Espaces de jeu à préserver

Les espaces de jeu dans lesquels les enfants peuvent simplement jouer et s’organiser entre eux sont des lieux d’apprentissage de l’autonomie et du vivre ensemble
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Média secondaire

Il y a parfois des circonstances et des croisements de situations qui amènent à mettre en lumière des réalités que nous percevons au quotidien sans vraiment les remarquer et qui pourtant ont des incidences importantes sur notre mode de vie et d’éducation. En repassant dans le hall de l’immeuble de mon enfance, mon regard fut attiré par le panneau d’affichage à l’attention des résidents, sur lequel le syndic rappelait que les jeux des enfants étaient interdits sur la copropriété et que les parents étaient responsables de la sécurité de leurs enfants. La résidence a un jardin central, sur lequel donnent les fenêtres des bâtiments. Des arbres et de gros buissons de lauriers-roses y poussent. Les enfants de l’immeuble le fréquentaient assidument lorsque j’étais petit. Nous nous y retrouvions pour jouer ensemble, faire du vélo dans les allées, discuter, parfois nous disputer… Le panneau du syndic m’agaça et je repensai à la richesse de ces moments passés au jardin : «Maman, je vais jouer en bas ! » Je me remémorai mes copains, nos jeux, la bordure sur laquelle je prenais appui lorsque j’ai appris à faire du vélo… Mais après ces souvenirs, je m’interrogeai sur l’évolution de la société qui avait amené à une interdiction aussi aberrante.

Lorsque j’étais enfant, si l’un de nous s’était fait mal à une branche, il ne serait pas venu à ses parents, l’idée saugrenue d’en rendre responsable quelqu’un d’autre. Quand un de mes copains s’est fait retomber sur le pied une grille d’évacuation d’eau de pluie, qu’il avait soulevée pour chercher une bille, ses parents l’ont soigné et n’ont porté plainte contre personne. Le règlement intérieur actuel et les interdictions qui en découlent me paraissent directement liés à la judiciarisation de notre société et la recherche systématique de responsables. S’il est interdit d’aller, dans le jardin, que les enfants y vont quand même et se font mal, la copropriété est pénalement à l’abri. Cette dérive n’est pas une volonté d’interdire en soi, mais une protection contre d’éventuelles poursuites. Une évolution de la société, dont nous sommes collectivement responsables et qui a des conséquences éducatives multiples.

Cemea
Je ne peux m’empêcher de mettre en parallèle à cette interdiction faite aux enfants de jouer dans l’espace collectif, l’apparition d’un créneau commercial d’un nouveau genre. Il y a quelques mois, dans la petite ville où je réside, un parc de jeux a ouvert dans les locaux désaffectés d’un ancien supermarché. L’argument de vente étant que l’espace est fermé, surveillé, avec des jeux homologués et que les enfants y sont donc entièrement en sécurité. L’entreprise semble prospérer et l’on retrouve des initiatives du même genre dans bien d’autres communes. La nature a horreur du vide et face au besoin des enfants de se retrouver, ce sont des entreprises commerciales, qui jouant sur l’insécurité ambiante, y ont apporté une réponse. L’initiative est maligne et rentable. Elle pourrait paraître sympathique ; après tout, cela permet aux enfants de jouer ensemble en toute sécurité et ils s’y amusent certainement. Mais ces espaces me paraissent dépasser la simple attraction et opportunité de jeu supplémentaire, comme lorsque l’on va à Luna Park. Ils semblent se positionner en remplacement d’espaces collectifs ouverts, qui ont tendance à se réduire partout pour les enfants. Ces structures de proximité se situant au quotidien, dans une logique consommatoire de la relation et du jeu.

Je pense que la dimension éducative d’un espace permettant de se retrouver pour simplement jouer, doit être prise en compte dans le temps de l’enfant. Les Projets éducatifs territoriaux qu’élaborent les communes dans le sillage de la réforme des rythmes scolaires doivent s’interroger sur l’existence d’espaces de jeux libres. Il me semble important que puissent être mis en place des lieux et des temps permettant aux enfants d’être entre eux pour des activités non formelles. Hors, le périscolaire, qu’il soit après la classe ou le mercredi après-midi, est presque exclusivement composé d’activités proposées, gérées et encadrées par des animateurs.

Actuellement, il est beaucoup question de l’apprentissage du vivre ensemble. Mais quand les enfants ont-ils la possibilité de s’organiser, de se gérer, d’être autonomes dans les activités et de partager leur vécu, sans que l’adulte ne dirige le tout ? Cette autonomie joue un rôle essentiel dans la découverte de l’autre. Or les adultes ont tendance à systématiquement diriger et organiser toutes les activités, avec comme argument la sécurité et le bon fonctionnement du groupe. La présence de l’animateur limitant la possibilité de désaccords et de conflits entre enfants. On ne risque pas de se disputer pour savoir à quoi ou avec qui on va jouer, puisque c’est l’animateur qui décide. Pourtant, la gestion entre enfants de ces questions constitue un véritable apprentissage de la prise en compte de l’autre et du savoir être. Le rôle des animateurs dans la gestion d’espaces libres de jeu est différent et plus complexe. Gérer des espaces dans lesquels les enfants peuvent jouer librement, c’est savoir mettre à disposition un environnement qu’ils pourront s’approprier et transformer en fonction de leurs jeux. Il faut aussi que tout en laissant les enfants s’organiser, les animateurs puissent être présents en cas de besoin. Il est beaucoup plus facile de tout diriger.

Jouer simplement entre enfants est une activité fondatrice et de toujours, qui contribue à l’apprentissage de la relation à l’autre. Un environnement éducatif, qu’il est aujourd’hui, impératif de préserver.