LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Manger pour changer. Dossier

Publié le 16/12/2022 sur Yakamédia. Mis à jour le 05/12/2025. Article original paru dans la revue VEN n°587, octobre-décembre 2022, en introduction du dossier "Manger pour changer". Le dossier intégral est disponible en téléchargement.
Transition écologique, acte I : l’alimentation. À l'heure des multiples débats sur l'écologie, l’alimentation n’est toujours pas au cœur des sujets. En accueil collectif, c’est un réel levier éducatif.
Média secondaire

Les éducateurs et éducatrices se demandent souvent comment agir en matière de transition écologique. La question est immense, systémique, et pose une question d’échelle. Modifier les actes individuels, parce que c’est la base d’une éducation, mais il n’est pas sérieux d’envisager de changer une société mondialisée, seulement par la somme des actes des individus. Changer le système, bien sûr, ce que l’éducation populaire cherche depuis toujours. Mais comment agir concrètement ? La fonction éducative n’est a priori guère en lien avec les modèles productivistes responsables des causes de l’urgence climatique.

Il y a pourtant un domaine où l’éducation est en lien avec la production directe de biens, celui de l’accueil des groupes, de jeunes ou de moins jeunes, pour des périodes plus ou moins longues. Et ces personnes ont en commun d’avoir besoin de se nourrir. Comment prendre en compte ce besoin fondamental si étroitement lié aux enjeux de la transition alimentaire ? Comment en faire un outil d’éducation ?

Le poids de l’alimentaire

En 2022, le secteur de l’agriculture et de l’alimentation représente les trois quarts de la consommation d’énergie issue du pétrole et un tiers des émissions nationales de gaz à effet de serre (GES). Le consommateur peut avoir tendance à oublier facilement le poids de l’ensemble de la chaîne de l’alimentation dans le réchauffement climatique. 

Le Shift Project a ainsi divisé l’impact du système alimentaire en trois grands secteurs d’activité : les transports d’abord, qui représentent un tiers de la consommation énergétique du système alimentaire, juste devant la production agricole et enfin la consommation alimentaire. Cette dernière se répartit entre l’industrie agroalimentaire, la consommation des ménages au domicile ou en collectivité, la grande distribution, la restauration et les commerces. Agir par l’alimentation est aussi fondamental car l’agriculture, si elle est victime des bouleversements climatiques, est aussi en grande partie responsable de la chute de la biodiversité, de la raréfaction et de la pollution des sols, de la déforestation et de l’appauvrissement des terres cultivables. En cause notamment, la surconsommation et une alimentation carnée qui est devenue le modèle à atteindre en Occident depuis plus de soixante-dix ans. L’agriculture et l’élevage accaparent 38 % de la surface terrestre et consomment 70 % de l’eau douce de la planète. Or, d’ici 2050, il faudra nourrir 9,7 milliards de personnes. Comment faire pour sortir d’un modèle productiviste tout en n’oubliant personne ? Quelle est la responsabilité des éducateurs et éducatrices pour accompagner cette transition vers un modèle à la fois respectueux de la planète et de l’être humain ?

Réévaluer les besoins

Entrer dans une logique de sobriété se définit souvent par « une règle des 5 R », qui distingue quatre priorités, dans cet ordre : d’abord Refuser (d’acheter), puis Réduire (sa consommation et le gaspillage), Réutiliser, et enfin Recycler. Le 5e R varie selon les sources et le positionnement politique de ses promoteurs : Retour à la terre pour certain·es, pour évoquer le compostage, Revendiquer pour d’autres, dans une logique de consomm’acteurs. Pour les éducateurs et éducatrices, une logique d’éducation et de sensibilisation amène à proposer un nouvel R, Réévaluer.

Indigent, le repas tire les normes vers le bas. Inscrit dans une dynamique créative, critique, il invite à participer à l’aventure écologique.

Refuser (d’acheter) des produits hors saison, ultra-transformés par l’industrie agroalimentaire, c’est ainsi choisir des aliments de saison, locaux, biologiques, et contribuer à modifier la demande, et donc les habitudes alimentaires. Réduire sa consommation, c’est apprendre à consommer autrement : manger moins de viande alors que celle-ci a quitté le registre occasionnel pour devenir dans les année cinquante un produit de consommation courante, opter pour des produits biologiques, donc plus nutritifs, permet d’acheter moins... Réutiliser pour lutter contre le gaspillage alimentaire, recycler par le compostage, nécessaire pour revitaliser les sols sont autant de gestes à réapprendre, et auxquels il faut redonner du sens. Mais apprendre les bons gestes ne suffit pas si on n’apprend pas aussi à Réévaluer les besoins, à questionner les habitudes historiquement et culturellement conditionnées par une société qui fait passer la surconsommation et l’abondance pour des évidences. À travers les espaces collectifs, c’est cette dimension culturelle qu’il est possible de faire vivre, comme le démontre l’expérience racontée à l’échelle d’un festival comme celui d’Avignon, ou sur les camps des bases de loisirs en pays de la Loire (lire p.40).

Agir concrètement

L’accélération des rythmes de vie, l’éclatement des solidarités et des transmissions familiales impliquent désormais davantage les espaces d'éducation populaire comme lieux d’apprentissage à la cuisine, non pas celle grandiloquente et artificielle des multiples émissions culinaires, mais celle qui permet de se nourrir simplement dans la vie de tous les jours, en collectivité ou ailleurs. L’accessibilité à cette révolution culturelle est, comme toujours, inégalitaire. D’où l’urgence de ces épiceries solidaires qui cherchent à dépasser les tensions économie/écologie pour mieux les relier, comme en témoigne le projet Vrac et cocinas à Montpellier (lire p.30). Parce que le temps du repas est un espace socialisé, un seul menu partagé porte en lui l’ensemble des enjeux de sobriété. Qu’est-ce qu’on mange ? D’où ça vient ? Qui l’a produit ? Est-ce qu’il y a des restes ? Qu’est-ce qu’on en fait ? 

S’interroger ensemble sur ce que l’on mange et les systèmes de production qui en découlent est un bel enjeu d’émancipation, et chercher à agir collectivement, un excellent remède pour dépasser la sidération de l’éco-anxiété.

Les expériences de la collectivité de Mouans-Sartoux dans les Alpes-Maritimes (lire p.36), des jardins de la Bardonnnière à Bois de Cené en Loire-Atlantique (lire p.40) et du cuisinier-formateur Gilles Daveau (lire p.42) pour créer des cercles vertueux du champ à l’assiette, le rappellent : l’acte éducatif repose tout autant sur ce qu’il y a dans l’assiette, sur comment cela y arrive, que sur la parole qui l’accompagne. Parce qu’il est un besoin fondamental, le temps du repas aura lieu, et comme toute réalité il s’imprime dans notre imaginaire collectif. Indigent, il tire les normes vers le bas. Inscrit dans une dynamique créative, critique, explorant de nouvelles ambitions, il invite à participer à l’aventure écologique.

Dans les initiatives présentées ici, pas de modèles. Mais des tâtonnements, des expérimentations, des doutes et des limites aussi, qui disent en creux l’étendue des chantiers à ouvrir. S’interroger ensemble sur ce que l’on mange et les systèmes de production qui en découlent est un bel enjeu d’émancipation, et chercher à agir collectivement un excellent remède pour dépasser la sidération de l’éco-anxiété.

Retrouvez dans ce dossier :

Eclairage - C’est quoi le menu ?, par Laurence Bernabeu

Reportage - Bio à la cantine : Mouans-Sartoux laboure le terrain, par Olivier Brocart

Reportage - Un marabout pour cuisiner. Au Jardin de la Bardonnière, par Laurence Bernabeu

Interview - Gilles Daveau « On ne mange pas avec sa raison mais avec sa culture. C’est pour cela que les injonctions alimentaires ne marchent pas. », par Laurence Bernabeu

3 questions à … Christine Coursières. Faire un super repas à la fin du séjour ou bien manger chaque jour ?, par Laurence Bernabeu

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