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Un projet pour permettre aux enfants de décrypter et d’analyser des publicités
Média secondaire
Entre non-dit et suggestion, ils ont pu se situer, prendre du recul face aux images et leurs messages. Apprendre à relativiser sans manichéisme et se dire qu’il ne faut pas toujours croire tout ce que l’on voit…
Cemea

Après avoir vu un film publicitaire sur de la pâte à tartiner, bien connu des écrans de télé. Les enfants en parlèrent. Ils évoquèrent leurs impressions et ce qu’ils savaient de ce produit.

Globalement, il ressortait le fait que c’était bon et que cela faisait plaisir d’en manger, qu’il y avait du lait et des noisettes.

Certains enfants avaient un discours complètement opposé, affirmant que c’était mauvais, mais sans vraiment pouvoir apporter de justifications et se référant plutôt à ce que leur avaient dit leurs parents.

Puis, nous analysâmes ensemble le film séquence par séquence. On ne voit que des images positives : des filles contentes d’aller à l’école, qui sont en forme. Une fille lève le doigt montrant qu’elle connait la réponse et suggérant qu’elle travaille bien. Il y a des histoires d’amour qui commencent. Les élèves s’entraident. A la maison, on voit une fille qui se lève en forme et souriante. Au petit déjeuner, tous les enfants de la famille sont souriants et regardent leur mère. Sur la table, il y a du jus de fruit, du lait, des tartines… Puis on fait référence à la pâte à tartiner, en montrant des noisettes, du lait, du cacao.

Les enfants classèrent ensuite, les images en fonction du public visé. Le message pour les parents est que les enfants sont en forme, qu’ils travaillent bien à l’école, que la famille est heureuse. Celui pour les enfants est qu’ils sont heureux, qu’ils réussissent, qu’ils ont des copains, qu’ils commencent à être amoureux. Les enfants remarquèrent qu’à aucun moment il n’est dit que c’est grâce à la pâte à tartiner. On montre ces situations positives et on montre le produit, mais on ne dit rien de plus. C’est celui qui regarde le film qui établit un lien de causalité entre les images qu’il voit. Nous nous penchâmes ensuite sur le contenu de la pâte à tartiner. La publicité ne nous parle que de noisettes, de lait et de cacao. Nous avons donc cherché sur l’étiquette. Dans les ingrédients, nous avons appris les pourcentages de ce qui est annoncé dans la publicité (13%, 6,6%, 7,4%). Les enfants remarquèrent que ces proportions étaient assez faibles. L’étiquette des ingrédients annonce également du sucre et de l’huile végétale, ainsi que d’autres éléments, mais sans donner de chiffres. Nous nous sommes donc tournés vers l’autre partie de l’étiquette, qui donne des informations sur les valeurs nutritionnelles. Il a alors fallu décrypter les mots lipides et glucides. Au bout du compte, nous avons réussi à connaitre, puis à représenter graphiquement les principaux éléments contenus dans le produit. Il suffisait de lire et d’aller prendre l’information au bon endroit. A la suite de cela, il y eut une recherche sur l’équilibre alimentaire et les besoins nutritionnels.

 

pâte à tartiner

 

 

Un premier débat se déroula alors entre les enfants : Faut-il manger de la pâte à tartiner ? Certains avançaient l’argument d’une nutrition équilibrée : « Ce n’est pas bien pour la santé, il y a trop de graisse et de sucre… », D’autres, celui du plaisir : « Oui, mais c’est bon… » Cette réflexion philosophique se prolongea : entre l’utile et l’agréable, le nécessaire et le plaisir, la santé et les conduites qui lui nuisent, le bien et le mal. Puis le débat se décentra sur les bonbons. Ils en arrivèrent à la conclusion suivante. Manger des bonbons de temps en temps, c’est bien, car c’est important de se faire plaisir, mais il ne faut pas en manger souvent, ni à certains moments de la journée. Cela fit consensus et ce sage compromis fut transposé à la pâte à tartiner mettant les opposants d’accord. Ce n’est pas un poison à diaboliser. C’est important de se faire plaisir en mangeant quelque chose, mais il faut être conscient qu’il y a essentiellement du sucre et de la graisse dans le produit et surtout ne pas penser que c’est bon pour la santé.

Un autre débat s’amorça à la suite de ce travail : La publicité ment-elle ? Certains pensaient que la publicité ne mentait pas, car il y avait bien des noisettes, du lait et du cacao dans le produit. D’autres affirmaient qu’elle mentait puisqu’elle ne disait pas qu’il y avait surtout du sucre et de la graisse. Pour les aider à se situer dans cette réflexion, je leur proposai d’inventer des publicités et de créer des affiches. Ils cherchèrent des thèmes, puis se répartirent par groupes en fonction de leurs intérêts et affinèrent les objectifs de leurs affiches. Les thèmes furent divers et parfois contradictoires : Donner envie aux parents d’acheter des jeux vidéo à leurs enfants. Donner envie aux gens de faire du sport. Donner envie aux gens d’avoir un animal de compagnie chez eux. Dissuader les gens de ne pas avoir un animal de compagnie chez eux. Chaque groupe chercha et lista tous les arguments qui pouvaient aller dans le sens de leur objectif. Puis, les enfants choisirent et cherchèrent des slogans en fonction des arguments retenus : Les jeux vidéo des bons moments à partager Amusez-vous Participez Faites du sport Un animal de compagnie c’est beau mignon et gentil Faut-il avoir un animal chez soi ? Non Chaque groupe travailla à la réalisation de son affiche en cherchant des visuels susceptibles d’accrocher l’œil de celui qui verra l’affiche et d’illustrer le propos. Ils cherchèrent sur Internet, prirent des photos, découpèrent, collèrent… Les affiches furent présentées à d’autres enfants qui donnèrent leur avis et analysées par tous ceux qui avaient participé au projet. Cela fit rebondir le débat sur : « la publicité ment-elle ? » Le fait que deux groupes aient choisi des thèmes contradictoires sur les animaux fut particulièrement intéressant. Un animal, on peut le caresser, c’est affectueux, on l’aime bien, mais il faut aussi le faire faire manger et le sortir pour ses besoins même si on n’en a pas forcément envie ou nettoyer sa litière... Tout cela est une globalité. Mais selon le message que l’on veut faire passer, on utilise certaines situations plutôt que d’autres. Pour les jeux vidéo, on aurait pu imaginer une affiche à l’opposé. Ils s’amusèrent alors à ressortir de nombreux arguments entendus de la bouche des adultes. Les enfants arrivèrent au constat que la publicité n’est pas une information objective. Elle a pour but d’inciter à un achat ou une action. Elle ne met donc uniquement en avant que les éléments et arguments qui vont servir son objectif. Cela peut paraître une évidence, mais l’habitude d’un environnement publicitaire quotidien, fait que certains enfants ne s’étaient jamais interrogés sur cette réalité. La réflexion dévia ensuite sur la question : « Ne pas tout dire, est-ce mentir ? » Vaste débat que le mensonge par omission…

Durant ce projet les enfants ont réalisé que face à une publicité, il fallait avant tout se poser la question de son but. A quoi veut-elle à nous inciter : acheter, consommer, aller, faire… A partir de cet angle de vue, il est essentiel pour chacun, de lire, décrypter, réfléchir… et compléter son information. Barnabé a conclu: « C’était bien parce qu’on a vu que les choses pouvaient avoir plusieurs faces et qu’il ne faut pas croire tout ce que l’on nous dit… »


Les Cahiers de l'Animation (n° 81, janvier 2013)