Une jouissance immédiate. clinique éducative et addictions

Chacun veut jouir le plus possible et le plus vite possible. C’est devenu un mot d’ordre qui fait de nos sociétés des régimes d’addiction. Je vais tenter de cerner ce qu’il en est de la drogue et d’en tirer les conséquences en matière de clinique éducative et thérapeutique.
Média secondaire

L’expression « une jouissance immédiate » vient en droite ligne de Freud, qui définit de cette façon dans Malaise dans la civilisation ce que produit la drogue, l’intoxication chimique, comme il dit. Immédiate, c’est-à-dire sans médiation. Immédiate parce qu’à la différence d’autres tentatives de jouissance, qui elles fonctionnent nettement moins bien, comme la parole ou toute autre sorte d’échange, ce type de jouissance repose sur un court-circuit que l’OMS a bien repéré en définissant la drogue comme la rencontre entre un produit et un organisme vivant. Ce qui permet d’introduire dans la série des drogués les fourmis qui élèvent des pucerons dont elles sucent le suc pour se défoncer. Cette définition laisse ainsi de côté l’essentiel : chez l’humain, la jouissance en tant que telle est impossible parce qu’on parle. Donc, entre le produit et l’organisme, il y a un sujet de la parole et du langage. D’où la difficulté. Pour ma part, je n’ai jamais vu de fourmi droguée au suc de puceron venir me consulter. Visiblement, ça ne leur pose pas problème aux fourmis ce que nous, êtres parlants, nommons drogue. Donc rectifions la formule de Freud : la drogue est une tentative vouée à l’échec de jouissance immédiate.

C’est pour cela que les toxicomanes viennent consulter : ça semble marcher un petit moment cette immédiateté, puis ça s’effrite. Comme me l’a confié un toxico lors d’une première rencontre : « La poudre, c’est plus ce que c’était ! » En effet, il avait eu beau tenter de faire taire sa qualité d’être parlant pendant des années, celle-ci se réveillait et le bousculait. Je ne pense pas qu’on avait changé la composition de sa cocaïne. Simplement, le sujet en lui s’était déplacé ; il faisait retour là où la drogue le maintenait sous silence. Voilà pourquoi dans la clinique des addictions la question des produits est secondaire ; seule la question du sujet permet d’aborder la compréhension et le traitement de ce qui lui pose problème dans sa vie.

Autrement dit : la cause est dans le sujet. D’emblée, j’indiquerai qu’en matière de toxicomanie il convient de ne pas se tromper de porte d’entrée. Ainsi entrer dans la question par la porte des produits, à moins d’être chimiste ou chercheur en toxicologie, n’offre aucun intérêt, parce que toute la clinique des toxicomanies nous enseigne que ce n’est pas la drogue qui fait le toxicomane, mais le toxicomane qui fait la drogue, je dirais même sa drogue.

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