Place de l’enfant dans la société de l’information, l’éducation à la consommation plus que jamais nécessaire

Education-consommation, deux mots-concepts distincts, opposés voire antinomiques par les valeurs qu’ils véhiculent pour penser le monde et les relations humaines, deux logiques en compétition entre elles, avec au centre, les enfants, les jeunes et les familles comme sujets à émanciper ou produits à influencer…
Média secondaire

Place de l’enfant dans la société de l’information, l’éducation à la consommation plus que jamais nécessaire

Les jeunes sont envahis par les marques. L'enjeu est de mettre en oeuvre une éducation à la consommation pour créer une mise à distance, former un regard critique et... favoriser l'émancipation... A l’inverse des médias, l’éducation, a pour projet de sortir l’enfant de cet état infantile de dépendance, voire de soumission à la consommation. Les médias mettent en scène la négation de l’altérité, alors que éduquer, c’est  accompagner l’enfant pour entrer en dialogue avec cette altérité (l’autre, le monde). L’éducation, c’est le faire passer d’une posture « d’enfant roi » à celle « d’enfant citoyen », c’est la construction du collectif, de la distinction entre savoir et croyance, c’est la mise à distance, alors que les médias accélèrent tout, dans un flux qui submerge la pensée.

Education-consommation, deux mots-concepts distincts, opposés voire antinomiques par les valeurs qu’ils véhiculent pour penser le monde et les relations humaines, deux piliers de notre vie de tous les jours, deux logiques en compétition entre elles, avec au centre, les enfants, les jeunes et les familles comme sujets à émanciper ou produits à influencer…

 
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De ce fait, la finalité de l’éducation et celle de la sphère médiatique paraissent aujourd’hui développer des projets opposés, voire antagonistes.  A l’inverse des médias, l’éducation, a pour projet de sortir l’enfant de cet état infantile de dépendance, voire de soumission à la consommation. Les médias mettent en scène la négation de l’altérité, alors que éduquer, c’est accompagner l’enfant pour entrer en dialogue avec cette altérité (l’autre, le monde). L’éducation, c’est le faire passer d’une posture « d’enfant roi » à celle « d’enfant citoyen », c’est la construction du collectif, de la distinction entre savoir et croyance, c’est la mise à distance, alors que les médias accélèrent tout, dans un flux qui submerge la pensée.Le numérique, ses objets et ses réseaux, ses industries, y sont au cœur et doivent être interrogés si l’on parle d’éducation à la consommation. Les enfants et les jeunes grandissent dans une société où ils sont assaillis en permanence par toutes sortes de données, d’informations dont ils ne savent pas quoi faire… Leur environnement est fortement marqué par des logiques marchandes, où les liens entre marketing et production des programmes médiatiques sont de plus en plus étroits, où l’on cherche à « capter du temps de leur cerveau disponible ».

Le marché formé par les enfants et les jeunes entre non seulement dans une logique de type « marketing produits » mais surtout, apparaît comme un positionnement stratégique pour certaines entreprises médiatiques au regard des retombées d’audience globale et de son poids dans les calculs des ressources publicitaires. La législation européenne renforce cette dimension. Si l’on regarde l’évolution des  directives européennes sur les services des médias audiovisuels à la demande (SMAD), on constate une libéralisation des formes de publicité à travers par exemple, la fin des quotas de durée et l’arrivée des techniques de placements de produits.

 

Un enjeu d’éducation central

La « logique de caprice »[1], est devenue le moteur de l’organisation économique de nos sociétés, sous le nom de pulsion d’achats. Le désir est transformé en pulsion synonyme d’énergie égoïste. Les messages  sont répétés à l’infini par les médias et repris par la publicité « tes envies sont des ordres… achète… » ; « Je veux tout, tout de suite…. »… L’infantile ainsi est promu comme règle (valeur) de notre société avec en première ligne les médias.

L’éducation à la consommation est nécessairement articulée à une approche plus globale de l’éducation. Elle s’inscrit dans un modèle de société plus large, qui inclut le développement durable, le regard sur le gaspillage, questionne la toute puissance de la marchandise sur l’humain, ne se résumant plus à la seule accumulation d’objets et d’avoirs mais aussi à la richesse des situations et relations humaines vécues … Elle touche à la question du développement de l’enfant, et des valeurs que la famille et plus généralement la société veulent transmettre.

 

Articuler éducation et régulation

Les Ceméa mouvement d’éducation, réfléchissent et agissent  pour construire une éducation à la consommation porteuse d’alternatives  et fondée sur une approche citoyenne globale, éthique et critique. Nous proposons ainsi une éducation à la consommation articulée étroitement, à  un choix de co-éducation multi-acteurs et à une co-régulation avec les pouvoirs publics, les industriels et la société civile. Si l’on observe aujourd’hui la méfiance entre l’Etat, les industriels et les citoyens face à la complexité par exemple, d’un champ comme celui des nanotechnologies,  devant les interrogations concernant les  perturbateurs endocriniens ou l’arrivée massive des objets connectés dans la puériculture, ne doit-on pas clairement poser la question d’une gouvernance nouvelle pour ces enjeux majeurs qui affecteront de multiples pans de notre vie quotidienne de consommateurs et de citoyens ? ... Il est ainsi important en tant qu’association citoyenne de travailler avec les instances de régulation, de développer chez les parents notamment les procédures de saisine auprès de la Cnil, de l’ARPP, du CSA[2], des médiateurs de l’information… C’est ce que nous avons fait pour certaines campagnes de publicité comme celle d’Adidas, pour certaines émissions de télé réalité[3], contre la télévision pour bébés[4]… Sans oublier les jeunes eux-mêmes qui doivent connaître les lieux de saisine sur des questions comme celles du harcèlement[5], de la propagation de contenus illégaux[6], etc.

 

La responsabilité des parents

La question de la responsabilité des parents dans l’éducation à la consommation de leurs enfants, soulève l’enjeu d’une prise de conscience nécessaire au sein de la cellule familiale, d’apprendre à consommer au quotidien, c’est-à-dire de maîtriser des savoir faire d’être humain consommateur averti et critique, pour effectuer des choix autonomes et responsables, sans être l’objet de manipulations. Ce sont avant tout des réflexes de citoyens-consommateurs qu’il s’agit d’acquérir, comme celui de résister au quotidien à la tyrannie des marques et aux agressions de la publicité, de décrypter la traçabilité des produits, de connaitre l’ensemble d’une offre pour accompagner leurs décisions auprès des enfants... Apprendre aux enfants et aux jeunes à consommer signifie de la part des éducateurs, et d’abord des parents, d’inscrire leurs enfants dans des choix de modes de vie qui s’avèrent être des choix de société, qu’ils soient ceux de l’économie de marché ou d’approches respectables d’un développement durable, dont les adultes eux-mêmes n’ont pas toujours conscience, où auxquels ils n’ont pas vraiment consentis. Le rôle des associations de consommateurs, des collectifs citoyens et des associations éducatives et familiales est essentiel, à travers leurs publications, l’édition de guides d’accompagnement[7], leurs sites, des clips vidéo…

 

Le rôle de l’école

Cette éducation doit également être assumée par l’école. Ces postures d’une éducation critique, pilier de l’éducation à la consommation, s’inscrivent petit à petit dans les programmes. Mais elles sont trop rarement connectées aux pratiques des jeunes. L’école est centrée sur les apprentissages fondamentaux, les textes classiques, qui forment leur raisonnement, leur jugement, leur esprit critique. Mais il faut renforcer le lien entre ces apprentissages et la vie quotidienne des jeunes.

Dès que les enfants sortent de l’école, ils se retrouvent dans un autre monde, avec une logique complètement opposée, qui court-circuite la réflexion. Et où ils ont affaire à des industriels très puissants, qui leur proposent des univers extrêmement séduisants, auxquels il n’est pas facile de résister. Y compris pour nous adultes. C’est cette mise à la fois au travail et à distance du lien entre ces valeurs que leur transmet l’école et cet univers de consommation dans lequel ils vivent, que tous les lieux éducatifs (école, accueils périscolaires, sphère familiale…) peuvent et doivent pratiquer dans une cohérence et une continuité éducative.

Décrypter les dimensions économiques des industries, analyser les messages de communication publicitaire, comprendre les enjeux géopolitiques et écologiques des stratégies industrielles, intégrer les questions de santé et les enjeux sociétaux… [8] poser la question de la responsabilité sociétale des entreprises… autant d’actions éducatives à mener au sein de l’école et de tous les lieux éducatifs.

 

Education à la consommation et éducation aux médias et à l’information

Aujourd’hui, à côté de la famille et de l’école, l’espace des médias est un lieu important de socialisation des jeunes. Les pratiques médiatiques constituent  la première activité de loisirs des enfants et des jeunes, ce sont des sources de connaissances et de représentations du monde très importantes. C’est un ensemble d’outils d’expression et de communication voire de services pour les enfants et les jeunes. Mais il est fortement devenu un espace de consommation, adossé à des techniques marketings qui font des enfants et des jeunes leur cœur de cible, et qui les voit exposés de plein fouet aux sollicitations du marché. Ce sont d’immenses machines, puissantes, qui fonctionnent sur la pulsion, loin des finalités cognitives d’un sujet à éduquer, soumises à une inflation publicitaire, à un certain contrôle en temps réel et caractérisées par une traçabilité toujours plus forte des activités des utilisateurs.

Cette réalité appelle à une éducation aux médias systématique et permanente de tous les enfants et les jeunes, qui s’inscrit dans l’éducation à la consommation des enfants et des jeunes. Des compétences nouvelles de nature différente sont à acquérir par les enfants et les jeunes. Elles sont opératoires, savoir comment fonctionnent les plates formes, savoir les détourner (apprendre à créer et modifier les espaces numériques dans un regard critique), éditoriales, (écriture, annotation, lecture, hiérarchisation de l’information, publication) et organisationnelles  (navigation, tri, filtrage, évaluation). Elles recouvrent également des dimensions économiques, de droit et de citoyenneté́, en référence à la Convention internationale des droits de l’enfant. Ne doit-on pas également réfléchir avec les jeunes, à une écologie des médias et à une politique de protection de l’environnement médiatique ou à une diététique de la consommation des écrans, qui intégrerait la non connexion ?

L’éducation à la consommation recouvre ainsi de nombreuses dimensions. Son urgence doit mobiliser toutes les personnes, institutions qui sont en lien avec l’enfance. Ceci passe par des transformations de comportements dans nos actes quotidiens, mais aussi par des actions éducatives au sein de nos institutions qui ont cette mission, et la formation de leurs acteurs qui porteront ces projets auprès et avec les enfants et les jeunes[9]. Mais ceci ne sera pas suffisant sans une mobilisation plus collective avec cette ambition, certes utopique mais combien nécessaire, pour imposer une co-régulation des « citoyens éducateurs » aux industries, en lien avec les institutions publique françaises et européennes.

 

[1] Voir les ouvrages de Meirieu, Pédagogie : le devoir de résister, Paris, ESF éditeur, 2007 (128 pages).

  • [2] La CNIL, a mis en place un dispositif de plainte en ligne

http://www.cnil.fr/vos-libertes/plainte-en-ligne

  • Possibilité de se plaindre d’un programme

sur le site du CSA par simple mail.

http://www.csa.fr/Services-en-ligne/Formulaire-pour-signaler-un-programme

  • Les professionnels de la publicité disposent d’un organe d’autorégulation, l’ARPP qui a mis en place un jury de déontologie que l’on peut saisir à propos de publicités (violence, dignité de la personne, image sexistes, images de l’enfant, respect de l’autorité des parents…)

http://www.jdp-pub.org/

 

[3] Via le Collectif Enjeux e-médias www.enjeuxemedias.org/. Seuls à la maiso, Tahiti Quest…

[6] Une plate forme gouvernementale, portail officiel  de signalement des contenus illicites de l’Internet.

https://www.internet-signalement.gouv.fr/PortailWeb/planets/Accueil!input.action

[7] Par exemple voir les guides concernant le numérique ou les écrans : http://enfants-medias.cemea.asso.fr/spip.php?rubrique97http://enfants-medias.cemea.asso.fr/spip.php?rubrique97

[8] Voir l’exposition réalisée par les Ceméa : http://ressources.cemea.asso.fr/-Jeunes-consommation-et-attitude-

[9] A propos du numérique, voir le programme d’action Déclics numériques. http://enfants-medias.cemea.asso.fr/spip.php?article1466