D’inspiration rousseauiste, cette pédagogie affirme la confiance fondamentale dans les enfants et leur capacité de faire des choses avec l’aide de l’adulte mais sans qu’il ait nécessairement à poser un cadre.
Libres enfants de Summerhill de Alexander S. Neill
Au rayon pédagogie, les succès de librairie sont rares. Libres enfants de Summerhill fait partie du cercle fermé des exceptions à la règle. L’ouvrage, publié en 1960 aux États- Unis et en 1970 en France aux éditions Maspero, rencontre d’emblée un large public. Il suscite le débat quand ce n’est pas la controverse. Le ton, volontiers transgressif et provocant, irrite ou séduit. Surtout, le propos résonne avec l’époque. L’expérience éducative de Neill questionne les conceptions traditionnelles de la société : famille, religion, sexualité… éducation. Il fera écho à la révolution des mœurs enclenchée par les jeunesses occidentales contestataires dans les années soixante.
Neill fonde Summerhill en 1921. L’école s’installe à Leiston, en Angleterre, où elle fonctionne encore aujourd’hui. Elle y accueille en internat une cinquantaine d’enfants, filles et garçons, de 6 à 16 ans. Sa caractéristique première est la liberté, à commencer par la liberté d’aller ou de ne pas aller en classe. L’auteur rapporte des exemples d’enfants ayant mis de nombreux mois – et certains des années – avant de mettre ou plutôt remettre les pieds en classe. Notamment les enfants qui rejoignent Summerhill à l’adolescence après des parcours chaotiques dans les écoles traditionnelles où la pratique des châtiments corporels était encore à l’ordre du jour. L’école de Summerhill, privée et payante, accueille pour partie des enfants en difficulté, issus de familles bourgeoises, mais aussi, au fil du temps, des enfants dont les familles choisissent Summerhill en connaissance de cause, certains venus de l’étranger avec la reconnaissance internationale grandissante de l’école.
Les inspirations de l'école de Summerhill
Si la liberté dans sa plus grande radicalité est revendiquée par-dessus toute autre valeur, Neill répète souvent qu’elle n’est pas l’anarchie. D’une part, les adultes qu’ils soient professeurs ou surveillants d’internat, protègent les enfants des dangers qu’ils ne connaissent pas. Et d’autre part, l’école fonctionne avec les règles que la petite communauté réunie se donne à l’occasion des assemblées générales du samedi soir. D’inspiration rousseauiste, cette pédagogie affirme la confiance fondamentale dans les enfants et leur capacité de faire des choses avec l’aide de l’adulte mais sans qu’il ait nécessairement à poser un cadre. C’est le « self governement » où une voix d’adulte vaut une voix d’enfant, ce qui suppose que les adultes puissent être mis en minorité.
L’inspiration de Neill est libertaire et freudienne. Le psychanalyste de formation place la sexualité refoulée comme clef d’explication principale des troubles des enfants qu’il accueille et plus largement des désordres de la société. Le lecteur contemporain peut être surpris de ce prisme quasi obsessionnel d’un discours qu’il faut resituer dans son époque. Mais Neill sait aussi anticiper les évolutions. « Les méthodes anticonceptionnelles devraient, à la longue, mener vers une morale sexuelle nouvelle. »
Si le livre, révolutionnaire et transgressif, est donc daté, Libres enfants de Summerhill donne à penser le chemin parcouru depuis cette époque où des bases de l’Éducation nouvelle ont été posées. Autant qu’il nous invite à revisiter nos pratiques à une époque où les dérives sécuritaires, la surveillance de l’enfant en continu, le refus de la prise de risque prennent le pas sur une pédagogie des Lumières qui fait fondamentalement confiance à l’enfant. L’occasion de redécouvrir combien le travail essentiel des éducateurs et des éducatrices réside dans la mise en place d’un milieu propice à l’épanouissement.
Alexander S. Neill,
Éd. La Découverte, 2004
1ère Éd. Maspero, 1970
Citations
p 65 : "Je n’ai jamais vu d’enfant paresseux. Ce qu’on appelle de la paresse est ou un manque d’intérêt, ou de la mauvaise santé. Un enfant en bonne santé n’est jamais oisif ; il fait toujours quelque chose."
p 21 : "Une école où l’on force des enfants actifs à s’asseoir devant des pupitres pour étudier des matières inutiles est une mauvaise école. Une telle école n’est bonne que pour ceux qui croient en son efficacité, c’est-à-dire pour ces citoyens sans imagination, qui veulent des enfants dociles…"
p 22 : "Nous décidâmes donc ma femme et moi d’avoir une école où nous accorderions aux élèves la liberté d’expression. Pour cela il nous fallait renoncer à toute discipline, à toute direction, toute suggestion, toute morale préconçue, toute instruction religieuse quelle qu’elle soit. […] Ce dont nous avions besoin, nous l’avions : une croyance absolue dans le fait que l’enfant n’est pas mauvais, mais bon."
Bio express
Alexander S. Neill naît en 1883, en Écosse dans une famille d’instituteurs. Pendant la Première Guerremondiale, il est employé comme instituteur, mais remet en question le système et sa conception de l’autorité. Son livre, Journal d’un instituteur de campagne, raconte cette période. Dans les années 1920, il participe à la Ligue internationale pour l’Éducation nouvelle. En 1921, Neill fonde Summerhill, une école libertaire, près de Dresde en Allemagne. En 1927, suite à des contestations et difficultés politiques, l’école déménage en Angleterre, près de la ville de Leiston. Neill dirigera Summerhill jusqu’à sa mort en 1973. Il sera remplacé par Ena Woof, sa seconde épouse jusqu’en 1985, puis par sa fille Zoe Readhead, l’actuelle directrice de l’école.