons faire de la vie collective un atout et non une contrainte. La qualité des relations participera à la créa­tion de conditions favorables à l'écoute des contes, à la lecture et à l'écriture. Et cela d'autant mieux que les accueillants auront été attentifs à la place des ani­mateurs accompagnant le groupe, en faisant en sorte qu'ils soient entièrement partie prenante du projet du mini séjour et pas seulement cantonnés à s'occuper de la vie.

 


Issu des Cahiers de l'animation - Vacances loisirs n°75 (juillet 2011)