Et si les blagues potaches à l’égard des femmes et des personnes homosexuelles constituaient le terreau des violences sexistes et sexuelles ?
Lutter contre le sexisme. Dossier
Le dernier article de VEN consacré à l’égalité des genres remonte à 2020. Il était alors encore difficile de mesurer les effets et la puissance de la déferlante #MeToo et de sa version française #balancetonporc. Certes, la libération de la parole portée notamment par les actrices de cinéma puis élargie aux professionnelles de la culture, des médias, du sport de haut niveau était amorcée, autorisant davantage de femmes « ordinaires » à faire front ensemble, à dire non aux violences dont elles étaient victimes et à porter plainte. Au même moment, et cela jusqu’à la récente polémique autour de Gérard Depardieu, des ouvrages déterminants dont Le consentement de Vanessa Springora à propos de Gabriel Matzneff questionnaient en toile de fond ce qui, jusqu’à avant #MeToo, semblait couler de source : au nom de l’art, du pouvoir ou du talent peut-on tout se permettre ?
Si le débat de société divisait, le modèle patriarcal hétéro-normé excluant de fait les personnes dont l’identité ou l’orientation sexuelle ne correspondent pas aux modèles dominants était enfin ébranlé. Et si les blagues potaches à l’égard des femmes et des personnes homosexuelles constituaient « le terreau des violences sexistes et sexuelles » (voir p. 42), une première marche dans l’échelle des violences basées sur le genre ? Peu à peu se dessinaient les contours d’un continuum entre le sexisme ordinaire, les féminicides et les violences homophobes. Allait-on enfin pouvoir faire du sexisme une histoire ancienne, sortir de la binarité et des modèles hétérosexuels normatifs ?
Comme un boomerang
Le 22 janvier 2024, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) publiait son dernier rapport, totalement contre-intuitif, après la vague féministe post #MeToo qui laissait imaginer une génération prête à se mobiliser pour l’égalité de toutes et tous. Les chiffres sont accablants : + 20 % de féminicides l’an dernier, 23 % des hommes de la tranche 25-34 ans considèrent qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter et seulement 48 % des hommes de 15 à 34 ans considèrent que l’image des femmes dans la pornographie est problématique, contre 79 % chez les plus de 65 ans. Autrement dit, les réflexes machistes et masculinistes qui exaltent la virilité se renforcent dans la jeunesse française. Sans doute ne remet-on pas à sa place une population à la domination millénaire sans provoquer de réactions de repli sur soi chez certains. À cette dernière vague féministe répond un ressac aussi puissant.
C’est dans ce contexte à la fois paradoxal et urgent que ce dossier interroge le rôle de l’éducation pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles (VSS). Si parmi les éducateurs et les éducatrices qui accompagnent les enfants et les jeunes sur le chemin de l’émancipation, il semble évident que l’éducation est déterminante pour l’accès à l’égalité, l’ensemble de la population en est moins convaincue : « 6 % seulement de la population fait totalement confiance à l’école et à l’université pour prévenir les actes et violences sexistes », note ainsi le HCE dans son dernier rapport (négligeant malheureusement de questionner ce qui pourrait aussi s’élaborer dans les espaces éducatifs hors de l’école). Pas tout à fait étonnant quand on sait que la loi Aubry de 2001 qui prévoit trois séances d’éducation sexuelle par an au collège et au lycée n’est toujours pas appliquée, et ce, malgré son élargissement aux classes de l’école primaire. Vingt ans de perdus durant lesquels Internet est devenu le premier canal par lequel s’informent les jeunes sur la sexualité…
Discours de la méthode
Déconstruire les comportements sexistes ne se décrète pas. Les espaces collectifs peuvent permettre de questionner les convictions individuelles et de transformer les pratiques.
Manquerait-on d’outils ? Serait-on insuffisamment formé pour adopter les postures qui permettent d’en finir avec les VSS ? Comment réagir quand, dans un groupe, des propos sexistes sont tenus ? « La solution se situe d’abord dans une réaction à des propos sexistes mais également dans le fait d’offrir d’autres représentations du genre », explique la chercheuse Fanny Gallot (p. 42 à 45). « Déconstruire les comportements sexistes, questionner les convictions individuelles et transformer ses pratiques ne se décrètent pas (…) ; chaque participant et participante arrive en formation avec un parcours porteur de représentations stéréotypées, souligne Marie-France Zicot, formatrice et coordinatrice du projet « Pour une éducation à l’égalité des genres » aux Ceméa belges. « Les violences sexistes et sexuelles sont profondément inscrites dans la société, explique Alexis Demoncheau-Wemeaux, responsable de l’animation volontaire aux Ceméa. De fait, cela induit des comportements genrés et discriminants dans toutes les formes de vie collective, notamment en accueil collectif de mineurs ou en formation BAFA/BAFD. »
Les méthodes d’éducation active et d’éducation populaire, en s’appuyant sur le groupe comme facteur d’évolution, de confrontation constructive, en permettant d’agir avec les autres, offrent la possibilité – sans jamais aucune garantie – de cheminer à son rythme, avec plus ou moins de résistance. « Faisons du sexisme de l’histoire ancienne ! », affiche le Haut conseil à l’égalité. C’est aussi ce à quoi éducateurs et éducatrices des personnes cis 3 aux LGBTQIA+ 4 aspirent : vivre ensemble avec leurs différences et leurs orientations diverses. À condition d’être formé·e et d’être porté·e, au sein de son institution, par un projet de lutte contre les VSS et pour une véritable égalité femmes-hommes. « Parfois, nous devons faire le travail, même si nous ne voyons pas encore une lueur à l’horizon nous disant que cela va être possible », proclamait l’activiste américaine Angela Davis. Alors en route.
Retrouvez dans ce dossier :
Éclairage : Une formation pour lutter contre le sexisme ordinaire, par Marie-France Zicot
Reportage : La sortie du week-end. Rencontre avec un groupe d’animation des Éclés du Sud-Ouest, par Olivier Brocart
Reportage : Les règles du jeu. Pour une répartition équitable des espaces de la cour d'école, par Laurence Bernabeu
Interview : Fanny Gallot « Le privé est politique », par Laurence Bernabeu
3 questions à : Alexis Demoncheaux-Wemeaux, Agir dès le Bafa, par Laurence Bernabeu