Quels liens entre le scolaire et le périscolaire ?

Un entretien avec Laurent Lescouarch Professeur des universités en sciences de l’éducation et Marie Vergnon administratrice de l’association des enseignant·e·s .
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Média secondaire

Dans cette interview Laurent Lescouarch et Marie Vergnon explique les différences entre les temps scolaire et périscolaire, le rôle des enseignants et ce que cela peut apporter aux enfants.

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Comment avez-vous mené l’enquête sur les relations entre scolaire et périscolaire?

Laurent Lescouarch : Les recherches de notre laboratoire sur l’animation s’inscrivent dans la continuité des travaux sur les colos de Jean Houssaye.

On a commencé avant la réforme des rythmes scolaires en partenariat avec des municipalités de la région rouennaise avec trois enquêtes importantes :une sur le lien entre scolaire et périscolaire, une sur l’aide aux devoirs et une sur la mise en place des temps d’activités périscolaires, les fameux TAP. Ensuite,on a continué dans le cadre de recherches ancrées sur le scolaire et sur le bien-être des enfants à l’école en gardant toujours un lien avec les enjeux du périscolaire. Le lien périscolaire-scolaire est au cœur de nos recherches car la vie de l’enfant ne peut pas se découper en tranches surtout dans les quartiers prioritaires.

Marie Vergnon : On a conduit des travaux sur différents contextes géographiques et sur différents publics et terrains. Cela nous a permis d’identifier des enjeux communs aux différents espaces périscolaires, de relever les questions qui se posent pour les différents intervenants et de dégager des spécificités à l’animation périscolaire. Si les politiques publiques ont complètement intégré l’intérêt éducatif de ces temps, on peut aussi vite se payer de mots.

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Vos recherches vous conduisent-elles à évoquer une «complémentarité relative » ?

Marie Vergnon : Elle est bien affirmée dans les textes car les dispositifs périscolaires sont présentés comme des temps d’apprentissages utiles au scolaire mais la fréquentation des terrains nous a amenés à nous demander dans quelle mesure.

Laurent Lescouarch : Elle est relative car le travail se fait sur trois niveaux. Du côté des politiques et du côté organisationnel la complémentarité est affirmée. En revanche, du côté des acteurs, s’observe plutôt une juxtaposition d’actions. Parfois le discours politique porte la notion de « continuité » entre scolaire et périscolaire, ce qui peut faire courir le risque d’encourager une extension de l’école sur les temps hors école. Aussi préfère-t-on le terme de complémentarité qui postule clairement la logique singulière.

Marie Vergnon : On a observé des propositions complémentaires parce que les apprentissages faits dans ces espaces non formels peuvent être utiles aux apprentissages scolaires tout en se démarquant de la forme scolaire, en ne la reproduisant pas. À travers des pratiques ludiques, on peut trouver des espaces de complémentarité réelles avec l’école qui permettent de tisser du lien avec les familles et redonnent une forme de cohérence aux différents espaces temps de vie de l’enfant.

Laurent Lescouarch : Sur le plan du projet organisationnel, la dimension éducative est pensée sans difficulté mais les conditions ne permettent pas toujours une traduction effective dans les pratiques concrètes. La pression temporelle, la formation des acteurs, l’évolution même du champ de l’animation sont des freins s’ils ne sont pas pris en compte pragmatiquement par les décideurs. La dimension éducative est affirmée mais pas forcément conscientisée par la plupart des intervenants et la pensée du divertissement peut conduire à négliger les enjeux éducatifs.

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Quelle place occupent les personnels d’animation du  périscolaire ?

Laurent Lescouarch : C’est plus complexe que pour un animateur d’ACM, dans lequel temporalités et compagnon-nage font qu’on va pouvoir développer progressivement une conscientisation éducative de l’animation.

Les animateurs dans ce secteur sont dans des systèmes de réponses immédiates à une demande qui peut les amener à privilégier la surveillance ou le divertissement, voire basculer complètement dans un système scolaire d’aide aux devoirs, en faisant de l’école après l’école.

Marie Vergnon : Il y a aussi une évolution des enseignants et enseignantes qui pendant longtemps  avaient eu un parcours dans l’animation et reconnaissaient son potentiel éducatif. C’est quelque chose qui s’est perdu. Dans leurs discours, parfois, les dispositifs périscolaires sont qualifiés de garderie dans une formule qui peut nier leur complémentarité. On peut avoir ces représentations chez des parents pour lesquels les accueils du matin et du soir sont considérés comme des modes de garde à moindre frais,mais dont on attend une prestation sur la question des devoirs.

Laurent Lescouarch : La généralisation des formats périscolaires en 2013 a eu des effets paradoxaux sur les emplois dans la filière. Si on observe un développement des CDI dans les strates de coordination, a contrario, les personnels d’animation apparaissent beaucoup plus précarisés et beaucoup moins formés. Il a fallu trouver beaucoup de monde et on assiste à un très grand turnover. Les journées de travail extrêmement hachées et le peu de perspectives de formation rendent difficiles la construction de compétences et peuvent renforcer l’aspect « garderie » de ces accueils. Sous le regard à la fois des équipes enseignantes et des familles, les personnels d’animation ont en permanence à faire leurs preuves. Beaucoup n’ont pas le Bafa et leur vécu reste leur seul repère. Le compagnonnage de la formation à l’animation, historiquement très fort, se trouve empêché sur les temps très courts du périscolaire, avec un public volatile.

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En quoi les temps périscolaires ne sont-ils pas des temps d’animation comme les autres ?

Marie Vergnon : Il y a d’abord la question des temporalités.

En dehors de quelques exceptions de municipalités qui ont fait le choix d’après-midis massées, on est sur des temps relativement courts avec des incidences immédiates sur ce que l’on peut se permettre de mettre en œuvre. Ils incluent le temps du goûter et des devoirs. La composition du groupe d’enfants évolue d’un accueil à l’autre et les entrées-sorties sont permanentes. Dans ces conditions, comment construire des projets ? Difficile de garder tous les enfants jusqu’à 18 heures. Et puis, il y a la question des locaux et des espaces partagés qui n’est pas un petit sujet. Cela influe directement sur le contenu et le déroulement des activités.

Laurent Lescouarch : Ce qui est particulier, c’est vraiment cette temporalité souvent de 45 minutes à 1 heure pour l’activité qui limite les possibilités, notamment lors du partage des locaux. Le format d’animation qui paraîtrait le plus souple pour gérer des entrées et sorties permanentes serait celui des coins permanents mais il se heurte à la réalité matérielle dans la plupart des dispositifs. On observe des tentatives avec des créations de malles mais cela reste compliqué. Les directions ont besoin de pouvoir afficher ce qui va se faire et on observe une approche très technicienne de l’animation avec un planning et des activités qui permettent à l’animateur nouvellement arrivé de faire directement mais dans un format de temps et d’espace très contraint et avec un public mouvant. C’est très spécifique. S’ajoute à ces difficultés, l’injonction de la complémentarité au scolaire avec notamment la réalisation des devoirs. On a pu observer des fiches de préparation d’animation proches de la forme scolaire aboutissant à une animation hyper formalisée sur les objectifs éducatifs affichés quand bien même ils ne sont pas forcément tenus.

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Entre éducation, scolarité et loisirs comment le périscolaire peut-il trouver sa place ?

Laurent Lescouarch :  La question du bien-être à l’école montre des enjeux très forts sur le périscolaire et le temps méridien.

Les activités ont des effets observables sur le climat scolaire et la fatigue des enfants. Sur le soir, les animations doivent être pensées pour ne pas être que de l’accompagnement scolaire afin d’éviter la surcharge cognitive d’une école qui continue après l’école. Maintenant que le périscolaire s’est institutionnalisé dans la plupart des communes, la phase suivante est de repenser ces dispositifs à vocation éducative restant centrés sur de l’animation

Marie Vergnon : L’animation joue un rôle important pour découvrir des pratiques culturelles et sportives. Elle permet de rapprocher les cultures de vie des enfants de la culture scolaire. Il y a un rôle d’interface. Il est nécessaire de prendre en compte ces transitions avec l’école et avec les familles. Dans le cadre du périscolaire, les animateurs deviennent des interlocuteurs privilégiés des parents.

Laurent Lescouarch : Il y a plusieurs fils à tirer. Celui du rythme, celui de la coéducation, et puis la prise en compte du besoin de jouer des enfants et notamment la place du jeu libre. Que peut faire un animateur sans « jouer » à l’enseignant ? Quelles sont les activités proposables et utiles ? Que peut-on attendre d’un animateur pour accompagner les devoirs ? Traitées sérieusement, ces questions posent de vrais enjeux pour faire que les dispositifs périscolaires deviennent un point d’appui de lutte contre les inégalités scolaires.

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Quels leviers permettraient d’améliorer la complémentarité ?

Laurent Lescouarch : Sur le plan formel, il faut chercher à stabiliser les équipes pour que s’installe une dynamique de formation et développer l’inter- connaissance des professionnels.

Il serait utile de libérer du temps commun et collectif avec les équipes enseignantes, que les animateurs puissent participer au conseil d’école, et que l’on sollicite la participation de l’équipe enseignante à certaines réunions périscolaire. Cela permet- trait d’identifier les préoccupations communes comme les espaces partagés qui peuvent servir toute la journée.

Marie Vergnon : Il y a un enjeu important dans le travail commun entre enseignants et animateurs, pour aller vers un rééquilibrage des activités entre devoirs et animation. Il y a un besoin d’accompagnement sur les devoirs dans une logique d’égalité. C’est une demande des parents, mais il faut mettre en place une formule souple permettant de prendre en compte les rythmes et ne pas astreindre les enfants à l’attente de la fin des devoirs pour tout le monde, avant de participer à d’autres activités. Il y a des propositions de pratiques de club, de jeux de société, d’activités ludiques dont on sait qu’elles permettent de construire des compétences utiles au scolaire sans avoir pour objectif d’être articulées au programme scolaire.

Laurent Lescouarch : La logique des coins permanents constitue une piste intéressante. Elle permet de l’activité souple, avec des espaces dévolus aux jeux de société, aux devoirs, aux activités d’expression, à des jeux de plein air. C’est loin d’être la révolution mais ce n’est pas en place dans la plupart des lieux où nous sommes allés. Ça permettrait des fonctionnements flexibles permettant des ruptures de rythme. Après une journée scolaire, un enfant a besoin de se poser avant de retourner dans des tâches cognitives. Cela suppose de repenser la spécificité des formes d’animation dans le contexte temporel et matériel du péris-scolaire.

Marie Vergnon :  Enfin, il y a l’enjeu de la formation des personnels. Le Bafa historique n’est pas toujours adapté aux besoins spécifiques d’une position réflexive sur les gestes professionnels de l’animation périscolaire. Les personnels doivent conscientiser la complémentarité éducative des jeux de société, des jeux traditionnels, des coins permanents... Ces pratiques permettent de travailler des compétences exécutives, mais aussi en français, en mathématiques ou en rapport avec les pratiques culturelles.

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Le périscolaire est-il un enjeu pour l’Éducation nouvelle ?

Laurent Lescouarch :  Une réflexion sur l’Éducation nouvelle dans la société contemporaine ne peut plus faire l’impasse de penser ces temps-là.

Les mouvements qui s’intéressent à l’Éducation populaire doivent s’emparer de cette question et ne pas la laisser ni au monde scolaire ni à une forme de professionnalisation technicienne. Il y a un en- jeu politique à ce que ces espaces soient pensés et investis par les acteurs de l’Éducation populaire et nouvelle. Actuellement, les étudiantes et étudiants sortent souvent de master MEEF sans avoir entendu parler de périscolaire...

Marie Vergnon : Je souscris, il y a un projet de société derrière. L’enjeu du périscolaire c’est aussi l’ouverture sur la vie de l’enfant. C’est la famille, le quartier... Il y a des continuités, des porosités entre les espaces, ce qui les rend d’autant plus intéressant pour l’Éducation populaire. Cela recrée du lien éducatif et social.

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