Les violences éducatives ordinaires à l'école

Des propos et gestes blessants d’adultes envers des enfants sont trop souvent observés dans des structures scolaires. Culturellement admises et tolérées, ces violences mettent l’adulte et l’enfant en position de frontalité, de force. Et si on changeait cela !
Depuis quelques temps, un nouveau terme s'insinue dans le vocabulaire de l'éducation : les violences éducatives ordinaires (VÉO). Mais qu'est-ce que c'est, au juste ? Ces violences, qu'elles soient physiques, psychologiques ou verbales sont dites ordinaires parce qu'elles sont communément admises, partagées, voire encouragées pour leur rôle « éducatif » supposé. Ces agissements placent l'adulte et l'enfant dans un rapport de force auquel l'enfant peut difficilement se soustraire.
Média secondaire

Si l'exemple le plus utilisé- et le cheval de bataille des campagnes #stopveo - est la fessée, d'autres violences peuvent passer inaperçues et s'exercer sous des formes plus discrètes, plus admises : taper sur la main, tenir un enfant pour l'asseoir, retenir un enfant par le bras. En quoi ces interventions sont-elles violentes ? La réponse se situe à plusieurs niveaux. Tout d'abord, l'intégrité physique de l'enfant est en jeu dans ces situations. Le message qui lui est envoyé est que les adultes ont le droit d'accéder à son corps sans sa permission : son consentement n'est pas sollicité et, en plus, le geste posé est chargé d'une certaine agressivité. Un autre aspect est le discours ambivalent et paradoxal qui est envoyé : d'un côté, il est interdit de se frapper, s'empoigner, se tirer... les unes les autres, mais c'est un droit dont disposerait l'adulte face aux enfants. Comment les enfants peuvent-ils entretenir des relations sereines et détendues entre eux à un stade de leur vie où ils s’entraînent à contenir leur impulsivité et leur agressivité lorsque les adultes ne montrent pas cette voie ?

En ce qui concerne les violences psychologiques et verbales, elles résident généralement dans des interventions plutôt courantes. Elles vont des menaces au chantage en passant par les punitions. Les mots utilisés semblent forts ? Pourtant priver un enfant de récréation, copier des lignes, envoyer un enfant de trois ans « réfléchir » à ce qu’il fait dans le couloir, mettre dans le coin, confisquer le doudou, crier, exiger des excuses, retirer des bons points… Toutes ces petites et grandes astuces utilisées quotidiennement dans la majorité des classes relèvent en fait de violences éducatives ordinaires. L’explication était plus claire en ce qui concerne les violences physiques ? C’est normal ! En quoi est-ce violent de punir un enfant qui aurait dérogé à une règle ? Pour y répondre, il est intéressant de se pencher sur ce que vit l’enfant, sur ce qui se joue pour lui et de se poser la question « quel message je veux lui faire passer ? ». Généralement, agir sur ce registre ne permet pas à l’enfant de comprendre en quoi ce qu’il a fait pose problème. Plus il est jeune, plus c’est vrai. Les punitions ne sont pas utilisées dans le but d’une réparation éventuelle d’un acte commis, ni même dans l’idée d’assumer ses responsabilités. Ce qu’elles entretiennent, c’est plutôt la peur ou la crainte d’être grondé ou puni. En tant que professionnel·les de l’éducation avec pour mission l’accompagnement d’individus en construction de leur identité et de leur compréhension du monde, est-ce vraiment ce qui est souhaitable ? Que souhaite-t-on pour ces futur·es adultes ? Qu’ils et elles puissent entretenir des dialogues constructifs lors de conflits ou qu’elles et ils les règlent par les cris et la menace ? Si c’est la première option que nous défendons, alors il faut entraîner les enfants à ce mode de relation. Parler pour surmonter les désaccords, accompagner les transgressions, résoudre les conflits est une option éducative à privilégier.

C’est un travail exigeant pour l’adulte que d’accompagner chacun·e, d’y être attentif et de réfléchir aux solutions qui vont permettre à chacun·e de trouver sa place et d’entraîner ses relations avec bienveillance.

 

« L’exemple, c’est nous » scandait très justement la campagne de YAPAKA. Les enfants observent les adultes, s’imprègnent de leurs manières de fonctionner, de réagir, de résoudre des conflits. Ils et elles se construisent en miroir des adultes qui les entourent. Si le message envoyé par les adultes, c’est que les cris, les punitions, les atteintes corporelles sont les manières privilégiées pour être en relation, alors il est illusoire d’exiger que les enfants résolvent leurs conflits par la parole, se parlent et soient en relation calmes et sereines. De plus, faire évoluer ses pratiques vers une éducation bienveillante permet d’instaurer un climat au sein des classes plus tranquille, plus propice à la concentration et aux apprentissages. « Mais, ça prend du temps ! » me direz-vous ? Peut-être. Sans aucun doute, même. « On n’a pas le temps ! » surenchérirez-vous ? Mais quelles sont les missions de l’école ? En Belgique, si on se réfère au Décret Missions 1, un des quatre objectifs principaux est de « promouvoir la confiance en soi et le développement de chacun des élèves ». C’est bien de ça qu’il s’agit lorsqu’on parle de violences éducatives ordinaires, c’est de lutter contre les pratiques et interventions qui nuisent à la construction de la confiance et de l’estime de soi. Il faut lutter contre les pratiques et les discours qui tentent de découper l’écolier en deux entités distinctes : l’élève et l’enfant. Tout ce qui concerne l’enfant, ne fait pas partie de ce qui a sa place dans l’espace scolaire : ses émotions, ses sentiments, ses goûts… sa vie ! Les professionnel·les se doivent de les entendre, les traiter et y répondre de manière adéquate et non pas de les reléguer à un niveau accessoire, de-quand-on-aura-le-temps, voire même, à la maison. Une vision globale de l’Enfant doit être pensée. D’autant plus que les enfants y passent un nombre incalculable d’heures et au minimum une douzaine d’années. Vu sous cet angle, l’école est un merveilleux lieu d’expérimentation des relations qui peut devenir vraiment riche et intéressant si des adultes bienveillant·es les accompagnent dans ces découvertes.

Un argument récurrent face aux violences éducatives ordinaires est : « On en est pas mort ! ». Tout d’abord, nous pouvons espérer que le critère de vie ou de mort n’est pas l’option éducative retenue par les professionnel·les pour guider leurs actions. Ensuite, face aux objectifs de confiance en soi et d’accompagnement du développement de chaque enfant, il est légitime de se demander en quoi copier cent fois une phrase ou être installé sur la chaise du-de la puni·e y contribue. La réalité pour l’enfant est une punition vide de sens, voire humiliante. Comment peut-il construire une image positive de lui-même face à une feuille blanche arbitraire ou seul face à sa colère et sa frustration ? Alors, effectivement, les enfants ne meurent pas d’aller dans le coin, mais la confiance qu’ils et elles ont en l’adulte ou en eux-elles-mêmes se trouve entachée. Si « On en est pas mort ! », on a parfois été blessé et les adultes que nous sommes, bien que vivants et vivantes, ne sommes pas pourtant dénué·es de fêlures dues à nos vécus scolaires.

L’ultime réticence est la peur de créer des enfants rois, des enfants irrespectueux à qui tout serait dû et qui auraient tous les droits. Il ne faut pas confondre ici, bienveillance et laxisme. Mettre en œuvre des pratiques qui reconnaissent chaque enfant dans son individualité n’est en aucun cas synonyme de laisser-faire. C’est un travail exigeant pour l’adulte que d’accompagner chacun·e, d’y être attentif et de réfléchir aux solutions qui vont permettre à chacun·e de trouver sa place et d’entraîner ses relations avec bienveillance. Laisser-faire reviendrait à laisser les enfants livrés à eux-mêmes et donc en proie à leur agressivité encore incontrôlée. Ce serait contre-productif et peu intéressant. 

Toutes ces pratiques sont le fruit d’une culture éducative vieille de dizaines d’années, reproduite et encouragée. Elles sont ancrées dans les murs des écoles et la formation initiale des enseignant·es ne permet guère de questionner la relation proposée aux enfants. Là où les compétences sont reines, la connaissance fine du développement de l’enfant et de ses besoins sont survolés et peu incarnés dans la vie quotidienne. Dans une société qui n’a jamais été aussi divisée, la bienveillance et l’éducation des enfants sont des outils plus que précieux !

Pour la classe

  • En tant que professionnel.le de l'éducation, il est primordial de prendre conscience de l'importance de son rôle dans les processus de socialisation des enfants. Les attitudes, les mots, les relations qu’elles et ils vivent, entendent sont ce qu'elles et ils reçoivent pour agir avec les autres. Le cheminement paraît simple, mais il est pourtant très réel. Pour apprendre à être en relation sereine avec ses pairs, il faut vivre des relations tranquilles avec les adultes. 
  • Bannir les punitions qui sont une pratique criante de violence éducative ordinaire. Elles installent la peur, la menace, entachent la confiance en soi et peuvent être humiliantes. Il est urgent de les exclure de l'école et de réfléchir à des pratiques qui permettent d'accompagner les enfants dans leur appropriation et expérimentation des règles et du cadre. Cela nécessite aussi, en tant qu'adulte, de questionner et de travailler ses exigences en termes de rapidité d'exécution d'une tâche ou d'une règle demandée à l'enfant. 
  • Faire le point sur ses valeurs éducatives, en adéquation avec le projet pédagogique de l'établissement, est un passage nécessaire pour tous et toutes les professionnel·les en relation avec les enfants. De cette manière, leur mise en œuvre peut être pensée. Cela nécessite aussi de se questionner sur ses craintes, ses peurs, ses réticences et de prendre l'initiative d'aller se former en dehors du cadre scolaire, dans des associations, des mouvements pédagogiques.
  •  Pour travailler ses attitudes, il faut porter une attention constante à ses interventions. C'est un travail difficile et fatigant, mais dont on ne peut faire l'économie. Il faut se méfier des phrases toutes faites, répétées par habitude, ancrées dans les murs de l'école. Une balise intéressante est de se demander si l'intervention ou l'attitude proposée est bienveillante et permet à l'enfant d'être considéré comme une personne.

Pour l’école 

• Stopper la violence des rapports hiérarchiques entre les acteur·rices de l'école (adultes- enseignant·es, direction et autres membres du personnel - ainsi que les élèves). Pour cela, chacun·e doit avoir une place dans les processus de décision en donnant son avis sur la vie de l'école et en formulant des propositions (un peu à la mode « une personne, une voix »). De même, chaque membre de l'équipe, compris le personnel d'entretien et de cuisine, les Atsem, AESH, les secrétaires, doivent être impliquées dans les réunions pédagogiques et dans les processus éducatifs avec les élèves. 

• Informer, sensibiliser et former. La problématique ne s'arrête pas aux portes des établissements scolaires. Une école soucieuse de s'attaquer aux violences éducatives ordinaires, bien ancrées dans tous les moments de la vie des jeunes, devrait en parler ouvertement avec l'ensemble des membres de l'équipe (personnel d'entretien et de cuisines, enseignante, Atsem, AESH, direction, secrétaire) et même avec les parents des élèves en proposant des sensibilisations et formations ouvertes aussi à toutes et tous. 

• Décider en équipe de diminuer, voire de faire disparaître les attitudes, les actions, les comportements banalisés et « habituels » qui traduisent de la violence : la simple moquerie au sujet des élèves en salle des profs, la punition individuelle ou collective, les humiliations quotidiennes, le recours à la force physique... Ainsi, chacune peut être attentif·ve à ses propres paroles et gestes, mais également à ceux des autres adultes et peut s'autoriser à interpeller ses collègues lorsqu'elle il est témoin d'un acte ou d'un propos inadéquat. Il est important que ces retours aux collègues se fassent de manière constructive et bienveillante. Tout comme il faut veiller au moment opportun pour formuler des remarques. 

Pistes pour le système scolaire, pour la société

• Mener une réflexion sur les formations initiales et continuées des enseignant·es est incontournable. Il n'est pas possible pour des professionnel·les de transformer la culture scolaire dominante sans un accompagnement structurel. Aider les personnes à développer des compétences relationnelles et pédagogiques doit devenir une priorité du système scolaire. Il ne s'agit pas pour autant d'abandonner le travail sur les compétences techniques et didactiques mais bien de trouver un équilibre qui permettra aux enseignant·es de pouvoir prendre en compte les enfants qu'elles et ils accueillent dans leur globalité tout en assurant leur mission d'enseignement, et surtout de leur permettra de se sentir compétent·es pour le faire. 

• Stopper la maltraitance institutionnelle : les adultes malmené·es par le système ne peuvent pas développer une attitude empathique envers les autres et envers les enfants ? L'entrée dans la fonction est un parcours d'obstacles dans lequel, trop souvent, l'individu est réduit à un temps de travail à prester, dans telle matière, avec telle classe, dans tel établissement, durant telle période. Repenser l'accueil, l'accompagnement et la prise en compte des enseignant·es pour leur permettre d'entrer sereinement dans la fonction et d'accueillir les élèves avec bienveillance. Plus l'École prendra soin de ses professionnel·les , plus ils et elles seront en sécurité et en capacité de prendre soin des enfants et des adolescent·es.

« L'éducation consiste à comprendre l'enfant tel qu'il est, sans lui imposer l'image de ce que nous pensons qu'il devrait être. »

 

Victor Hugo, Philosophie prose, 1835

 

1- Décret définissant les missions prioritaires de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre du 24 juillet 1997.