LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

"Graine de crapule" de Fernand Deligny

Retour sur ce célèbre recueil, une figure de référence pour les éducateurs, les psychologues et les psychiatres qui travaillent auprès des enfants.
Média secondaire

Mais d’où vient le succès de ces aphorismes et historiettes que Fernand Deligny décida de rassembler alors qu’il dirigeait en 1943 un « centre d’accueil et de triage » de jeunes ? Quatre-vingts ans après, ces petites phrases circulent de bouche à oreille, sont affichées dans les lieux de formation et font toujours référence. On continue à puiser dans ces textes drôle,contradictoire ou énigmatiques et à s’y référer pour lancer une séquence ou en exergue d’une intervention pédagogique.

Ils provoquent, consolent quand on doute, et font douter quand on est trop sûr de soi. Des phrases ciselées saisissent sur le vif des situations éducatives et des réalités. Parce que les chemins des enfants ne sont ni attendus ni prévisibles comme auteur et pédagogue, Fernand Deligny se refuse à figer qui que ce soit dans une vérité définitive ou conformiste. Il est pour cela trop attaché à la liberté de chacun. "Il ne s’agit donc pas de méthode, je n’en ai jamais eu", explique-t-il à propos du dispositif  "La grande cordée" quand, avec Henri Wallon, il proposa à des jeunes en errance une expérience de cure libre. "Il s’agit bien, à un moment donné, dans des lieux très réels, dans une conjoncture on ne peut plus concrète, d’une position à tenir [...] À chaque fois, elle était cernée, investie et je m’en tirais comme je pouvais, sans armes et sans bagages et toujours sans méthode."

Se méfier des évidences

Résister aux normes instituées jusqu’à accepter la contradiction ou l’impasse, poursuivre son élan et tenir un cap, sans se lasser, y compris devant les pires obstacles, mais savoir aussi parer au plus pressé, faire preuve de pragmatisme et s’adapter à des situations que l’on ne maîtrise pas, tels sont quelques-uns des fils que tire cet « amateur de cerf volants. » Pour autant, il importe de tenir le vent, d’égayer « d’un point de couleur vive le ciel le plus gris » qui peut s’abattre parfois sur l’éducateur.

Graine de crapule ou l’amateur de cerf-volant accepte que les fils s’emmêlent, des plus colorés aux plus ternes. C’est un livre ressource, parfois espiègle, qui aide à mettre en perspective ses pratiques, à faire le tri ou un pas de côté, à laisser reposer quand une situation a « mal tourné », à transformer sa colère en énergie, son découragement en fabrique de créativité. Cet ouvrage amène le lecteur à retrouver cet enthousiasme premier, fondateur de la relation pédagogique et porteur de cette folle promesse sans garantie qui est de voir « prendre feu les brindilles ». Le chemin est sinueux, à l’image de celui de Fernand Deligny, au parcours résolument non conforme. Il se fait en marchant, invente des passages pour une éducation à la liberté qui se cultive au jour le jour... comme une graine de crapule.

Citations

  • Page 34 : « N’oublie jamais de regarder si celui qui refuse de marcher n’a pas un clou dans sa chaussure. » 
  • Page 38 : « Avant de t’indigner, rappelle-toi de quoi tu étais capable lorsque tu avais leur âge. » 
  • Page 38 : « Si tu joues au policier, ils joueront aux bandits. Si tu joues au bon dieu, ils joueront aux diables. Si tu joues au geôlier, ils joueront aux prisonniers. Si tu es toi-même, ils seront bien embêtés. » 
  • Page 54 : « Construire un château fort, jeu merveilleux ou travail d’esclave. Tout est dans la manière. »

Biographie

Fernand Deligny (1913 – 1996) est un éducateur, écrivain et réalisateur. Il est une référence pour l’éducation spécialisée, s’opposant à la prise en charge asilaire des enfants difficiles, délinquants ou autistes. En 1936, il devient instituteur et se spécialise dans l’enseignement des enfants dits « arriérés ». En 1948, création de La grande cordée, organisation expérimentale de « cure libre » pour adolescents psychotiques et délinquants envoyés en apprentissages professionnels dans des familles d’accueil. À partir des années 1960, il travaille à la clinique de la Borde. Pour Fernand Deligny, le cinéma est un outil pédagogique, artistique et politique.