Se lancer dans les activités d'expression. Entretien avec Benjamin Dubreuil
Quelles sont les premières étapes pour se lancer dans les activités d’expression corporelle ?
On a tous et toutes des intérêts, des univers qui nous plaisent, c'est plus facile de partir de ce qui me plait, moi, pour le partager : musiques, images, histoires … Quelles sont les choses qui me font vibrer, pas besoin de se forcer à proposer des activités dans lesquelles on n'est pas à l’aise.
Partager le goût pour une pratique, par exemple partager des écoutes, c'est un bon début, pas forcement faire, mais écouter, regarder ensemble. Animer un moment où l'on partage ses goûts, ses coups de coeur, c'est déjà une activité d'expression.
Pas besoin d'être expert·e, une animatrice qui lit ses mangas avec son groupe peut lancer une série d'activités. S’obliger à faire quelque chose qui n’a rien à voir avec soi n’est pas la bonne solution. Cela peut commencer en se racontant des blagues !
Il est primordial aussi de trouver un espace où on se sent bien, le lieu doit être accueillant, sécurisant. Pour les activités corporelles la musique est facilitante, les consignes doivent être simples pour entrer vite dans le jeu, par exemple utiliser des cartes d’images de silhouettes qu’on va essayer de reproduire avec son corps seul ou en équipe.
Des idées de petits jeux pour s’essayer ?
Les activités de mises en jeu sont importantes, elle doivent être facilement réalisables d’un point de vue physique mais aussi affectif pour ne pas mettre en difficulté les personnes et leur permettre de s’engager en douceur, avec toujours la possibilité de se mettre en retrait si nécessaire sans être stigmatisé·e. Au niveau physique il faut être très attentif, attentive aux douleurs possibles dans les exercices proposés.
La présentation du cadre dans lequel les activités sont proposées est incontournable, comme la possibilité de se mettre de côté et de revenir, de pouvoir aller à son rythme en choisissant l’intensité. Il ne faut surtout pas obliger ou inciter les participant·es à aller au-delà de ce qu’ils et elles ont envie d’aller. Les petites activités de mise en jeu permettent de prendre la température du groupe et d’adapter la suite en conséquence, en voici quelques exemples :
- Une baguette d’environ 80 cm que l’on doit garder à deux en exerçant chacun·e une pression avec la paume de la main ouverte sur un bout de celle-ci. C’est un travail d’écoute corporelle, il faut maintenir la pression la plus faible possible sans que la baguette ne tombe. Une fois la bonne pression trouvée, l’anim' lance la consigne demandant à se déplacer ensemble. Pour ne pas faire tomber la baguette, on doit être à l’écoute de l’autre, à ses attitudes, se coordonner.
- Le coeur marchant, une première personne marche et deux ou trois autres la suivent en suivant les directions prises et les mouvements et attitudes. Cela oblige la personne devant à être attentive à ce que les autres puissent suivre.
- Le jeu du miroir où par deux on mime comme si l’un·e était le reflet de l’autre dans le miroir.
- Il y a aussi tous les jeux de déplacement en aveugle avec les yeux bandés guidé·e par une personne, c’est une expérience de l’entrée en confiance avec l’autre, elle ne peut se faire que lorsque le groupe est prêt à cela.
- Il y a aussi la machine infernale ou la grande chaîne.
- On peut encore détourner des jeux de société pour en inventer des variantes lançant des activités d'expression : takattack, twister, dixit, mikado géant, mimiq, linq ...
Attention toutefois à certains jeux qui paraissent anodins comme l’ambassadeur mime mais qui implique à certain·es de se retrouver seul·e devant un groupe en essayant de faire deviner quelque chose et de ce fait se mettre dans une situation qui peut ête engageante et parfois traumatisante, car pouvant déclencher des ricanements, jugements ou brimades.
Il faut donc avoir posé le cadre rassurant et offrant l’option de retrait sans risque comme il faut trouver le moment où le groupe est prêt pour ce jeu, ce sera probablement jamais dans les premiers moments de la vie du groupe. Il faut aussi savoir intégrer les variantes aux jeux proposés qui adaptent la situation à l’état du groupe, dans certains cas mettre deux ambassadeurs ou ambassadrices, par exemple.
Peut-on animer une activité d'expression sans l'avoir déjà vécue soi-même ?
Avant de proposer une activité d’expression il est important de ressentir d’abord pour soi ce qu’elle fait vivre. Dans une activité dramatique par exemple, en s'essayant seul·e, en équipe ou avec des ami·es, les animatrices et animateurs pourront identifier ce qui est facilitant ou au contraire freinant en testant les consignes, les jeux avant de se lancer avec les enfants ou les ados.
Quelle posture doit avoir l’animatrice ou l'animateur pour mettre le groupe à l’aise ? Quelle est sa place pendant le jeu ?
Avant tout jouer avec le groupe provoque un effet d’entrainement et de non jugement, voir l’anim' prendre plaisir à ses propres consignes permet d’embarquer, partager du plaisir, c’est communicatif.
L'animateur, l'animatrice peut aussi être dans « un parcours porté », par exemple il ou elle raconte une histoire, amène progressivement les enfants, les ados dans un imaginaire, " On est dans une vielle maison, les parquets grincent … il fait chaud …" Le récit évoque des perceptions reçues par tous les sens, décrit des paysages, des personnages, des situations, des évènements, l'anim' est en même temps attentive au groupe, se déplace au sein du groupe, peut entrer en relation avec un·e ou plusieurs participant·es pour embarquer progressivement tout le monde. " En ouvrant la porte, le froid nous saisit, un vent violent arrivant face à nous rend notre marche difficile " chacun·e doit alors marcher dans ces conditions, probablement en se baissant, tenant peut-être le col de son manteau …
L’anim' peut ajouter des consignes simples à son récit pour inciter au jeu. « Faites attention aux branches ! », « De gros flocons de neiges se mettent à tomber, une poudre blanche recouvre le sol, une invitation à faire des boules de neige ... » et par quelques messages non verbaux une bataille de boule de neige peut s’enclencher.
Dans le parcours porté l’anim' s’implique, son attention portée à la dynamique du groupe, à la fois dans la narration, l'animation, l'observation.
Un autre posture possible consiste à proposer une exploration. Par exemple : en voyage par deux en jouant avec un ballon baudruche qu’on ne doit pas faire tomber au sol en se le passant régulièrement. L’anim donne des indications pour aider à enrichir les mouvements : "Continuez à explorer en tenant entre vous le ballon baudruche sans les mains." Les indications peuvent être différenciées pour chaque duo selon leur évolution.
L'anim' peut aussi se mettre en retrait et mettre de la musique, laisser le groupe vivre l'activité parcequ’il n’y a plus besoin de consignes parlées.
Ces différentes postures peuvent s'enchaîner dans une progression.
Quels sont les intérêts pédagogiques des activités d’expression ?
En éducation nouvelle les activités d’expression ont pour but de développer la créativité : jouer à explorer les possibilités. On plonge dans un imaginaire qui amène toute une palette de relations avec les autres. Dessiner, se montrer des dessins. Fabriquer quelque chose ensemble par le corps, regarder l’autre bouger.
Les activités d’expression permettent avant tout de favoriser l’exploration de sensations et d'émotions et d’être en relation, elles ne visent pas forcément un spectacle mais cela reste un projet possible que les participant·es décident ensemble. Au sein d’un collectif, se développe le sentiment d’appartenance au groupe dont chacune et chacun a besoin.
Elles aident la relation aux autres, la manière de s’adresser aux autres, elles incitent à partager et à recevoir. Dans un processus qui peut être plus ou moins long elles développent l’estime de soi. Ce sont des activités puissantes qui peuvent redonner une image positive de soi, mais si elles sont conduites avec maladresse peuvent avoir l'effet inverse, ainsi il est important de les mener avec précaution.
Crédit image de bandeau : Camille Bellando
Photos : Ceméa France