A table...

Manger est une activité multiple, dans laquelle l'humain et le culturel se mêlent à l'éducatif.
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- Humm, j’aime beaucoup les fraises…

s’exclama Jordan. Nous étions attablés pour le repas de midi dans ce centre de vacances maternel, que je dirigeai près d’Etretat.

L’affirmation réjouie de ce petit garçon de quatre ans m’intrigua, car rien sur la table ne pouvait faire penser à des fraises. En demandant à Jordan, pourquoi il me disait cela, je me rendis compte, que ces « fraises » étaient en réalité des morceaux d’ananas frais… Un grand mystère…

Jordan continua à parler de nourriture et je découvris qu’il avait fait du mot « fraise » un générique qui pouvait s’appliquer à tout type d’aliment qui sortait de son ordinaire et qu’il aimait bien. Cet épisode fut bien entendu un déclencheur, qui nous amena à parler souvent avec lui en portant une attention particulière au lien entre mots, aliments et saveurs.

Cemea

Si cette anecdote est particulière, elle me semble néanmoins poser de manière représentative les enjeux du repas en termes d’apprentissages culturels, sociaux et de relations.

Jordan vivait un repas partagé, dans lequel il se trouvait confronté à des aliments diversifiés avec des interlocuteurs à l’écoute. Une alchimie, qui lui a permis de pouvoir remettre en cause ses représentations erronées,apprendre, construire, s’approprier et créer des liens de sens.

Le temps du repas permet de mettre en situation et de manière affective des mots, des réalités et des perceptions, mais également d’apprendre à maîtriser des gestes spécifiques. Des compétences globales et en lien, qui permettent d'être ensuite en capacité de réinvestir, regrouper, se projeter, abstraire...

Cemea

Les repas partagés sont de formidables moments d’éducation, dans lesquels les adultes ont un rôle d’accompagnement essentiel.

Mais pour apprendre, il est nécessaire d’éviter un entre soi, des situations répétitives et cloisonnées dans lesquelles rien ne vient perturber ses habitudes et ses repères et qui peuvent amener à assimiler poisson et panure ou pomme et golden. Un entre soi de circonstance ou communautariste, qui peut également amener à rejeter, par méconnaissance et repli, d’autres formes de culture et de pensée véhiculées par l’alimentation. La nourriture est un vecteur de relation fort, que l’on retrouve dans toutes les civilisations. Le lien affectif aux autres et à ce que l’on mange et n’est pas neutre.

Le rapport humain qui s’établit autour de l’alimentation dépasse largement son aspect utilitaire.

Un jour Jade, une élève que j’avais en classe, en sortant de la cantine m’offrit une mandarine. Je lui dis que c’était très gentil, mais qu’il fallait que ce soit elle qui la mange. Elle insista avec force, en me disant qu’elle en avait déjà mangé une et que celle-là était en plus et pour moi. Je mangeai donc la mandarine. Puis, la classe repris. Quand je demandai qui avait trouvé une autre manière de résoudre la situation problème sur laquelle nous étions en train de travailler, Jade leva le doigt, prit la parole et déclara: "Elle était bonne, Hein… la mandarine… "


Vers l'Education Nouvelle (n° 573, janvier 2019)

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