"Sur Ieçonstoutesfaites.com, tu trouveras tout ce dont tu as besoin pour ta classe !"

Ça peut être utile, ça dépanne, mais cela ne peut être comparé à une bibliothèque en merisier construite sur mesure par une orfèvre de l’ébénisterie. Il en va de même a l’école. On ne peut construire un environnement pédagogique riche à coups de séquences  "toutes faites" puisées au gré de pérégrinations sur des sites parfois pseudo-pédagogiques, même si d’aucunes le prétendent. Lorsqu’on réussit à monter son meuble en kit a la maison, on ne se prétend pas ébéniste pour autant.

Ovide Decroly et John Dewey parlaient d’une "école par la vie, pour la vie". Comment pourrait-il en être ainsi quand l’école utilise des outils construits par d’autres, sans aucun aménagement si ce n’est le choix des séquences utilisées ? La "part du maître", telle que la dénommait Célestin Freinet, doit faire la part belle à la curiosité pédagogique, à l’inspiration auprès d’autrui, auprès du manuel, de la leçon trouvée sur le net, de la pratique du·de la collègue de la classe d’à côté... Cependant, rien n’est réutilisable tel quel. En fonction du groupe, de son vécu commun, de la "culture de la classe", tout doit s’adapter. Même la séquence formidable construite et vécue l’an passé avec un groupe peut faire un beau flop avec celui de cette année. Alors, vouloir reprendre le kit tout fait n’est-ce pas le contraire de l’activité pédagogique que Francine Best définissait ainsi : "L’activité est autre chose qu’une simple effectuation" ?

Un soutien aux enseignant·es par une formation plus longue

Ce mal frappe aussi très tôt dans le métier. Dès l’ouverture de la période des stages en Hautes écoles¹, nous voyons se propager sur les réseaux sociaux spécifiques des requêtes souvent sibyllines : "Je dois faire une leçon demandée par mon maitre de stage après-demain sur l’addition écrite en CE1. Je ne sais comment l’aborder. En auriez-vous une à me proposer ?".  Ne serait-on pas là au niveau zéro de la formation professionnelle ? A l’heure où l’allongement de la formation initiale des enseignant·e·s se concrétise en Belgique francophone, elle n’a de sens que si nous concevons notre rôle comme celui d’un·e praticien·ne réflexif·ve de l’éducation. Si nous nous cantonnons à faire le choix des séquences, des manuels, des animations toutes faites à imposer à l’enfant, une formation de six mois pourrait paraitre suffisante a nos yeux ! Être enseignant·e, c’est autre chose que de consommer du kit éducatif. Nous soutenons donc un allongement de la formation initiale qui proposerait aux futur·es enseignant·es de réfléchir au sens de leurs pratiques, reflet de leurs visions politiques de l’éducation. 

Si le monde du marketing et de la publicité franchit de plus en plus souvent la porte de la classe, c’est bien souvent l’enseignant·e qui la lui ouvre en grand, à coups de matériel didactique "gratuit" (sic), de coffrets pédagogiques gracieusement offerts. 

Empêcher la facilité d'apprentissage, aller vers de la vraie pédagogie

La deuxième mode qui fait des ravages dans les classes est celle de la pédagogie "Un peu de tout". Sous couvert de diversité, on entend de plus en plus souvent le discours : "Il n’y a aucune pédagogie parfaite. Moi, je prends le meilleur de ce que je rencontre à droite et à gauche." Cette façon de voir les choses réduit la pédagogie à un ensemble de techniques et de procédures, qui pourraient servir de manière isolée sans être identifiées à un mouvement pédagogique. Cela nie l’importance de la philosophie de l’éducation que porte chacune des pédagogies. On peut avoir une classe qui pratique la surprise d’Ovide Decroly, le texte libre de Célestin Freinet, les ceintures de Femand Oury, les ateliers de Maria Montessori, les projets de John Dewey... et, au final, ne pas faire une minute de pédagogie active. Chacune de ces personnes a créé des outils pédagogiques, mais elles ont surtout développées des philosophies de l’éducation.

Utiliser les techniques sans mettre en œuvre la philosophie qui y est liée, c’est consommer de l’éducation active comme Monsieur Jourdain consomme de la prose... Faire de l’éducation "en kit" ou "prêt-à-porter", ce n’est pas faire de l’éducation. Chaque enfant, Chaque jeune, est différent et mérite une éducation "haute couture" sur mesure ! 

Préparer les leçons : pistes pour la classe

•  Partir de la vie, celle des élèves, celle du groupe-classe ! Aucun manuel scolaire, aucun site pédagogique, ne pourra jamais être en accord avec cette vie. Ils ne peuvent être que des outils déconnectés de ce qui motive l’enfant, quels que soient les pseudo défis motivationnels ou pseudo "situations mobilisatrices" qui introduisent la leçon.
•  Laisser la place à la parole des élèves, prendre le temps d’écouter et d’observer le groupe-classe et de pouvoir, au regard de tout cela, proposer des apprentissages en relation a cette vie qui grouille. S’aventurer à de nouvelles choses. Se tromper parfois, cela suppose que l’on fasse du tâtonnement expérimental pédagogique, en apprenant de ses réussites comme de ses échecs. Pourquoi l’enseignant·e apprendrait-elle·il différemment de l’enfant ?
•  Oser transformer des outils, oser s’inspirer de manuels, de sites, de ce qui se passe dans la classe voisine, mais surtout adapter ce matériau aux besoins des élèves, du groupe, aux centres d’intérêt et au vécu de la classe.
•  Prendre le temps de discuter avec des collègues, même si celles·ceux-ci ne font pas partie de son équipe de travail, cela permet de s’entraîner à réfléchir les outils, à les adapter, à les faire siens.

Préparer les leçons : pistes pour l'école

• Prendre le temps en équipe de pouvoir échanger ses pratiques sans juger, sans systématiquement modéliser "ce qui marche" et en s’autorisant la critique constructive, pour permettre à chacun·e d’évoluer dans son travail et de remettre en question ses outils.
• S’éloigner de la pédagogie du  "texte lacunaire" où l’élève ne doit rien créer, rien produire et où le savoir est prémâché. Toute équipe devrait se méfier de ce type de pratique et il peut être intéressant de se fixer des règles ensemble sur ce que l’on trouve pertinent ou pas comme type d’activité. Par exemple, une règle efficace pourrait être : "On s’échange tout, mais on s’interdit d’utiliser les idées, les leçons telles quelles, sans en modifier au moins un élément du schéma, sans avoir pu apporter sa touche personnelle au regard de sa classe."
• Avoir une vision commune des objectifs, des valeurs de l’école, pour offrir aux élèves la possibilité d’évoluer au fil des années sans, pour cela, avoir des fonctionnements, des manuels ou encore des leçons identiques...  Travailler sa personnalité de professionnel·le de l’éducation, portée par un projet d’établissement.

Préparer les leçons : pistes pour l'institution scolaire, pour la société

• Valoriser le temps de réunions d’équipe. Le travail d’enseignant·e doit être collectif et reste, trop souvent, considéré comme une tâche isolée, solitaire : l’institution doit formaliser l’importance de la concertation.
• Avoir une bibliothèque pédagogique au sein des établissements pour permettre aux enseignant·es d’avoir accès aux recherches en sciences de l’éducation et d’en discuter à l’école, avec d’autres.
•  Les systèmes éducatifs pourraient avoir leur propre site de ressources pédagogiques, pour ne pas laisser ce type d’outil aux seules initiatives privées, au risque de souscrire à une marchandisation économique des outils. Ces sites devraient être construits comme des schémas de questionnement, plutôt que comme des banques de solutions toutes faites.
• Entraîner les enseignant·es, notamment par la formation initiale et continue, à transformer les outils et les méthodes pour se les approprier et les adapter aux besoins du moment. Les préparer à compiler des connaissances qui construisent un apprentissage, plutôt que de former à copier des schémas de leçons.

1. Le terme belge Haute école désigne l'institut national supérieur du professorat et de l’éducation (INSPE) pour la formation des enseignant·es en France 

2. Henry Landroit, in www.entreleslignes.be - Modestie rime avec pédagogie