LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

S’engager au-delà des écogestes. Dossier

Publié le 03/12/2025 sur Yakamédia. Article original paru dans la revue VEN n°598, juillet-septembre 2025, dans le cadre du dossier "S’engager au-delà des écogestes". Le dossier intégral est disponible en téléchargement.
Dans son numéro de juillet-septembre 2025, la revue VEN consacre son dossier à la transformation du rôle des acteur.rices de l’éducation face à l’urgence climatique. À travers les expériences écopédagogiques qui nous sont présentées, on s’interroge : comment agir pour une écocitoyenneté critique et émancipatrice ?
Média secondaire

Il y a 10 ans, l’Accord de Paris sur le climat (2015) engageait la quasi-totalité des États à lutter contre le réchauffement climatique en réduisant les émissions de gaz à effet de serre et même à atteindre la neutralité carbone. Dans les années qui suivent, la prise de conscience semble croître et, le vendredi, une partie de la jeunesse s’interroge entre aller en cours ou manifester pour le climat. Les efforts étaient incertains, les crispations économiques et politiques réelles mais il semblait bien que la bataille d’opinion était gagnée : les préoccupations écologiques étaient au premier rang pour engager une nécessaire transition écologique d’un monde conscient d’être entré dans un nouvel âge climatique.

La pandémie mondiale de 2020 et ses confinements ont révélé une fois de plus nos failles et nos injustices. Celles et ceux qui en avaient les moyens ont pu s’arranger avec leur « besoin de nature », les autres, comme d’habitude, ont dû se débrouiller pour composer avec les rapports et les effets de dominations diverses. Depuis, les postures réactionnaires semblent avoir pris le dessus, sur fond de guerres, de migrations subies, de crises démocratiques, médiatiques, etc. soulignant pour qui veut bien le voir comment le front écologique est devenu une guerre de l’adaptation des un·es contre les autres. Pendant ce temps, pour la quatrième année consécutive, l’année 2024 a été la plus chaude jamais enregistrée au niveau mondial, avec des hausses des températures dépassant les 2°C dans 111 pays. Et sécheresses, incendies et inondations ont de nouveau émaillé l’année. Nous abordons ainsi une période d’aggravation rapide de la crise écologique et sociale. Le dernier rapport du WWF est sans équivoque : nous avons cinq ans pour redresser la barre avant que la dégradation de la nature et du climat ne nous conduise vers des points de bascule irréversibles.

Limite de la responsabilité individuelle

Dans cette époque de l’anthropocène où l’influence de l’être humain sur la planète est devenue significative à l’échelle de l’histoire de la Terre, il est déjà trop tard pour éviter des conséquences dramatiques pour des milliards d’êtres vivants – humains et non humains et leurs écosystèmes. Cette urgence écologique anxiogène à laquelle les dernières décennies n’ont pas réussi à répondre impose désormais de choisir entre deux chemins : une poursuite de la logique existante ou un changement radical et immédiat de modèle de développement. Cette urgence oblige celles et ceux qui portent la mission d’éduquer et d’éveiller les consciences. Mais comment s’y prendre quand il s’agit d’accompagner les plus jeunes qui n’ont pas encore la possibilité d’influer sur les choix de société ? Ce dossier, à travers les expériences éducatives conduites en Accueil collectif de mineurs (ACM), en centre social ou encore à l’école, illustre qu’entre le temps de l’éducation et le temps que nous n’avons plus, cet impératif de transformation écologique reconfigure les enjeux et missions des fonctions éducatives. Comment des acteurs et actrices éducatives repositionnent leurs pratiques, leurs gestes, leurs propositions éducatives, leur organisation, pour transcrire autant que possible cette mutation écologique de leur rôle ?

Agir pour des transformations structurelles implique une éducation à la citoyenneté et le développement d’une pensée critique.

Schématiquement, le champ de l’éducation relative à l’environnement s’est construit selon trois grands axes : accroître les connaissances pour favoriser le changement, favoriser le pouvoir d’agir pour induire des transformations sociales, privilégier les confrontations d’idées pour s’intéresser aux représentations des acteurs et actrices. L’impression qu’il suffisait d’accroître les connaissances pour favoriser le changement reposait sur une représentation de la crise écologique comme d’une crise de comportements mal adaptés, qui s’est notamment traduite par la diffusion des « écogestes ». Dans sa présentation de l’écopédagogie (voir p. 46), Irène Peirera pointe ainsi les limites de cette responsabilisation individuelle. Sur le plan éducatif, on peut considérer l’écocivisme comme la « politesse de l’écologie » : c’est nécessaire pour vivre ensemble, ça aide à prendre soin de soi en réduisant – un peu – les dissonances écologiques, mais ça ne construit pas un projet collectif.

Développer une pensée critique

Un autre élément significatif est la construction du rapport à l’environnement. Alors qu’il fautaller à contre-courant d’une société fabriquant des enfants d’intérieur (voir Ven n°594, Éduquer (au) dehors), il y a aussi urgence à promouvoir une éducation au vivant, intégrant à la fois la crise environnementale et l’extinction des espèces, une meilleure compréhension des liens et relations entre les espèces, dont l’humain, et une plus grande congruence avec le monde non-humain. Bref une écologie nouvelle, dont témoigne par exemple l’évolution d’une pratique-totem dans le monde de l’animation comme la pêche à pied et l’aquarium de mer au centre de découverte de la Marjolaine (voir p. 36). Agir pour des transformations structurelles implique une éducation à la citoyenneté et le développement d’une pensée critique. L’éducation à l’écocitoyenneté critique s’est développée à la fois sur un axe à visée délibérative consistant à la formation d’une opinion publique éclairée à même de participer au débat démocratique et un axe à visée émancipatrice capable d’induire une transformation des réalités socio-environnementales. C’est clairement dans ce second axe que la Maison-phare (voir p. 30) développe ses actions et « chaînes d’activités ». Celles-ci constituent un tissu d’espaces et de formes d’engagement qui articulent un triptyque reposant sur des expériences sensibles, des temps d’appropriation des enjeux et des expérimentations collectives à l’échelle du territoire de vie.

Porter une écologie résolument populaire implique aussi de résister à une certaine conception bourgeoise de l’écologie, qui est encline à se satisfaire d’une écologie des gestes individuels.

C’est finalement aussi de ce triptyque dont témoigne Laurent Bellenguez à travers le projet de revégétalisation de la cour d’école (voir p. 40) : il a fallu mobiliser l’ensemble des actrices et des acteurs éducatifs, tenir compte de leurs représentations pour produire un nouvel outil éducatif mieux à même de répondre aux enjeux écologiques, ce qui allait de pair avec la capacité à agir à hauteur d’enfant pour construire une démocratie active. C’est ce que reprend également le projet de l’association Banlieues Climat, qui pointe directement l’enjeu d’intégrer les questions d’ordre socio-politique dans une éducation aux transformations écologiques (voir p. 42). Il n’y aura pas de transition sans justice sociale, et porter une écologie résolument populaire implique aussi de résister à une certaine conception bourgeoise de l’écologie, qui est encline à se satisfaire d’une écologie des gestes individuels. En renvoyant à une conscientisation planétaire et à une éducation aux questions socialement vives, l’écopédagogie donne des clés pour éduquer à la dimension systémique des enjeux de transformation écologique, qui se confondent désormais avec les ambitions d’une éducation émancipatrice.

Retrouvez dans ce dossier :

Éclairage : Quelles pratiques pour une écologie sociale ? À la Maison-phare de Dijon, on articule transition écologique et transformation locale, de Mathieu Depoil

Reportage : Se mettre au vert à La Marjolaine, d'Elia Munoz

Témoignage : À l'ombre de la cour, de Laurent Bellenguez

Interview de : Sofia Zioui, étudiante et formatrice à Banlieues Climat, et Axel Francke, étudiant en alternance et référent et coordinateur à Banlieues Climat

3 questions à : Irène Pereira - L'écopédagogie : pour une éducation critique et émancipatrice

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