Balkan party : festival où les participants deviennent co-créateurs

Les rôles et les frontières entre scène et salle se confondent, s’échangent, se complètent. Focus sur ces expériences artistiques d’un nouveau genre.
Depuis deux jours déjà, un village niché entre Grenoble et Chambéry connaît une activité inaccoutumée. Éparpillés par grappes de quatre, huit ou dix personnes sur les flancs de la montagne, on écoute ou joue de la musique venue des Balkans. On danse, on improvise avec des gens que l’on ne connaissait pas la veille.
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En ce mois de septembre 2022, ils étaient quatre-vingts participants à la Balkan Party, un festival autogéré, porté par l’association lyonnaise, À l’Ouest des Balkans. Tour à tour interprètes ou spectateurs, convives ou cuisiniers, tous se retrouvaient là prêts à aider, participer, portés par l’envie commune de se rencontrer autour de traditions musicales venues de Grèce, de Turquie et d’ailleurs...

L’art en résidence

Partager, se rencontrer. Là est peut-être ce qui relie ces festivals, ateliers d’écriture, théâtre, chants ou street art qui s’organisent chaque semaine, pendant les vacances, en colos, en classes, dans des institutions médico-sociales... Accompagnés par des personnels éducateurs, médiateurs et des artistes, enfants et adultes sont invités à vivre des moments hors du temps. Voilà sept ans maintenant que l’école Chappe, une école maternelle à Saint-Etienne située en Rep (Réseau d'éducation prioritaire), accueille en résidence des plasticiens, photographes et street artistes. Pour son directeur, Jérémy Rousset, « la résidence permet aux enfants de comprendre que les artistes sont de vraies personnes avec une histoire, de discuter avec elles et de participer aux créations.

L’EAC éducation artistique et culturelle c’est cette proposition de vivre une expérience esthétique authentique qui met en mouvement et fait tomber des murs.» Et les murs ici sont plus beaux qu’ailleurs. Dans les couloirs, les classes, la cour de récréation, ils sont couverts d’œuvres d’art. « Les enfants en sont les personnages et parfois les co-créateurs. Ils en réalisent aussi les cartels. Et chaque année, ils élisent leurs œuvres préférées. Cela donne lieu à des tractations parfois tendues», poursuit le directeur. Se réunir autour d’une œuvre aide à mieux se connaître, à se faire confiance et à accepter les différences.

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À la Roche-sur-Yon (85), ce sont des auteurs et des autrices que la maison Gueffier de la Scène nationale du GrandR invite dans le cadre de « résidences de rencontres », une appellation qui contraste avec les résidences, plus classiques, « de création ».

« C’est notre choix. Les artistes qui rejoignent le projet sont travaillés par le désir de briser la glace avec le public, notamment celles et ceux qui sont éloignés de la littérature », explique Eloïse Guénéguès, responsable de la Maison de la littérature. Durant une semaine, lors d’ateliers d’écriture, de lectures et de performances, ils partent donc à la rencontre des écoliers et lycéens, de personnes en réinsertion, incarcérées, arrivées récemment en France, ou tout simplement éloignées géographiquement des lieux de spectacle.

« Comment créer ce déclic, faire en sorte que quelque chose se passe pour de vrai entre l’artiste et les gens qui sont là ? », poursuit la responsable. Bien sûr, il y a l’organisation de la salle, le choix du lieu, chez l’habitant notamment, pour que tout le monde soit « à la même hauteur » et faciliter la prise de parole. L’émotion  de movere, ce qui meut, fait sortir de soi  doit être au rendez-vous comme dans ces « exercices d’admiration » où l’auteur·trice s’ouvre sur ce qui nourrit sa création et l’inspire, écoutant à son tour ce qui émeut ou inspire les participants.

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Donner le goût d’oser

Les ateliers d’écriture qu’anime Sophie Dugast sont une brique maîtresse de ce dispositif : « Je sens que j’ai fait mon travail de médiatrice quand je vois que les gens prennent du plaisir à écrire » explique-t-elle.

Les propositions d’écriture que je fais servent à leur redonner le goût d’oser, d’expérimenter une pratique, sans objectif de réussite. Si le cadre y est, en général, ça passe. » Pour que chacun s’autorise à « oser », bienveillance et non-jugement sont les conditions pour que s’établisse la confiance au sein du groupe. « S’écouter soi, écouter les autres, poser d’abord quelques mots, jouer avec, puis quelques phrases, découvrir qu’il y a mille et une façons de raconter une histoire, entendre son texte lu par un autre que soi, sont des moments qui font bouger les lignes, poursuit Sophie Dugast. On y expérimente un autre rapport à soi, aux œuvres et aux autres. »

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Dans son atelier de théâtre pour pré-ados à Argenteuil ou quand il rejoint comme bénévole le centre de jeunes et de séjours du festival d’Avignon, le comédien et metteur en scène Jacques Frot veut faire vivre à l’ensemble,des participants des expériences théâtrales aussi diverses que possible. « Je propose des ateliers, et non des cours, car en atelier, on expérimente, on vit quelque chose de l’intérieur, à plusieurs », explique -t-il.

Je propose des ateliers théâtre, et non des cours, car en atelier, on expérimente, on vit quelque chose de l’intérieur, à plusieurs.

Jacques Frot, comédien et metteur en scène

Improvisations, découverte du répertoire contemporain ou classique, slam viennent aussi nourrir l’expérience de spectateur. « Travailler sur la mise en scène, la façon de poser sa voix, la progression dramatique d’une pièce permettent de regarder autrement ce qui se passe sur scène. J’observe que les ados qui ont fait du théâtre se sentent plus libres de se faire un avis sur ce qu’ils vont voir au théâtre. » Y compris quand il s’agit de pièces du répertoire classique. « Dans les parcours que je propose, j’intègre toujours les classiques. S’ils sont entrés au répertoire c’est parce qu’ils nous parlent de nous aujourd’hui, de notre société, de notre humanité. Ils font partie d’un patrimoine commun qui fait référence. Personne ne doit en être exclu, car on doit tous pouvoir se parler. » Mais comment faire quand les grandes œuvres intimident au point d’exclure ? « Je cherche à lever ces a priori du ça n’est pas pour moi, poursuit Jacques Frot.

Pour cela, j’invente des propositions qui intriguent les stagiaires, qui nourrissent leur curiosité avant le spectacle. L’important, c’est de les mettre en position active et, en désir, même si bien sûr je ne peux pas tout ! » Quand il y a de nombreux personnages aux relations complexes qui peuvent brouiller la compréhension, Jacques propose des improvisations à partir des personnages identifiés par quelques traits caractéristiques et une ou deux répliques imposées.

« Quand ils arrivent au théâtre, les jeunes se sont familiarisés avec les rôles, ils ont aussi projeté un imaginaire et ça aiguise leur curiosité. Mais bien sûr, on avance par paliers, pas à pas » Un constat que partage la médiatrice d’écriture Sophie Dugast : « Quand on intervient en prison, chaque atelier est différent. Mais c’est mieux quand on peut se voir régulièrement, cultiver la confiance dans le groupe et la bienveillance envers soi. Alors, ce sont des imaginaires qui se déploient, la possibilité du dialogue, de la rencontre... Mais pour cela, il faut prendre le temps. »