Atelier spectacle « lamenta ». Spectacle joué cour minérale université d’Avignon
Agathe prend le temps de demander aux personnes présentes (qui attendent les retardataires) si ça va ? Tout le monde opine du chef.
On peut enlever ses chaussures ou pas, le masque également, on ouvre les fenêtres, les conditions sont réunies pour commencer. Roxane demande de casser le cercle et de marcher à son rythme sans enjeu autre que marcher à l’abri des regards en même temps que les autres. Personne n’est en danger, il n’y a pas de public. Il suffit juste de faire attention aux autres pour se répartir afin d’occuper tout l’espace, puis statiques d’essayer de percevoir le déroulé de ses pieds, yeux fermés, juste sentir sa verticalité alignée par rapport au sol et de chercher le point d’équilibre. Ensuite tenter de relâcher toutes les tensions du corps et analyser comment on se sent par rapport à la station debout et à l’assise de ses pieds. Puis se balancer doucement dans une direction puis une autre pour tenter de sentir la limite de l’équilibre, sans le perdre.
Se mettre par deux où l’un dans le duo se laisse guider par la main de l’autre à distance, suivie des yeux qui entraînent le corps dans des déplacements suscités par la main. Peu à peu une relation de confiance finit par s’instaurer dans tous les binômes, à un rythme qui est le leur. Et petit à petit ce sont des marionnettes humaines qui se mettent à danser, rassurées par Agathe qui réitère les précautions à prendre quant au respect de chacun·e. Elle insiste sur l’écoute et la confiance qui en découle.
La séance est bien préparée, on sent que les deux animatrices savent où elles vont.
Elles proposent d’aller plus loin, avec une entame similaire et à la suite une par une les personnes se raccrochent et à la fois guident et sont guidées, mais ça va trop vite, la chaîne prend de la vitesse, le train s’emballe et il faut le stopper pour repréciser les choses.
Il est nécessaire de prendre le temps, d’apprivoiser la lenteur dans les mouvements, dans la geste. Il faut toujours avoir en tête qu’on guide aussi quelqu’un·e, l’exercice demande une concentration maximale et une écoute idoine.
Ce qui frappe c’est l’extrême homogénéité du groupe alors que les participant·e·s viennent d’horizons différents et ne se croisent dans la cour, au repas que depuis deux jours pleins. L’activité libère insensiblement les réticences et ouvre la porte à des mixités inattendues.
L’âge, la couleur de peau, le sexe, l’origine géographique ne sont ici qu’accessoires, qu’annexes. Les éventuelles barrières (il faudrait ici se demander si nous ne les érigeons pas dans un inconscient collectif qui les façonne parce qu’il a toujours été dit qu’il y en avait) tombent et se fondent dans un agir ensemble où l’autre est un alter ego, un alter soi.
Une petite pause fait du bien, c’est énergivore le ballet du corps, des corps !
Et puis l’exercice précédent se poursuit avec une proposition de se prendre la main, le contact physique permet une meilleure acuité dans l’écoute de l’autre.
Et sur les lèvres dans les méandres de la danse qui s’improvise dans le direct des initiatives viennent les paroles de « le dimanche à Bamako, c’est le jour de mariage... » et le refrain rythme l’harmonie des déplacements de ce long serpent humain qui vient de se former. Une vague s’est créée et des voix ponctuent cette chorégraphie spontanée, faites de frémissements, de frissons communs, de frappes des pieds, des mains, sur les cuisses, la gêne est aux abonné·e·s absent·e·s, aux oubliettes, chacun·e évolue sans risque, sans la peur du regard des autres. Et puis les bruissements finissent par se murmurer, se chuchoter, se tarir, se taire, sans prévenir.
Le groupe pourrait être une compagnie en recherche.
La proposition suivante demande au groupe de se positionner en file indienne. La première personne, en tête, propose un geste et comme un feu qui gagne la file, une par une les personnes reproduisent ce geste et au top la personne de tête passe à la queue, et ainsi de suite jusqu’à ce que toutes les personnes aient pu proposer un geste. La colonne évolue à un rythme de sénateur, qui laisse les gestes embraser chaque élément de la file. La danse naît, meurt, renaît jusqu’au dernier élément. Sagesse et sérénité sont de mise.
Agathe connaît les prénoms.
La préparation se termine par une improvisation sonore ; le groupe est en cercle (les personnes se rapprochent) et consigne est donnée à chacun·e d’émettre un son. Pour faciliter l’entame, tout le monde commence par un « om », yeux fermés, et un billet collectif pour un sonore trip en chamanie occidentale. On peut entrer et sortir, s’extraire du groupe, se contenter d’écouter. Le road-trip dure et des kilomètres d’émotion sont parcourus. La voix mais aussi le reste du corps, qui entre en lice, participent de la création sonore. Ça murmure, ça résonne, ça lancine, ça langoure, ça alentit, ça xélère, ça tout ce qu’on veut et tout s’enflamme.
Ça a commencé par un souffle, partagé et ça se finit sur un chuchotement sollicité.
Ça s’achève.
Une remarque dit qu’être au milieu c’est génial.
Merci, bisous, merci, choukrane.
Ce fut un véritable atelier d’expression et le spectacle « lamenta » pour lequel il a été conçu n’a que très rarement (voire pas du tout) été dans les têtes. Mais quelle belle expérience collective et culturelle qui justifie et avalise pleinement le projet de l’équipe !