Les devoirs à la maison : comment les organiser pour éviter les inégalités entre les élèves ?

A l'école, faut-il à tout prix donner des devoirs à ses élèves ? Cette chronique éclaire et donne des repères pour organiser les devoirs en classe ou à la maison en France ou en Belgique.
« T’as fait tes devoirs ? » Combien de fois par semaine un enfant entend cette phrase ? Par ses parents, son instituteur ou institutrice, l’accueillant·e de l’école des devoirs... Des dictées aux exercices de mathématiques, en passant par la récitation, les enfants sont confronté·es tous les jours à ramener un peu de l’école chez elles-eux. Focus sur ce moment du quotidien à caler entre le bain et le souper.
Média secondaire

Petit détour par la loi qui se penche sur le travail à domicile pour l’école fondamentales 1. En ce qui concerne l’enseignement maternel, la règle est assez claire : les travaux à domicile sont interdits. Pour les élèves du primaire, la réglementation est plus complexe. En Belgique, par exemple, les devoirs écrits sont interdits pour les enfants jusqu’à 8 ans, alors qu’en France, cette interdiction se prolonge jusqu’à l’age de 11 ans.

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Toutefois, l’instituteur·rice peut donner des travaux oraux ou des leçons à apprendre. La Belgique nuance l’interdiction, car à partir de la 3e primaire, c’est-à-dire en CE2, les devoirs sont autorisés si « l’enfant est en capacité de les réaliser seul, sans l’aide d’un adulte ». Enfin, les travaux à domicile doivent légalement ne pas excéder une certaine durée journalière, comprise entre 10 et 30 minutes, variant selon les âges et les pays.

La réalité vécue par les enfants en Belgique ou en France semble, la plupart du temps, être bien éloignée de ce cadre légal ! Qu’est-ce que cette pratique des devoirs à domicile implique dans la vie de famille, la vie de l’école, la vie de l’enfant ?

Les devoirs prennent de la place dans la vie familiale. A peine rentré·es de l’école, les enfants s’installent, journal de classe à l’appui, pour organiser leur travail. S’ensuivent le repas, le bain, le coucher, et le lendemain, c’est reparti pour un tour ! Dans une société ou les journées de travail des parents sont longues, la réalité est à peine caricaturée. Nous nous interrogeons sur la place laissée aux apprentissages non-formels, aux loisirs, au temps libre, au repos, dans ces journées bien remplies. Pour rappel, la Convention internationale des droits l’enfant (CIDE) consacre aux enfants le droit au loisir et au repos, ainsi qu’à l’égalité des chances en matière d’éducation. L’école, en s’externalisant à la maison par le biais des devoirs, empêche les enfants de profiter au maximum de leur temps à domicile pour y vivre leurs droits.

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Au-delà de ce temps pris en otage, les devoirs impliquent généralement les parents. Rares sont les travaux permettant à l’enfant de s’adonner à cette tâche seul. Pourtant, les parents ne sont pas des professionnel·les de l’éducation et, quand bien même elles·ils le seraient, à la maison, c’est en qualité de parents qu’elles-ils prennent soin de leurs enfants.
Les devoirs exigent que les parents soient suffisamment disponibles, compétent·es, intéressé·e·s, averti·es, en maîtrise pour accompagner leurs enfants dans cette démarche. Ce n’est pas la réalité de toutes les familles. Des études ont démontré à plusieurs reprises que les enfants qui sont le plus en difficulté à l’école sont également ceux-celles dont les parents sont le moins en capacité de les aider pour réaliser leurs travaux scolaires. La conclusion qui s’impose est que cette pratique ne fait que renforcer les inégalités entre les enfants. Ce constat va à l’encontre de l’égalité des chances mise pourtant en avant pas nos politiques scolaires 2.

Les enfants passent déjà de longues journées à l’école, en classe, lieu privilégié pour s’approprier les apprentissages formels et les compétences définies dans les différents textes légaux. Cette mission est de la responsabilité des enseignant·e·s en charge du groupe-classe. Pas celle des parents. Si l’intention est de créer du lien entre la maison et l’école, alors il existe d’autres moyens qu’il faut réfléchir au sein des équipes pédagogiques. L’école ne peut en aucun cas exiger que les parents accomplissent ce travail d’apprentissages à sa place.

Une deuxième intention souvent relevée est le fait qu’il faut préparer les enfants aux études supérieures. Pourtant, créer un lien de dépendance entre les enfants et leurs parents pour réaliser leurs devoirs n’est certainement pas un moyen de leur permettre de devenir autonomes et de gérer elles·eux-mêmes leur temps de travail. De plus, dans une logique où la crèche préparerait à la maternelle, où la maternelle préparerait au primaire, le primaire au secondaire, le secondaire aux études supérieures qui, elles-mêmes, prépareraient au monde du travail, quand est-ce que les enfants peuvent vivre ce qui correspond vraiment a leur âge, leur stade de développement, leur maturité et leurs besoins ? Il est plus qu’urgent de se poser, de prendre le temps et de se calquer sur le rythme des enfants qui constituent un groupe-classe, plutôt que de vivre constamment dans l’anticipation.

Certains enfants ont une journée plus longue qu’un adulte salarié. Pour trop d’enfant, c’est [a double peine ! Les bons élèves font rapidement leurs devoirs, mais plus l’enfant a des difficultés scolaires, plus il passera du temps à les faire. Il pourra se décourager se sentir nul et ainsi semées semées les premières pierres du décrochage scolaire.

Catherine Chabrun, in Mediapart

Organiser les devoirs : pistes pour la classe

  • Respecter la loi ! Pour une fois que celle-ci promeut un certain respect du rythme et des besoins de l’enfant, il faut l’appliquer et s’en saisir pour pouvoir faire face aux pressions extérieures (parents, direction, collègues. . .) et arrêter de donner des devoirs.
  • Prévoir et donner le temps aux élèves de réaliser des taches de répétition, de mémorisation et de travail autonome dans la classe. Cela implique nécessairement de repenser l’organisation des apprentissages en classe, mais aussi d’avoir confiance dans le fait que ce qui est vécu et appris dans le temps scolaire par les enfants, les adolescent·es, est suffisant pour l’évolution de chacun·e.
  • Oser proposer du travail a domicile individualisé. Chaque élève a un rythme, des besoins, des envies, des capacités différents. Si le devoir correspond a la réalité du moment et du cheminement de chacun-e et que cela est expliqué, alors il fait sens pour l’élève et il peut-être abordé autrement que comme une sanction ou une épreuve. Cependant, il faut se méfier de ne pas enfermer l’élève dans un type de devoir particulier (« Tu es plus faible en dictée, donc tu travailleras chez toi sur l’orthographe des mots ») au risque de le dégoutter, le décourager et de lui renvoyer un sentiment d’incompétence. De même, il faut éviter de transformer les taches inachevées de la journée ou de la semaine en travaux à domicile. Un élève plus « lent » ne doit pas être pénalisé à la maison. Par contre, une réflexion peut être menée avec lui pour essayer de déterminer des changements à effectuer pour travailler à son rythme : organisation temporelle et spatiale différente, quantité de tâches adaptée, travail en binôme ou en groupe...
  • Proposer des choix aux enfants et adolescent·es dans leurs activités en classe, plutôt que de leur imposer des devoirs. Un enfant ayant le pouvoir de choisir ce qu’il entreprend pendant la journée peut avoir envie de reprendre ce travail à la maison pour le continuer librement. De ce fait, l’injonction du « devoir » est remplacée et donne place à l’envie, à la création, au plaisir...
  • Laisser la possibilité aux élèves de tout âge de présenter devant la classe ce qu’elles-ils ont fait, créé, vécu, lu a la maison. Chacun·e peut ainsi tisser des liens entre les différents moments de sa vie et dévoiler aux autres (adultes et enfants, adolescent·es) une facette de sa personnalité. Ainsi, le groupe-classe se construit et s’enrichit de possibilités.
  • Ne jamais attribuer une note pour un devoir réalisé à domicile, quel qu’il soit ! Cela renforce inévitablement les inégalités entre les élèves. Si l’on souhaite évaluer un travail effectué seul par un enfant, un adolescent, il faut s’organiser pour que l’élève puisse le réaliser à l’école avec les ressources et l’accompagnement nécessaires.

Organiser les devoirs : pistes pour l’école

  • Interdire les devoirs pour faire respecter la loi. Arrêter et, a minima, interdire leur évaluation. Le but étant de ne plus être dans la sanction, mais dans l’accompagnement.
  • Être cohérent·es en équipe et réfléchir ensemble au type de devoirs attendus et a la manière dont on les propose. D’une part, cela permet d’éliminer les jugements, les croyances, les fantasmes entre collègues et de diminuer la pression que chacun·e ressent ou se met par rapport aux autres. D’autre part, les enseignantes peuvent mettre en place une évolution dans ce qui est demandé aux élèves et dans l’accompagnement apporté, favorisant donc la construction chez ces derniers et dernières de l’autonomie et du sentiment de compétence.
  • Coordonner les travaux et les échéances imposes aux élèves, afin d’éviter de les surcharger. Trop souvent, les jeunes sont confronté·es à des enseignant·es qui réfléchissent la charge et l’investissement nécessaires pour leur cours isolement du reste. Cela ne permet pas aux élèves d’être considéré·es comme des personnes dans leur globalité, ni de garantir l’exercice de leurs droits, notamment le droit au loisir ou au repos.
  • Prévoir et garantir des moments dans les horaires des élèves pour qu’elles·ils n’aient pas de devoirs à ramener chez elles·eux. Cela nécessite de mettre a leur disposition : des adultes pour les accompagner, des ressources variées, ainsi que des espaces de travail calmes et agréables.

Organiser les devoirs : pistes pour l’institution scolaire, pour la société

  • S’assurer que la loi est effectivement respectée dans toutes les écoles.
  • Défendre le rôle social de l’école. Elle doit être avant tout un moyen pour chacun·e, mais aussi pour les groupes, de se réaliser ! Le système scolaire doit accompagner les enfants, les adolescent·es et leurs parents tout au long du parcours, dans une vision de partenariat. Par exemple, en repensant le temps scolaire (être plus longtemps à l’école) et en organisant autrement le travail individuel, en mettant à la disposition des jeunes des locaux, des ressources matérielles et humaines, sans oublier des possibilités de pratiquer des activités de loisirs. Le tout gratuitement dans l’ensemble des établissements ! Cela ralentirait la machinerie de la reproduction sociale en offrant à chaque élève, à l’école, les mêmes moyens d’apprendre et de se construire.
  • Changer de paradigme sur les évaluations : ce n’est pas en donnant des devoirs quotidiens que les enseignant·es peuvent mieux évaluer de manière continue leurs élèves. En réalité, dans la plupart des cas, ce qui sera alors évalué, c’est la compétence (ou les capacités financières) d’accompagnement des parents, tandis que sera niée la progression éventuelle de l’enfant. Il serait intéressant de confirmer la confiance du système scolaire en leurs professionnel·le·s. Ceux·celles-ci ont suffisamment de moyens autres que les bulletins, les devoirs et les interrogations notées, pour évaluer la progression des élèves. L’institution scolaire doit pouvoir encourager les enseignant·es à se faire confiance et doit réaffirmer la légitimité des professionnel·les face aux parents, à la société, en prenant ses responsabilités d’instruction et d’éducation.
1 En Belgique, on pourra se référer à la circulaire n° 108 rédigée en 2002. Pour le cas de la France, les différents textes pouvant être consultés sont les suivants : Circulaires du 29 décembre 1956 et du 6 septembre 1994, notamment.

2. En Belgique, via le Décret Mission et, en France, via la Charte des cordées de la réussite, notamment.