Délégation de pouvoir

Une marionnette à animer pour jouer et oser dire
Média secondaire
Cemea

Les enfants, qui se sont succédé dans cette classe rurale de maternelle CP, ont joué durant plusieurs années avec une marionnette, devenue, au fil du temps, un porte-parole et un support de jeux d’expression. Ce compagnonnage s’est construit insidieusement et progressivement. La marionnette était là, en classe, à disposition. Je l’utilisais de temps en temps dans le cadre d’une histoire, rien de plus classique. Petit à petit, sans que l’on sache vraiment pourquoi, les enfants se mirent jouer avec elle de manière autonome. Ils la baptisèrent du nom du héros d’une chanson enfantine et « Père Mathurin » devint une référence pour la classe. Un personnage que les enfants mêlaient à leurs activités et s’amusaient à faire parler. Je pensais que cet engouement se terminerai avec l’année scolaire et le renouvellement d’une partie de l’effectif de cette classe à plusieurs niveaux, mais il n’en fut rien. Le relais se passa de manière informelle et durant quatre ou cinq ans, « Père Mathurin » conserva son aura et ses fonctions, avant de reprendre son statut initial de marionnette lambda.

Il servit aux enfants de support à l’expression. On pouvait le faire parler, lui faire imaginer des histoires, le mettre en situation. Il était témoin de la vie de la vie de la classe, dont il renvoyait une image gérée par les enfants. Cela permettait également à certains élèves d’oser plus facilement prendre la parole. « Ce n’est pas moi, c’est « Père Mathurin… » Une interface facilitante entre un enfant, pas toujours à l’aise avec le fait de parler ou avec le contenu de son discours et le reste de la classe. Quand la marionnette participait à la vie quotidienne, mais également aux séjours en classe de découverte, elle servait de miroir, renvoyant ce qui était vécu, mais nous lui faisions également faire des bêtises, imaginer des histoires… Tout le monde savait que nous étions dans le jeu, mais s’amusait à faire semblant de croire à ce qui était mis en scène, contribuant ainsi à amener ces jeunes enfants à réfléchir sur la véracité de ce qui est dit et montré.

Ce qui me semble particulièrement intéressant dans l’appropriation de cette marionnette par les élèves est qu’elle n’a pas été organisée et instrumentalisée. Nous n’étions pas dans la récupération factice de l’intérêt des enfants pour le jeu. Elle a simplement été mise à disposition de la classe. Et l’alchimie s’est faite. « Père Mathurin » aurait très bien pu ne jamais avoir ce rôle important auprès des enfants. Ce sont eux qui lui ont donné ce statut de vecteur pour oser, imaginer, s’exprimer et apprendre.

Une chronique du livre Zakouskis pédagogiques raconte l’histoire de Père Mathurin, marionnette et vecteur pédagogique:

https://yakamedia.cemea.asso.fr/univers/zakouskis-pedagogiques