Atelier : Le cinéma dans la prison pour l’évasion de l’esprit

Lorsque l’on tape prison et cinéma dans un moteur de recherche, la grande majorité des résultats renvoie à des films qui traitent du sujet de la prison. L’inverse, c’est-à-dire la présence du cinéma dans les prisons, n’est quasiment pas évoquée.
Média secondaire

Partie 1 – La thématique : utiliser le cinéma comme un outil pédagogique

La télévision apparaît dans les prisons en 1985, sous l’initiative de Robert Badinter qui est alors Garde des sceaux. Si le cinéma entre dans les prisons, aucune médiation n’est pensée autour de celui-ci à cette époque.

Au début des années 90, les établissements pénitentiaires fabriquent leurs propres films en s’appuyant sur des initiatives diverses pensées spécialement pour l’occasion. Par exemple, des ateliers spécialisés dans le cinéma prennent forme, comme l’atelier vidéo de la prison parisienne de la Santé.

Ces ateliers peuvent même s’assortir d’une formation aux métiers du cinéma pour les détenu.e.s, comme c’est le cas pour la prison des Baumettes avec le collectif Lieux Fictifs. C’est dans ce cadre que naît 9m² pour deux, un film tourné entre avril 2002 et janvier 2003, et réalisé par Joseph Cesarini et Jimmy Glasberg. Il présente le quotidien de dix détenus qui vont à la fois jouer dans le film et participer à sa réalisation.

En 2006, la sortie de l’édition DVD de 9m² pour deux, est l’occasion de se questionner sur le projet en lui-même. Les films tournés en prison se centrent généralement sur la proximité, la cohabitation, la contrainte, l’enfermement, les corps ou la perception de soi… Ce sont des sujets récurrents propres au quotidien des prisonnier.ère.s dans lesquels ils et elles peuvent se retrouver facilement.

Suite au film, un livre paraît alors, évoquant les conditions de tournage ainsi que les dimensions pédagogiques de ce projet porté par Lieux Fictifs. Cet exemple nous permet de comprendre que si une médiation est souvent pensée autour d'œuvres produites en prison, les objets cinématographiques qui sont présentés en prison ne vont pas bénéficier du même traitement.

En effet, il existe très peu d’exemples de médiation autour des films diffusés et / ou accessibles dans les établissements pénitentiaires. L’utilisation de films, comme outil pédagogique est très important. En effet, les films sont porteurs de sens et sont des objets pouvant être utilisés afin de créer des débats et des ateliers participatifs.

De plus, au-delà de constater un réel manque dans les prisons, ce parcours a pour objectif de travailler auprès de publics dits « fragilisés », et souvent exclus des dispositifs culturels. C’est dans ce cadre que nous vous proposons ci-dessous, un exemple de médiation cinématographique en direction de prisonnier.ère.s.

Partie 2 – Mise en pratique

Titre de l’activité : Ciné-débat en milieu carcérale

Publics cibles : priosnnier.ère.s volontaires

Durée :

  • séances « ciné-débats » de 3-4h

  • 1h d’atelier « écriture de critiques de film »

  • Puis suivie sur le long terme des prisionner.ère.s volontaires

Intevernant.es :

  • 2 médiateur.rices

  • Personnels de la prison (directeur.rice, gardes,...)

Objectifs généraux :

  • Donner aux détenu.es les moyens d’acquérir une culture cinématographique

  • Favoriser le débat et l’échange pour développer l’esprit critique

  • Faciliter les échanges entre les détenu.es et le personnel de prison

  • Maîtrise les techniques de rédaction d’un article/ critique de cinéma et s’adapter aux contraintes journalistiques

Les objectifs de ce parcours, sont centrés autour des notions d’interaction et d’échange. Pour cela, des séances cinématographiques seront organisées auprès des détenu.e.s. A l'issue de ces projections, des débats seront organisés autour des thèmes abordés dans les films. Ces échanges animés par un.e médiateur.rices, se veulent le plus participatif possible, permettant à chaque détenu.es de pouvoir s’exprimer et être écouté.

Valorisation des travaux :

Dans ce contexte, les séances permettront de mettre en valeur la production culturelle de détenu.e.s, ici des articles/critiques de cinéma, et valoriser les individus qui participent à la production culturelle sur le territoire national français. D’autre part, cela permet de déconstruire les préjugés que l’on peut avoir sur la prison et les prisonniers.ères. Ainsi, ils pourront être identifiés comme individus à part entière et non plus restreints à un simple aspect carcéral. De plus, cette démarche pourra s’inscrire dans un processus de réinsertion grâce à la diffusion de leur production en dehors de la prison. Cette expérience, de par sa trace écrite, permettra de laisser une empreinte pouvant notamment être valorisée sur un CV.

Cadre de mise en œuvre:

Il est nécessaire de préciser que cette démarche, tant la participation aux ateliers que la production écrite d’articles/critiques, est basée uniquement sur la volonté des participant.e.s ; cela ne doit en aucun cas être obligatoire.

Avant d’entreprendre un tel projet, il est important de prendre conscience que l'accès à l’intérieur des prisons est conditionné. Si on prend l’exemple d’un tournage, beaucoup de règles doivent être respectées par les réalisateurs ou réalisatrices. C’est la même chose pour l’organisation d’un atelier, d’une formation, au sein d’une institution pénitentiaire. Dans la grande majorité des cas, la décision dépend de la direction de la prison.

Il est donc nécessaire en amont des ateliers de prendre contact avec la bibliothèque ou l’école de la prison. Cela permet de créer un climat de confiance entre les animateurs et le personnel, disposants déjà d’une connaissance importante des lieux et des détenu.es. En effet, travailler avec un service qui est directement implanté dans la prison est un moyen d’évaluer les possibilités matérielles, mais surtout de déterminer ce qu’il est possible de proposer ou non aux détenu.e.s.

Le rôle du médiateur :

La posture occupée par le médiateur ou la médiatrice qui animera ces ateliers, est très importante. En effet, organiser un projet de ce type dans un établissement pénitentiaire s’accompagne de nombreuses contraintes administratives et structurelles. Par exemple, les horaires ou la circulation des personnes ne sont pas aussi flexibles que dans un autre cadre. De plus, le médiateur ou la médiatrice est étranger.ère au monde carcéral et il faut qu’iel trouve sa place au sein de celui-ci. Il est donc nécessaire de s’interroger sur la bonne posture à adopter et les conséquences d’une telle démarche afin qu’elle soit bénéfique pour tout le monde.

Etape 1 : Visionnage de films sur la thématique de la prison et débats (3h)

Durant cet atelier, les médiateurs.rices proposeront la projection d’un ou plusieurs films, sur le thème de la vie en prison, de manière à ce que les détenu.e.s se sentent impliqué.e.s.

Le choix des films de la première séance, ont été choisi en amont par l’équipe de médiation. A la fin de chaque atelier, les détenu.es, en accord avec les intervenat.es, choisirons les films qui seront projetés lors des prochaines séances. Cela permettra d’élargir les sujets à d’autres thématiques sociales et plus proches des détenu.es. L’implication des participant.e.s dans l’atelier, est très importante. Les laisser choisir les films ou/et les sujets des débats, permet de créer un climat de confiance et de réciprocité entres eux et l’équipe de médiation.

A la suite des projections, un temps de réaction à celui-ci sera animé par l’équipe, durant lequel chacun pourras exprimer son ressenti conduisant à un débat dynamique et riche de points de vues et de sens.

Enfin les participant.es, avec l’aide des médiateur.ices, analyserons des extraits du film, portant sur des thématiques centrées sur l’éducation aux médias ou sur des questions sociétales actuelles. Idées de sujet à aborder lors des débats : les usages d’internet, le fonctionnement d’un média, …

Chaque séance « ciné-débat » dure 3h. L’objectif étant d’organiser entre 10 et 12 séances sur une année civile, tout en prenant en compte les contraintes liées à l’établissement carcéral.

Etape 2 : Ecriture de critiques (1h)

Dans la continuité d’une médiation participative, un atelier « écriture de critique de film », sera proposé aux participant.es, à la suite des séances « ciné-débat ». L’objectif étant, de rédiger un article/une critique sur l’un des films, visionnés auparavant. Ils devront pour cela s’appuyer sur les codes journalistiques propres à un article de presse de cinéma. L’écriture de ces articles/critiques, peut se faire durant l’atelier avec les médiateur.ices, et se poursuivre en dehors de ces temps de production.

Lors du premier atelier, un temps sera consacré à la découverte, à l’explication des codes journalistique propre à chaque à médias. Il est possible de faire intervenir un.e journaliste lors de cet atelier.

Sur une année, il est possible d’organiser quatre à cinq ateliers d’écriture journalistique. Cela reste évidemment adaptable selon les besoins des participant.e.s et de l’institution pénitentiaire. Ces productions avec l’accord des détunu.es, pourront être publiées dans la revue de cinéma mensuelle Positif grâce à la mise en place en amont d’un partenariat. Les articles/critiques seront ainsi valorisées et disponibles à la lecture dans la France entière.

En effet, comme l'indiquent Eva Sandri et Lucie Alidières-Dumonceaud dans leurs travaux de recherche « Enjeux d’un dispositif de médiation culturelle en contexte carcéral : quelles situations de communication ? », une forme de production de la part des participant.e.s à l’atelier est un moyen de lui donner un sens. Sandri et Alidières-Dumonceaud présentent l’exemple de détenu.e.s ayant œuvré.e.s pour la réalisation d’audioguides au sein d’un musée. Après avoir vu et étudié des tableaux, les prisonnier.ère.s ont pu écrire et enregistrer des textes explicatifs qui étaient ensuite diffusés au moyen d’un audioguide dans l’exposition. Ceci démontre bien que cette dimension participative entraîne une véritable valorisation à la fois du travail réalisé mais aussi de l’individu impliqué dans le projet.

Prolongement et bilan

La mise en place d’une médiation participative auprès des détenu.es peut avoir de réels bénéfices en termes de réinsertion sociale. De plus, au-delà de l’acquisition de compétences utilisables à leur sortie de prison, ces ateliers seront un moyen pour les détenu.e.s d’avoir accès à une ouverture sur le monde culturel et médiatique. Il est essentiel de garantir un accès aux médias et à l’information dans les prisons afin que les prisonnier.ère.s ne se retrouvent pas coupé.e.s des préoccupations sociales qui font l’actualité. Le cinéma est un média qui permet d’aborder et d’illustrer de nombreuses questions sociétales, ce qui en fait un outil intéressant, et peut-être plus informel, pour évoquer ces thématiques en prison.

Par ailleurs, l’utilisation de plusieurs supports dans ces ateliers, est une autre façon d’en faire un objet de médiation efficace. Mêler le cinéma, les magazines spécialisés et l’écriture touche plusieurs dimensions créatives et médiatiques. Cela est utile pour faire connaître cette démarche pédagogique au plus grand nombre en dehors de la prison mais également pour toucher le plus de détenu.e.s possible.

Evaluation

Evaluer l’impact du projet auprès des déténu.es, en prenant un temps d’échanges lors de la dernière séance, peut-être judicieux. Si l’expérience se montre positive, cela peut générer le développement d’actions similaires ou nouvelles, dans d’autres établissements carcéraux en France. La conception d’ateliers innovants et multi-supports de ce type est à nos yeux essentiels pour dynamiser la médiation culturelle qu’elle prenne place en prison ou dans un autre cadre.

Bibliographie et références potentielles :

« 9m² pour deux, Chronique d’une expérience cinématographique en prison » [en ligne], Lieux Fictifs [consulté le 20 décembre 2020]. Consultable sur : http://www.lieuxfictifs.org/catalogue/edition/article/9m%C2%B2-pour-deux-chronique-d-une

« Tourner un film en prison » [en ligne], Ministère de la justice [consulté le 20 décembre 2020]. Consultable sur : http://www.justice.gouv.fr/prison-et-reinsertion-10036/tourner-un- film-en-prison-27133.html

Regnier Isabelle, décembre 2004, « Le cinéma en prison, refuge du libre arbitre », Le Monde. Consultable sur : https://www.lemonde.fr/archives/article/2004/12/04/le-cinema-en-prison-refuge-du-libre-arbitre_389686_1819218.html

Sandri Éva et Alidières-Dumonceaud Lucie, 2015 « Enjeux d’un dispositif de médiation culturelle en contexte carcéral : quelles situations de communication ? », Culture & Musées, n°26, pp.199-207.

« La prison, c’est pas du cinéma…. Et pourtant ! » : https://yakamedia.cemea.asso.fr/univers/comprendre/contre-toutes-les-exclusions/la-prison-cest-pas-du-cinema-et-pourtant