La culpabilisation, dans ce domaine comme dans bien d’autres, se révélera bien souvent contre-productive dans l’accompagnement à la parentalité.
Jeux vidéo et parents
« Il faudrait limiter voire bannir les écrans de la vie de nos enfants. Il faudrait se méfier de ses contenus violents. Il faudrait qu’ils lisent et fassent des activités manuelles à la place, comme au bon vieux temps. Il faudrait que ce média ne soit qu’un pis-aller occasionnel, et encore moins un baby-sitter. »
Les injonctions fusent sur les parents et les éducateurs, encore tout déboussolés par une activité qui n’est pourtant pas si jeune d’un point de vue générationnel – tout en l’étant dans la perspective de l’histoire des médias. Le jeu vidéo, comme tout média, ne peut échapper à la critique. Et des critiques à formuler, il y en a : abus du temps passé devant des écrans au détriment du sommeil ou d’autres activités, accès à des contenus violents, forme de dépendance causée par les boucles addictives bien connues de l’industrie… Mais alors quel discours tenir auprès des parents ?
La question de départ ne doit pas être « est-ce bien raisonnable de laisser mon enfant jouer à des jeux vidéo » mais plutôt, si l’enfant est intéressé par ce support - et ce n’est pas le cas de tous- « quel jeu puis-je lui proposer pour le nourrir culturellement ». Et après seulement « dans quel cadre ? »
Je me méfie des injonctions sous-jacentes derrière les jeux marqués du label « éducatif ». Pour la plupart ennuyeux car pensés comme des batteries d’exercices interactifs, ils nient l’intérêt autotélique du jeu et le transforment en une sorte de manuel virtuel que bien des enfants fuiront malgré l’utilisation de l’écran. Comme en littérature, les œuvres vidéoludiques recèlent en elles-mêmes des richesses, des résistances, des forces et des faiblesses mais peuvent servir dans tous les cas comme support de discussions et de relations sociales.
Des jeux vidéo dans le guide des devoirs
Or proposer des jeux-vidéo dans le guide des devoirs distribués chaque début d’année ou dans le padlet de la classe n’a rien d’extravagant. Les jeux vidéo sont une richesse. Quiconque a bâti son château imaginaire sur Minecraft, sait combien on y apprend à s’orienter, à créer, à manipuler des objets dans un espace tridimensionnel virtuel... Quiconque a navigué sur le navire de Spiritfarer avec son enfant a appris comment les jeux peuvent servir de support pour évoquer des sujets graves avec son enfant, ici la mort, tout en jouant... Quiconque s’est plongé dans les mécanismes merveilleux de Gorogoa a pu apprécier comment se construit le plaisir de chercher et de résoudre des énigmes...
On pourrait même, pourquoi pas, prendre à bras le corps les jeux commerciaux qui servent aux caricaturistes pour mieux en faire la critique (Call of duty, Fortnite...), ou tout simplement pour partager un moment de plaisir régressif (Mario Kart, jeux de plate-forme…) sans autre ambition que d’entretenir les liens sociaux à travers l’un de ces petits moments simples. Tout est possible, bien au-delà des sentiers balisés par quelques éducateurs sourcilleux, un peu trop?
Ainsi reproche-t-on au jeu vidéo et au jeu de « prendre la place » d’autres activités présumées plus riches -bien souvent la lecture- comme si aucun jeu vidéo ne contenait de passages écrits à lire ou de trame narrative et comme si les enfants d’antan qui n’aimaient pas lire n’avaient jamais fui cette activité associée à leurs souffrances scolaires pour jouer à d’autres jeux... Une contradiction, si l’on y réfléchit bien, avec les pédagogues de l’Education nouvelle et notamment ceux qui défendent le jeu comme moyen d’apprentissage culturel, social, biomécanique... Cette contradiction provient souvent d’une connaissance superficielle de « l’iceberg » que représente ce média : sous sa partie émergée empreinte de grosses productions industrielles, se cachent des milliers de créations originales.
C’est seulement après avoir discuté autour de toutes ces potentialités que viennent assez spontanément les discussions autour des limites. Certains parents, libérés du poids du jugement moral, admettent leurs difficultés pour réguler cette activité et sont demandeurs d’éclairages ou d’avis sur les limites à fixer. D’autres, réfractaires et méfiants face à ce média, cherchent à redéfinir leurs règles à la lumière de ce regard singulier que je leur propose, voire à découvrir certains jeux.
Quelques préconisations pédagogiques pour sélectionner les jeux-vidéo
- comme dans les autres médias ou supports de création artistique, rien n’est neutre, tout ne se vaut pas et nécessite donc un recul critique de ceux qui s’intéressent à l’éducation
- comme toute activité, les jeux vidéo ne peuvent être la seule porte d’entrée proposée à des enfants pour grandir et s’émanciper, ce qui implique souvent, pour lutter contre le pouvoir hypnotique des écrans, de fixer des cadres et une limitation du temps de pratique
- les consoles sont à utiliser exclusivement en famille pour les enfants de moins de six ans et sont à bannir avant trois ans, comme tout écran, ainsi que le préconise la règle du « 3-6-9-12 » proposée par SergeTisseron.
Cette approche est plutôt confortée par les récentes recherches de l’Inserm sur les écrans. Dans la publication du 29 août 2023 de la revue Journal of child psychology and psychiatry, les chercheurs relativisent grandement l’impact des écrans sur les retards des enfants. Tout en mettant en garde contre les situations de consommation extrêmes, les résultats leur permettent d’insister surtout sur le contexte d’utilisation : la consommation d’écrans en mangeant un repas en famille, par exemple, parce qu’elle diminue les interactions sociales, aurait par exemple un impact strictement opposé à une pratique active aux côtés d’un adulte qui, au contraire, le stimulerait par des interactions.
Une nouvelle fois, les intuitions de l’Education nouvelle semblent donc vérifiées par les sciences : quelle que soit l’activité, l’accompagnement plus ou moins actif des éducateurs joue un rôle primordial dans la sécurisation des enfants, leur accession à la culture et l’émancipation.