Quelle place pour les parents ?

Combien de fois entendons-nous les professionnel·les de l’enfance se désoler de ce que les parents ne font pas ou font trop. Mais quelle place leur laisser lorsqu’ils confient leurs enfants ? Quels projets communs construisons et vivons-nous ensemble ?
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Lorsqu’on devient parents, nombreuses sont les sollicitations de celles et ceux qui savent, qui prodiguent de bons conseils, ce qui provoque souvent un égarement qui ne rassure pas et qui laisse coi. Cette mansuétude est louable certes mais enferme les parents dans des dogmes auxquels ils sont étrangers qui les cantonne souvent à des positions qui correspondent à ce qu’imaginent les professionnel·les ou les oblige à s’opposer avec leurs moyens à ces conseils ou injonctions. La journée est de plus en plus fragmentée et les interlocuteurs·trices de plus en plus nombreux, aussi est-il nécessaire de réfléchir avec acuité à la place qu’on leur permet de prendre et non à celle qu’on veut leur donner.

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Etre parent, surtout pour le premier enfant, est souvent une remise en cause de sa position, son fonctionnement, son rythme de vie voire un bouleversement, une renaissance à soi. Et nous ne sommes pas égaux face à ces changements. Que l'on en ait conscience ou non, notre mémoire affective de l'éducation reçue, les valeurs qui nous ont été transmises, notre rapport à l'école ou à la vie pèsent dans nos comportements.

 Nourrie par notre histoire de vie, cette nouvelle étape est vécue de manière très différente par chacun et chacune, en tant qu'individu, dans le couple, et le noyau familial fraîchement créé.

Être parent, c'est aussi une confrontation aux normes sociales et aux regards des autres

Dès l'arrivée à la crèche, chez la nounou, au jardin d'enfants, puis à l'école, ces nouveaux repères des jeunes parents sont bouleversés par la confrontation à d'autres normes et aux regards d'autres adultes. Les pédiatres, les professionnels de la petite enfance, puis les maîtres et maîtresses apparaissent souvent comme les détenteurs de l'autorité, « ceux qui savent », par des parents en recherche de réponses pour faire « au mieux », et donner à leur enfant les meilleures chances de réussite. Cela passe souvent par une projection de ces craintes dans le domaine scolaire : savoir reconnaître rapidement des formes, savoir compter, savoir lire et écrire et apprendre correctement et le plus tôt possible.

Les aptitudes sociales, pourtant mises en avant dans la majorité des projets d'établissement de la petite enfance et des écoles maternelles sont bien trop souvent vite abandonnées au profit de la préparation à la lecture et l'écriture, qui correspondent à une demande sociale forte. Les enfants sont sans arrêt mis en situation de « préparer l'étape suivante ». Les acteurs éducatifs de la petite enfance, qu'ils soient en crèche ou en accueils collectifs de mineurs, intervenants dans la famille ou à l'école sont confrontés à cette demande.

Comment faire progresser l'enfant, lui donner les moyens de se trouver en réussite scolaire et accompagner les parents dans la place qu'ils cherchent, ou lorsqu'ils sont perdus. Or, lorsqu'un référent de l'enfant, autre que les parents, intervient ou conseille, cela se passe souvent lorsqu'une difficulté est déjà observée. L'intervention de l'adulte peut alors sous-entendre pour les parents que l'enfant ne développe pas les compétences nécessaires à sa réussite, et que le parent ne l'accompagnerait pas bien dans son développement en vue d'un « bon » parcours scolaire.

Même si nous savons que les origines des problèmes sont complexes, il est souvent très difficile d'échapper au jugement, qui plus est quand la situation est renforcée par un fort décalage socioculturel entre l'acteur éducatif et le parent. En outre, les institutions nous renvoient souvent encore une image d'un « bon parent » et les dispositifs sont là pour que nous aidions les parents défaillants à être « accompagnés dans leur parentalité » à reconstruire. Nous pouvons donc nous sentir piégés par ces représentations de ce que doit être un bon parent et par nos fonctions qui nous font injonction de les aider. Comment construire une relation de confiance dans un rapport de hiérarchie induite ? Comment des professionnels qui, par exemple, aident des parents dans des dispositifs d'accompagnement à la scolarité pourraient-ils devenir des partenaires « au même niveau » dans d'autres propositions de moments de partage, des moments entre citoyens, qui permettent d'appréhender de manière différente la société de demain.

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La légitimité des parents

« Il pleure quand je le couche le soir et je ne sais pas si je dois le laisser pleurer, lui laisser le temps de se calmer, ou si je dois le reprendre dans mes bras ? » Ma réponse la déconcerte: « Je ne sais pas, qu'est-ce que vous en pensez, vous ? » S'engage alors une discussion entre la mère et moi, dans laquelle nous échangeons nos expériences et dans laquelle nous évoquons le besoin de se rassurer entre ce que l'on entend, ce qu'il faut et ne faut pas faire et les besoins de nos enfants.

Nous savons que la place des parents est primordiale dans l'éducation des enfants même si les enfants eux-mêmes passent l'essentiel de la journée dans d'autres contextes éducatifs. Nous, accueillants, devons réfléchir à cette place primordiale des parents mais aussi à la non conscience de certains parents de l'importance de celle-ci.

Pour autant, et sans paradoxe, je crois qu'il est important de réaffirmer que, en tant que professionnels, nous ne sommes pas les parents des enfants que nous accompagnons. Quand l'enfant arrive dans l'espace que nous animons, nous avons un regard partiel et différent. Affirmer et réaffirmer au parent sa place fondamentale par ces petites phrases du quotidien, dans les phases de transition du début et de la fin de journée, dans cette reconnaissance des progrès des petits et des plus grands, dans chaque étape de leur développement. Nous sommes là pour tenter d'être dans une continuité éducative, même si chaque lieu, chaque espace, répond à des besoins complémentaires pour la construction de l'enfant.

Nous devons avoir conscience de l’importance de la parole des parents, même si elle est parfois peu fréquente. Les quelques phrases qu'ils nous disent quand ils déposent leur enfant sont source d'informations sur ce qui s'est passé pendant la nuit, ou avant leur arrivée.

L'enfant étant influencé par les différents événements qui lui arrivent, il est important pour ceux qui s'en occupent d'être informés de cette histoire , et de raconter ensuite le soir aux parents les éléments importants de la journée vécue. Nous avons souvent différentes traces de ce qui est vécu - tableau, cahier, images - mais je pense qu'il faut que les choses soient nommées, dites, en présence de l'enfant. Le lien verbal et la confiance partagée résonnent entre les adultes référents.

Reconsidérer la relation aux parents

Et si la piste principale à privilégier était le fait de prendre du temps avec les parents ? Du temps pour que la relation se crée, pour que les espaces proposés puissent être apprivoisés. Du temps pour mieux s'écouter, s'appréhender, se connaître et se reconnaître. Un temps nécessaire pour que les individus se regardent, soient de plus en plus à l'aise, ne se jugent plus, fassent tomber les représentations si difficiles à déconstruire. Cette exigence de prendre le temps s'adresse à nous acteurs éducatifs mais aussi aux institutions pour lesquelles nous agissons. Comment concilier les demandes institutionnelles et notre volonté de professionnels de terrain, qui, au plus près des réalités du quotidien des citoyens avec lesquels nous vivons et travaillons avons l'envie de « bien faire », d'aider, d'accompagner, de valoriser, d'appréhender, de comprendre. Nos projets sont parfois déconnectés de tout cela car en décalage avec la réalité sociale. Il serait naïf de croire que d'autres paramètres ne sont pas en jeu ; le temps rémunéré étant « précieux », nous sommes souvent en train de prioriser son utilisation pour répondre aux demandes institutionnelles, à celles liées aux subventions reçues... Nous savons que la difficulté est moins d'être disponible pour être à l'écoute ou monter des projets que de ne pas être, au quotidien, à s'occuper d'abord de ce qui est « important » ou « urgent ». Nos réalités de fonctionnement nous amènent parfois à ne pas pouvoir faire le travail de fond nécessaire à la mise en place de cette relation aux parents. A titre d'exemple, dans les différents projets éducatifs locaux (PEL) auxquels je participe, nous sommes 90 % de professionnels à parler des enfants, de leurs parents et d e ce qui pourrait se faire pour améliorer « leurs » quotidiens. Mais les principaux concernés sont largement minoritaires et très peu écoutés, quand ils ne sont pas tout simplement absents. On parle en leur nom en étant sûr de dire « vrai », qui plus est. Co-construire, co-éduquer, deux notions qui semblent simples à définir et si complexes à mettre en œuvre. Je pense que prendre en compte les parents, ce qu'ils ont à dire, ce qu'ils pensent, passe par trouver davantage de moyens et d'espaces pour les associer, construire en commun et échanger autour de leurs enfants. De faire, ensemble, société.


Cet article est issu de la revue Les Cahiers de l'Animation Vacances - loisirs