L’école, un lieu où persistent les inégalités de genre

Traitements différenciés des enseignant·es, attentes et ambitions différentes, appropriation des espaces forment le terreau des inégalités de genre. Le frein de familles empêche parfois les évolutions nécessaires autant à l’école que dans le périsoclaire.
Malgré les circulaires et les programmes qui visent à déconstruire les stéréotypes, les assignations genrées persistent au sein de l’école. Pourquoi est-ce si difficile de mener les élèves sur la voie de l’égalité fille/garçon ?
Média secondaire

Le système éducatif public a fait de longue date le choix de la mixité. La recherche 1 a toutefois largement documenté l’existence d’inégalités filles/garçons en observant le fonctionnement de classes, des cours de récréation, des choix d’orientation... On doit beaucoup à Nicole Mosconi 2 qui fut précurseure sur ce sujet en sortant « la question des traitements pédagogiques différenciés des filles et des garçons de l’angle mort des analyses sur l’école. » 3

Un garçon agité est vivant alors qu’une fille avec le même comportement est perturbatrice 

Démontrer ce que produit l’école pour y remédier

Car c’est bien de cela dont il s’agit : des traitements différenciés opérés par les enseignant·es, le plus souvent de manière inconsciente, que seules des observations réalisées in situ ont permis de mettre à jour. On laissera ainsi plus de latitude aux garçons face à la discipline « un garçon agité est vivant alors qu’une fille avec le même comportement est perturbatrice », on confiera des tâches différentes aux élèves selon leur sexe : on demandera de préférence à une fille d’accompagner un·e camarade blessé·e à l’infirmerie – le care, c’est féminin ! -, et on aura des attentes plus ou moins ambitieuses en termes de résultats s’il s’agit d’une fille ou d’un garçon, le tout étroitement articulé aux matières  "les garçons davantage à l’aise en math, les filles plus brillantes en français". Autant de comportements qui ancrent les clichés, essentialisent les personnes et font perdurer les assignations. Il ne s’agit pas que des apprentissages cadrés : les cours de récréation sont aussi objet d’étude, démontrant que s’instaurent et s’exercent d’importantes inégalités en termes d’accès à l’espace, là où se construit aussi le vivre ensemble.

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Ces différents travaux ont donc, après les avoir observées, disséquées et discutées avec les enseignant·es, avancé des modalités de travail qui permettraient de mettre un terme à ces discriminations. Ce qui en ressort, c’est surtout que ces stéréotypes s’incrustent dans des situations anodines et qu’elles exigent donc, plutôt qu’un cours magistral, une vigilance de l’enseignant·e qui les soumettra au questionnement dans la vie quotidienne de la classe.

Il ne s’agit pas d’asséner une règle qui aurait pour objet de faire comprendre aux élèves que la situation est liée à leur appropriation d’un stéréotype de genre. Ce qui importe véritablement, c’est d’aider les élèves à interroger ce qui se produit, et à construire ensemble une situation alternative qui ne serait pas induite par un comportement genré. 4  Par exemple, à l’issue d’une activité peinture, l’enseignante apporte des éponges pour nettoyer les tables. Plusieurs garçons refusent et disent « le ménage, c’est pour les filles ! »

Des réticences familiales et politiques qui perdurent

Puisque de tels travaux existent, il faut donc s’interroger sur le fait que le problème perdure. Que fait l’institution, quelles propositions ou injonctions seraient de nature à véritablement éradiquer cette distinction entre les sexes ?  Il aura fallu attendre en particulier l’arrivée d’un outil pédagogique, en 2013, pour poser officiellement la question des stéréotypes véhiculés dans l’éducation. Ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud Belkacem propose alors un ABCD de l’égalité, expérimenté dans les classes. Hélas, ce programme fait naître une polémique d’ampleur à travers une opposition qui prétend que l’ABCD véhicule « la théorie du genre » et risque de pervertir les enfants !

Alors que l’objectif était de lutter contre les stéréotypes et de proposer aux enseignant·es des outils pour éduquer à l'égalité et au respect entre les filles et les garçons, il est finalement abandonné. Sous le ministère suivant, il est remplacé par un site de ressources destiné au personnel enseignant comme aux familles, avant de disparaître 5. Ce recul semble être le signe qu’il n’est pas encore possible, au 21ème siècle, de mener un combat contre les stéréotypes de genre dans le cadre de l’Éducation nationale sans avoir à se confronter aux inquiétudes, voire au rejet catégorique d’une partie des familles et même de partis politiques. Il en va de même pour l’éducation à la sexualité, qui complète la thématique de l’égalité de genre. On ne peut que s’étonner des réticences à la mise en œuvre de ces enseignements obligatoires, d’autant qu’ils ne datent pas d’aujourd’hui. Les textes les prescrivant remontent à près de 40 ans et le dernier Bulletin Officiel paru sur cet enseignement - N°33 d’octobre 2018 6 - prévoit les garde-fous nécessaires pour « rassurer » les familles :  « L'éducation à la sexualité se fonde sur les valeurs humanistes de liberté, d'égalité et de tolérance, de respect de soi et d'autrui. Elle doit trouver sa place à l'école dans un esprit de laïcité, de neutralité et de discernement. En effet, l'Éducation nationale et l'ensemble de ses personnels agissent, en la matière, dans le plus grand respect des consciences et font preuve d'une grande vigilance pour que les enseignements soient pleinement adaptés à l'âge des enfants. Cette éducation vise à la connaissance, au respect de soi, de son corps et au respect d'autrui, sans dimension sexuelle stricto sensu à l'école élémentaire. Elle est complétée, à l'adolescence, par une compréhension de la sexualité et des comportements sexuels dans le respect de l'autre et de son corps. L'enfance et l'intimité sont pleinement respectées. »

Pour autant, des partis politiques 7 et des communautés diverses contestent les cours d’éducation affective et sexuelle, revendiquant généralement que cette sphère relève du privé. Si l’Éducation nationale ne cède pas sur le fond, il faut pourtant se rendre à l’évidence : très peu d’élèves bénéficient de ces enseignements. 
Les raisons avancées sont liées à un certain malaise des enseignant·es à aborder ces questions, le manque de formation de ces personnels, et une crainte d’avoir à affronter des protestations de la part des familles. Et cela concerne aussi la notion d’égalité de genre :  bien qu’elle soit l’une des compétences visées , la promotion de l’égalité filles-garçons,  à l’issue du Master, le volume horaire qui y aura été dédié ainsi que la manière dont elle est dispensée vont influencer la capacité de ces personnels à en faire un objet de vigilance concernant leurs pratiques pédagogiques. 8

Une formation et des ressources

D’autres pistes sont explorées aujourd’hui pour éduquer à l’égalité des genres. Dans les manuels d’histoire, les femmes qui étaient jusque là invisibilisées apparaissent. Leur donner leur juste place, c’est aussi enseigner que l’histoire ne doit pas tout aux seuls hommes et que des femmes y ont également participé, ont pu influencer sa marche. La littérature de jeunesse offre aussi désormais un riche catalogue d’ouvrages dans lequel on peut rencontrer des héroïnes, d’une part, et surtout des récits débarrassés des stéréotypes. À la maison comme à l’école, ces supports sont moins perçus par les opposant·es à une éducation à l’égalité comme risquant de « pervertir » les enfants. Enfin, bien sûr, la capacité des personnels éducatifs à déconstruire dans leurs propres fonctionnements les stéréotypes genrés doit montrer l’exemple aux enfants et aux  adolescent.es. Qui dirige, qui sert le café, qui prend la parole, qui anime le temps périscolaire, et intervient sur le temps de cantine ? Les réflexes en la matière sont bien souvent inconscients et les temps de formation sont nécessaires pour pouvoir se débarrasser d’habitudes multiséculaires.

Mais ces déconstructions, pour être efficaces et pérennes, doivent aussi passer dans d’autres structures qui s’inscrivent dans l’éducation au sens large : le périscolaire, les temps de loisirs, les spectacles. Cette volonté partagée, inscrite dans un continuum, ne pourra que renforcer celle de l’école. Alors plutôt que l’exemple de ce musée qui, à l’occasion d’une exposition consacrée à la préhistoire, organise une visite destinée au jeune public en ne parlant que des « hommes préhistoriques », et jamais des femmes, retenons celui d’un château qui propose un atelier intitulé « les chevaliers et chevaleresses du mercredi en famille » . Ainsi, tout ce qui amène à une déconstruction des stéréotypes d’une part, des préjugés d’autre part, fait progresser sur le chemin de l’égalité et permet aux unes et aux autres de s’émanciper de toute assignation liée au genre.  

Il revient donc bien à l’ensemble des éducateurs et éducatrices de prendre en charge cette éducation à l’égalité de genre. Ce n’est qu’ainsi que l’égalité réelle fera société, ne sera plus contestée, mais infusera en permanence dans l’esprit des unes et des autres. Et épargnera bien des souffrances.

 

Notes

  1. Voir Dossier VEN n° 592
  2. Genre et pratiques scolaires : comment éduquer à l'égalité ? par Nicole Mosconi, 
  3. Un rapport au savoir féministe par Nicole Mosconi
  4. Et si on apprenait l’égalité ? et les nombreux travaux de Gaël Pasquier J'enseigne l'égalité filles-garçons
  5. Pour les enseignant·es, des outils sont proposés ici :  Outils égalité filles-garçons  et pour les parents, ici : Éduquer filles et garçons à l’égalité et au respect mutuel
  6. Le Bulletin officiel de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports :  L'éducation à la sexualité 
  7. Éducation à la vie affective et sexuelle : enfin un guide pratique d’accompagnement
  8. Il faudrait « Déstabiliser leurs représentations et leurs croyances pour mieux identifier ce qui pose problème dans leur pratique. » conseille  Sigolène Couchot-Schiex : Fille ≠ garçon, vraiment ?

CRÉDITS PHOTO :  
mijung Park de Pixabay 
KateFile

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