Le monde d'après

Quelle étrange formulation que celle de «monde d’après». Comme si les transformations, les changements et l’évolution de la pensée et des pratiques ne pouvaient qu’être les conséquences de bouleversements liés à des guerres ou des épidémies.
Média secondaire

Pourtant le «monde d’après» est bien souvent permanent et la société, ses réalités et ses modes de pensée évoluent au quotidien. Lorsque j’étais à l’école primaire dans les années soixante, les coups de règles, punitions et autres humiliations, que subissaient certains élèves ne semblaient émouvoir que bien peu de monde. Actuellement, un.e enseignant.e se retrouverait immédiatement devant un tribunal pour de telles pratiques. A cette époque, les martinets (petits fouets à manche de bois) pendaient ostensiblement aux étalages des magasins d’articles ménagers et des bazars...

L’évolution positive de la prise en compte de l’enfant, du respect qui lui est dû et de ce que l’on pourrait donc considérer comme «monde d’après» s’est construite au quotidien, en lien avec des réalités sociologiques, des évènements politiques et médiatiques, mais surtout avec le travail au jour le jour d’anonymes qui ont progressivement imprégné la société et fait évoluer la réflexion et les pratiques.

Le confinement lié au coronavirus a nécessité des adaptations et des changements, mettant en avant l’utilisation d’Internet et laissant entrevoir le «monde d’après». Mais la place de l’informatique dans la formation et dans l’interaction entre les élèves et le monde enseignant n’est pas nouvelle. Les enfants et les jeunes n’ont pas attendu le confinement pour aller chercher de l’aide et des tutos, échanger des informations…

Ils et elles utilisent déjà depuis longtemps les réseaux sociaux et les ressources qu’apportent la «toile». Des outils pour se faciliter la tâche, parce que l’on n’a pas bien compris ce qui avait été dit en cours et que l’on ne demande plus au prof dans ces cas-là… mais peut-être aussi, parce qu’on est intéressé et que l’on aimerait en savoir plus.

En 1963, René Goscinny, dans son livre La potachologie décrivait avec humour les bons élèves : «remarquables par le fait qu’ils restent éveillés en classe, qu’ils écoutent leur professeur et, même, qu’ils le comprennent.» Une définition, qui évolue au jour le jour en raison d’un contexte permettant d’aller chercher de l’information et de l’aide ailleurs et de mutualiser les connaissances ou les pratiques. Ces transformations se passent au quotidien et de nombreux enseignants utilisent et accompagnent cette mutation, dans laquelle le savoir et les techniques se partagent avec leurs élèves et où l’adulte n’en n’est plus le principal détenteur.

Cemea

Apprendre à travailler autrement, à chercher ensemble, à relativiser, à donner du sens, à mettre en lien et à construire en fonction des besoins des élèves. Un enjeu passionnant, qui amène aussi à s’adapter à la réalité de la limite de ses propres connaissances en informatique et à celle de la possibilité d’accès des enfants à un ordinateur. Bien sûr cette démarche se construit au long cours, d’abord balbutiement, puis fruit de projets qui se mutualisent, s’entraînent et se multiplient.

Mais le mouvement est lancé, malgré des réticences et la volonté de certain.e.s de faire perdurer un enseignement ayant pour credo permanent, la transmission directe et hiérarchisée, image d’une réalité scolaire qui n’existe déjà plus.

La réalité transforme les pratiques au quotidien, contribuons avec nos valeurs d’Education nouvelle à cette dynamique et n’attendons pas le «monde d’après».


Question d'école

Dessins: Christian Lignan / texte: Olivier Ivanoff  2020

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