Continuer obstinément

Trois ans après les attentats, rien n’est gagné, rien n’est réglé. Il est encore et toujours nécessaire de tenter de comprendre ces actes et continuer à dire avec nos mots cette détermination qui nous anime et les donner à lire car lire est un sésame.
Média secondaire

Les événements n’appartiennent pas qu’à l’histoire, ils sont aussi des instants de notre passé, des blessures partagées qui ont du mal à cicatriser. La pédagogie de la liberté que nous agissons au quotidien de notre modeste participation au débat passe nécessairement par des traces laissées au temps, gravées dans la chair de l’éducation nouvelle jour après jour. Et l’acte de lire ces mots déclenche au fil d’un apprivoisement propre à chacun et chacune le désir de lire plus loin que l’horizon peut-être.

Cemea

Le 7 janvier 2015, les victimes des attentats avaient un visage. Ces journalistes ou dessinateurs nous étaient familiers ou connus ou proches de nos proches. En tous cas, si nous ne les fréquentions pas, il y avait toujours quelqu'un pour nous expliquer qui ils étaient, ce qu'ils faisaient. Ils exerçaient dans un journal qui pousse la liberté d'expression au plus loin, sous la forme de la caricature. Ils pratiquaient la liberté au risque de l'humour, dans des contrées où sans talent le risque est grand de tomber à plat, sombrer dans la diffamation, le scabreux, le gratuit.

Le dessin de presse est un exercice d'équilibriste, qui se joue en quelques traits, l'espace de quelques instants. C'est une fulgurance. La sanction est immédiate. On adhère – du sourire intérieur aux éclats de rire à gorge déployée – ou on glisse dessus et on tourne la page. Si le dessin nous retient, on le regarde à nouveau, pour le plaisir mais aussi pour en prendre la pleine mesure, apprécier cette capacité à dire des choses que l'on ne savait exprimer, extérioriser. En forçant le trait, la caricature nous ouvre les yeux sur nos travers ordinaires et nous laisse bien heureux que personne ne puisse venir voir ce que masque notre rire dans nos têtes. Ceux qui sont morts poussaient cet art dans les contrées les plus risquées celles où l'humour, le frivole, la désinvolture se frottent à la bêtise et au conformisme mais aussi aux puissants et aux idéologues, celles où la satire est politique. Les traits d'un dessin se font dénonciation publique. La contestation se drape dans l'humour. Dans un pays de liberté, ils ne risquaient que le rire ou le mépris, ou bien encore la réciproque, une autre expression, tout aussi mordante mais pacifique. Ils ne risquaient que cela. En théorie.

Éducation, émancipation

C'est trop souvent une circonstance exceptionnelle, la mort, qui nous fait prendre conscience de ce que l'on a de plus précieux. Qui, dans les circonstances de janvier, nous fait mesurer ce qu'il nous faut d'arrachement à notre condition pour renoncer à la violence et diriger cette pulsion vers la colère, l'expression, la création, pour finir par trouver normal et évident la liberté des opinions, des expressions, pour accepter la démocratie comme espace de confrontation des rapports de force politiques. L'éducation, acte éminemment politique, joue à plein dans ce processus d'émancipation intime et personnelle. Notre pédagogie aux Ceméa, est une pédagogie de la liberté. Parce qu'elle fait le pari du milieu, de l'environnement, de l'institution comme lieu tiers pour le dia- logue éducatif, l'Éducation nouvelle décale le processus éducatif du seul dialogue maître-élève et permet à l'apprenant de tracer son chemin. Le maître, le formateur, l'animateur... celui en responsabilité de la situation éducative, s'appuie sur le milieu. Il le lit, le travaille, l'enrichit, l'aménage, le met à disposition des publics accueillis. Tout particulièrement par l'activité, il crée les conditions qui leur permettent de le fréquenter, de s'en emparer et de l'enrichir à leur tour. En s'appuyant sur le milieu, l'Éducation nouvelle permet à chacun d'inventer son chemin d'éducation vers l'émancipation, ou, plus réalistement, dans le concret de nos vies, de prendre conscience des faisceaux de contraintes qui pèsent sur nous. Plus personnel qu'individuel, ce processus est à l’œuvre dans des situations collectives de formation, tel le stage en ce qui nous concerne aux Ceméa. Le groupe, le collectif, y participe du processus éducatif. Il pèse sur la personne tout comme la personne contribue à créer le groupe. Dans ces moments de socialisation intense, le livre comme support de la lecture joue un rôle important. Il est le temps du dialogue de soi à soi par le truchement d'un alter discours porté par le texte, l'image, la pensée d'un auteur. L'échange se joue au cœur de l'intime à l'abri des obligations sociales.

La lecture, un sésame

Savoir lire est bien plus qu'un savoir scolaire. C'est l'un des grands pas vers l'autonomie. C'est un sésame pour un vaste monde de connaissances, de création... d'enchantements, de pensée. Savoir lire c'est pouvoir choisir ses lectures. Tracer son chemin au-delà des lectures prescrites, en toute liberté dans les librairies, les kiosques à journaux, les bibliothèques et sur les écrans. C'est prendre conscience petit à petit du lien indéfectible qui unit lecteurs et auteurs. Pas de lecture sans écrivains ; pas de liberté d'expression sans lecteurs. Le 14 janvier 2015, ce sont 7 millions de lecteurs qui se sont pressés pour se procurer Charlie Hebdo.