Réussite scolaire : qui fait quoi ?

A quelles tâches communes les parents, les enseignants, les animateurs et autres éducateurs doivent-ils s'atteler pour aider les enfants à réussir ?
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Média secondaire

Cette question capitale pour l'avenir des enfants qui nous sont confiés et, par suite, pour l'avenir de notre société, comporte, en fait, trois sous-questions :

  • À quelles tâches devons-nous nous atteler
  • Comment cette communauté d'action entre les co-éducateurs que sont parents, enseignants et animateurs peut-elle et doit-elle s'exercer
  • De quelle réussite des enfants s'agit-il ?

Si ces trois sous-questions se présentent dans cet ordre quand on lit le titre de ce propos, c'est dans l'ordre inverse que je me propose de les examiner pour la clarté de l'exposé.

De quelle réussite des enfants s'agit-il ?

Pour illustrer ce premier point, je ne résiste pas à la tentation de raconter une anecdote. Lorsque j'étais inspecteur chargé d'un secteur scolaire expérimental, le ministre de l'éducation nationale de l'époque est venu passer une demi-journée dans ces écoles et ce collège dont l'organisation et les pratiques étaient assez éloignées de celles des autres établissements scolaires. Si beaucoup de parents adhéraient à ce système précurseur des cycles scolaires, des bibliothèques centres documentaires et de multiples collaborations entre parents et enseignants, enseignants et animateurs, parents et animateurs (au point que les écoles s'appelaient les "maisons des enfants'), certains craignaient que leurs enfants n'y fassent pas des études "sérieuses" et n'hésitaient pas à contourner la fameuse carte scolaire ou à choisir l'enseignement privé pour éviter un fonctionnement pédagogique qu'ils craignaient qu'il ne mette en péril l'avenir de leurs enfants. Aussi, certains de ces parents anxieux, qui n'avaient pas encore décidé de scolariser leurs enfants ailleurs, profitèrent-ils de la visite du ministre pour lui poser cette question à leurs yeux fondamentale : - Monsieur le Ministre, croyez-vous que nos enfants pourront réussir au baccalauréat après avoir été scolarisés dans les écoles et le collège de ce secteur expérimental ?

Et la réponse du ministre surprit plus d'un parent mais aussi plus d'un professionnel de l'éducation : - Vous savez, le plus important n'est pas plus de réussir à tel ou tel examen que de réussir dans la vie. Bien des gens ont acquis des diplômes avec lesquels ils accèdent à certaines professions, à certains postes où ils ne sont pas particulièrement heureux. L'important, voyez-vous, c'est moins de réussir dans la vie que de réussir sa vie. Or, une vie réussie, c'est une vie au cours de laquelle on réalise son projet, son projet professionnel, mais aussi son projet personnel. Encore faut-il pour cela avoir un projet. Eh bien, dans ces écoles et dans ce collège, on aide vos enfants à avoir un projet ou des projets de vie.

De cette petite histoire, nous avons un certain nombre de choses à retenir. D'abord, il est vrai qu'il ne sert à rien de passer des examens et d'accumuler les diplômes si c'est pour obtenir un emploi que l'on n'a jamais souhaité (même si l'on est heureux, par les temps qui courent, d'en avoir un...). Ensuite, ceci ne veut pas dire que les études et les diplômes soient inutiles; ils sont même indispensables, mais quand ils entrent dans un projet professionnel et un projet de vie. Dans ce cas, les efforts à fournir pour y parvenir sont tellement évidents qu'ils coûtent moins à celui qui les fait que pour celui qui produit les mêmes efforts sans y trouver une nécessité personnelle. Ainsi, courir le marathon est une épreuve redoutable, inhumaine pour celui qui arrive dernier ou qui ne réussit pas à le terminer, mais c'est une joie incommensurable pour celui qui termine en tête et dont tout le monde peut constater que, malgré les efforts - peut-être même grâce aux efforts produits - il a l'air reposé, tandis que les autres concurrents, moins heureux, sont exténués...

Réussir ne saurait donc se limiter à réussir à l'école et réussir à l'école n'a de sens que pour celui qui n'en fait qu'un des objectifs d'un projet personnel de vie plus global. Aider un enfant à réussir, c'est donc l'aider d'abord à mettre au point son projet ou ses projets de vie et valoriser toutes les réussites - scolaires ou non - qui contribuent à cette construction.

Quelle coopération doit-il y avoir entre les divers coéducateurs ?

Une autre manière de poser cette question pourrait être : que signifie travailler ensemble pour des parents, des enseignants, des animateurs...? Ceci- signifie-t-il qu'ils doivent, comme dans un centre d'accueil avec ou sans hébergement, travailler en équipe en préparant, en conduisant et en évaluant des actions ensemble ? Je ne suis pas opposé à ce que tous les adultes qui aident un même groupe d'enfants à "réussir" travaillent ensemble1, mais il n'est pas certain que travailler côte à côte soit indispensable pour conduire un projet commun. Par contre, ce qui est nécessaire, c'est que les coéducateurs se mettent d'accord sur les objectifs à atteindre, c’est-à-dire sur un projet éducatif, que chacun pourra ensuite conduire dans son domaine de responsabilités et de compétences.

Et ces responsabilités et compétences ne sont pas identiques pour parents, enseignants et animateurs.

La responsabilité et la compétence des parents, c'est d'élever, d'éduquer, de choyer, d'aimer, de protéger et d'assurer l'avenir de leurs enfants. C'est une tâche multiple, difficile et... bénévole pour laquelle n'existe aucune formation initiale2 et pour la quelle il faut se méfier des experts. Par contre, l'État doit apporter son aide aux parents3 pour qu'ils puissent efficacement répondre aux attentes de leurs enfants et de la société.

La responsabilité et la compétence des enseignants, c'est d'aider leurs élèves à acquérir soit les connaissances dont la société a décidé qu'elles leur étaient nécessaires pour que tout adulte soit en état de jouir de ses droits et de respecter ses devoirs de citoyen (les connaissances de base), soit celles qui sont nécessaires pour accéder à un cursus universitaire (projet personnel), soit celles qui sont au centre de l'exercice d'une profession (projet professionnel). On voit bien la différence de tâches et de responsabilité entre un enseignement des connaissances de base - nécessaires à tous  mais pour l'acquisition desquelles tous les élèves ne sont pas motivés - et celui de connaissances répondant à un projet personnel ou professionnel d'un élève4 qui a choisi délibérément sa voie ou sa filière dans une situation de quasi-contrat entre lui-même (c'est moi qui ai décidé d'être assis sur ce banc et j'en accepte les contraintes) et les enseignants (qui sont en situation de répondre à une demande de formation de la part de leurs élèves, qui attendent d'eux une aide à la réussite de leur projet). On comprend que ce quasi-contrat soit rompu avant même son commencement quand les élèves sont orientés dans une voie ou une filière qu'ils n'ont pas choisie.

Quant aux animateurs leur responsabilité se situe à plusieurs niveaux. D'abord, contrairement aux parents, ils conduisent - comme les enseignants - les activités d'un  groupe. Mais, contrairement aux enseignants, ils n'ont à faire acquérir ni connaissances de base ni connaissances spécifiques. Ils ne préparent à aucun examen et n'ont aucune obligation morale de résultats. Par contre, ils ont la compétence et l'obligation, à travers les activités qu'ils conduisent (et par lesquelles ils se doivent de rendre les enfants et les jeunes de plus en plus autonomes) de faire naître et de nourrir des projets personnels, des projets professionnels et des projets de vie, par le biais de projets d'activités dont une part peut être partagée avec le groupe (ou avec un groupe) et une autre totalement personnelle. Et c'est en ce sens que l'animateur, ni parent ni enseignant, a une action originale envers les enfants, action qui lui permet d'éclairer parents et enseignants, quand il échange avec eux, sur les projets des enfants.

De plus, quand ils ont affaire à des familles de milieux en difficulté ou en situation difficile, les animateurs se doivent de contribuer à la réussite des apprentissages scolaires fondamentaux des enfants en facilitant leur accès à ces apprentissages par des activités non scolaires sur les acquis desquelles l'école peut appuyer son enseignement, ce qu'elle ne peut faire avec les enfants qui ne disposent pas de ces soubassements5 : parler un français correct, disposer d'un vocabulaire minimum6, avoir un comportement social conforme aux règles du milieu dans lequel on se trouve (ces règles sont différentes à la maison, dans la rue, avec des camarades et à l'école...). s'intéresser à l'écrit, au calcul, à la géométrie, aux arts, au monde...

Comment aider les enfants à faire ces acquisitions indispensables à l'école, sans faire l'école avant l'école (ou à la place de l'école) ?

D'abord, il faut savoir que ces diverses compétences font rarement l'objet d'apprentissages scolaires et, quand c'est le cas, ces apprentissages sont souvent plus formels qu'utiles et les élèves qui ne les possèdent pas sont parfois marginalisés - sauf quand ils sont majoritaires, comme dans les REP7 et les ZEP8 . Ces éléments de  base sont alors enseignés sur des temps qui devraient être consacrés aux "vrais" enseignements, qui prennent donc un retard dont les enfants pâtissent, par la suite, à l'entrée au collège ou au lycée, où ils ont un deficit dans les savoirs attendus par des enseignants qui ne disposent pas de moyens pour combler les lacunes qui subsistent chez ces élèves qui éprouvent alors d'énormes difficultés à suivre. Et puis les enfants ont aussi besoin de jouer... surtout pendant leurs loisirs. Il faut et il suffit donc que soient proposées aux enfants par les animateurs des activités répondant aux sept objectifs définis au paragraphe 1.3 de la Circulaire interministérielle du 9 juillet 19989 :

  • Le développement de l'inventivité, des aptitudes logiques notamment par la pratique de jeux individuels et collectifs;
  • Le développement de la curiosité et de l'esprit scientifique par l'expérimentation;
  • L'aptitude à la communication, en particulier par l'utilisation des technologies de l'information et de la communication;
  • La connaissance de son corps et sa maîtrise par diverses activités physiques et sportives et d'éducation à la santé;
  • Le développement de la sensibilité, de la curiosité et de la créativité par l'accès aux pratiques artistiques et culturelles;
  • L'amélioration des résultats scolaires grâce à des actions respectant les principes de la Charte de l'accompagnement scolaire10 ;
  • L'apprentissage de la vie collective et de la citoyenneté.

 À quelles tâches communes devons-nous nous atteler ?

Finalement, nous venons de voir que parents, enseignants et animateurs n'ont ni les mêmes compétences ni les mêmes responsabilités. Dans ces conditions, à quelles tâches communes peuvent-ils et doivent-ils s'atteler ?

Ces tâches, selon Philippe MEIRIEU11, sont au nombre de neuf, qu'il a énoncées lors d'une journée d'étude du CREFE12 Rhône-Ain, en juin 2007. Pour lui, il faut d'abord aider l'enfant à se construire comme sujet. Pour celà, ses coéducateurs doivent poursuivre les neuf objectifs suivants. Ensemble, ils doivent conduire l'enfant à

  • Être capable de vivre dans le monde sans occuper le centre du monde;
  • Être capable de différer ses pulsions : entre avoir envie de faire et faire, il y a quelque chose à construire;
  • Être capable de transformer son désir de savoir en désir d'apprendre et trouver de la jouissance ailleurs que dans la réussite immédiate;
  • Être capable de se décentrer et entendre le point de vue des autres;
  • Être capable de fixer son attention (ce qui constitue un vrai problème aujourd'hui);
  • Être capable de se dégager de l'emprise d'un objet, d'un groupe ou d'une personne (une vedette de la télévision, par exemple);
  • Être capable de distinguer - autant que faire se peut - le savoir et le croire : toutes les croyances sont estimables mais elles ne doivent pas être confondues avec des savoirs;
  • Être capable d'intérioriser l'importance de la perfection à tous les niveaux taxonomiques;
  • Être capable de maîtriser les pulsions qui l'habitent (et qui nous habitent tous) pour les sublimer en création.

Ce projet doit être central pour Philippe MEIRIEU et je partage totalement ce point de vue. Demandons-nous donc ce que chacun des trois partenaires éducatifs peut y apporter. C'est lorsque les parents, les enseignants et les animateurs sauront, pour en avoir parlé ensemble, que les autres coéducateurs poursuivent ces mêmes objectifs qu'ils pourront s'enrichir mutuellement de leurs connaissances des enfants, tant à l'occasion de rencontres informelles que dans le cadre de débats organisés. C'est alors que les uns et les autres comprendront qu'ils ont besoin de tels échanges pour jouer pleinement leur rôle éducatif spécifique et que l'on pourra parler d'un projet commun de réussite éducative, ce qui dépasse largement la simple réussite éducative, trop souvent cantonnée à la réussite scolaire, dont on parle pourtant beaucoup aujourd'hui.

Notes

1 Je défends même vigoureusement ce point de vue dans notre film Apprendre avec tous ces adultes ? - La coéducation à l'école. CEMÉA 24, Rue Marc Seguin 75883 PARIS CEDEX 18 (43 mn).

2 Quoique certains pensent que la formation au BAFA peut y contribuer.

3 Ceci figure dans la Convention internationale pour les droits de l'enfant dont l'artile 18 précise : l'État doit les aider à exercer cette responsabilité. Il leur accorde une aide appropriée pour élever l'enfant.

4 Que l'on appelle alors un apprenant…

5 On a souvent utilisé pour désigner ces soubassements (ces fondations) nécessaires le terme passé de mode de prérequis.

6 Cinq mille mots selon le linguiste Alain BENTOLILA.

7 Réseau d'éducation prioritaire.

8 Zone d'éducation prioritaire.

9 Aménagement des temps et des activités de l'enfant : mise en place du contrat éducatif local et des rythmes périscolaires." 

10 Devenue, en 2001, la Charte nationale de l'accompagnement à la scolarité.

11 Professeur en Sciences de l'Éducation à l'Université Lyon 2, Philippe MEIRIEU est l'auteur d'ouvrages pédagogiques le plus lu en France.

12 Centre ressource enfant famille école, organisme existant dans la seule Région Rhône Alpes sous la forme d'un centre par département ou pour deux départements et dont le rôle consiste surtout à proposer des formations_ notamment dans le domaine de l'accompagnement à la scolarité.

Les contrats locaux d'accompagnement à la scolarité (CLAS)


Article écrit le 2 Juillet 2007