L’enfance et sa sexualité
Le sujet de la sexualité est souvent esquivé dans les formations à l’animation (un peu comme si les ACM étaient asexués), comme si la question ne se posait pas dans cette sphère. Comme partout elle se pose c’est pourquoi un éclairage sur sa place dans le développement de l’enfant participe indéniablement de la formation des animateurs et animatrices. Si dans ce qu’on nomme sexualité infantile le point d’ancrage est le corps c’est bien la pensée qui en est le centre essentiel. d’abord activité personnelle pour l’enfant, insignifiante pour l’adulte elle se transforme au fil des mois pour permettre à l’intime de se confronter aux règles sociales et aux interdits (importance des rêveries et des fantasmes chez l’enfant), les identités se façonnent peu à peu et souvent au sein d’une bande qui constitue un espace de sécurité. Puis vient la transformation du corps et la puberté…véritable apogée. Les missions premières des animateurs et animatrices, des directeurs et directrices est bien l’observation, l’attention portée à l’expression (langage et corps) et la bienveillance qui ni ne banalise ni ne dramatise.
Accueillir un enfant en vacances collectives, c'est penser des propositions d'activités épanouissantes, c 'est aménager les espaces qui autorisent les initiatives individuelles et de groupes, c'est organiser les différents temps de la journée en tenant compte des rythmes de chacun, mais c'est aussi constituer une équipe d'animateurs attentifs et bienveillants aux besoins des enfants et adolescents dans leur développement. La sexualité est une des composantes de ce développement, une composante essentielle qui participe de l’élaboration d’une relation identitaire structurante aux autres entre principe de plaisir e t principe de réalité, interdits et frustrations, créativité et socialisation. Le temps des vacances collectives ne marque pas un temps d'arrêt de cet aspect de la vie d'un enfant o u d'un adolescent ; peut-être même les ACM sont-ils des lieux privilégiés d'expression rassurante de cette part de chacun. Pour autant la sexualité infantile est trop souvent encore le sujet de propos de déni ou de compréhension empreinte d’une morale qui empêche d’en saisir le sens.
Satisfaire le manque
Alors comment comprendre la place de la sexualité dans le développement de l’enfant ? Pour cela, il nous faut faire un détour par les tous premiers mois de la vie. C’est dès l’origine quasiment que la sexualité infantile qui n’en porte pas encor e le nom, prend ses racines.
D'emblée la venue au monde, à l’air libre et dans la pesanteur, fait du corps du bébé un espace de réception des premières perceptions et sensations de son existence . Perceptions liées aux fonctions basiques, faim, sommeil, troubles digestifs et à l’environnement, température, bruit, ambiance. Les excitations externes et internes se mêlent et si parfois les excitations externes peuvent être évitées , notamment par les interventions prévenantes et bienveillantes de la mère, du père ou de l’adulte d e référence, les excitations internes n'offrent aucune échappatoire . La conséquence directe de cette opposition entre les excitations externes et internes soumet le bébé à une pression et à un effort de maîtrise de ces excitations pour aller vers un état de détente retrouvée. La levée de la tension dépend de la seule satisfaction qui adviendra. Il en est ainsi des excitations internes provoquées par la faim dont l'apaisement est produit par l'arrivée du sein maternel. A l'effet désagréable de l'excitation interne se substitue le plaisir procuré par la détente du comblement du manque . C’est la répétition quotidienne de ces situations qui au fur et à mesure entraîne le bébé et plus tard le jeune enfant à trouver par lui-même les réponses de maîtrise.
Ainsi l'action de sucer son pouce pour le jeune enfant est la réponse adaptée d'une satisfaction de plaisir éprouvée lors de l'allaitement , dont la répétition par ce pouce substitut du sein maternel participe de la maîtrise de l'excitation.
La réponse de l’autoérotisme
De même, lors de l’endormissement, cette période qui fait passer l’enfant de l’état de veille au sommeil, se mettre au lit avec son objet favori, dans une position choisie, en se caressant parfois ou en se balançant, est l’expression de trouver le plaisir d’éprouver l’apaisement nécessaire à l’abandon aux bras de Morphée. Ces activités qualifiées d'autoérotiques amènent l'enfant à trouver les réponses de plaisir par lui-même et à évacuer ou différer les sensations de déplaisir. Ces activités personnelles autoérotiques produisent aussi un effet de concentration sur soit et donc de pensées , d’images positives comme celles de « rêver » le sein absent, ou le parent qui a quitté la chambre, effet très positif puisque précurseur de la pensée créatrice. Un certain nombre de ces activités qualifiées pour certaines de rituels vont ainsi accompagner longtemps l’enfant, l’adolescent, voire l’adulte quelquefois.
Étapes de découverte
Il en sera ainsi durant les mois et les premières années qui vont suivre de ces découvertes des apaisements des tensions au fil du développement psychomoteur de l'enfant. Le passage et la maîtrise du plat-dos plat-ventre à la position assise, de l'acquisition de la marche et de la propreté, du langage , autant d'étapes qui jalonnent la connaissance de son corps par l'enfant et de sa capacité de maîtrise de ses pulsions/excitations.
Les excitations/jubilations des enfants débutants marcheur s en sont un bel exemple ; les arrêt s concentrés des premières sensations sphinctériennes un autre. Toutes ces pulsions/excitations orales, anales, urétrales, phalliques, attachées à une partie du corps ou un organe vont viser une satisfaction isolée. Le grandissement de l'enfant va faire passer ces satisfactions isolées vers des formes de plus e n plus organisées, dont la masturbation adolescente est une forme élaborée , pour se subordonner à la puberté au primat de la génitalité. Pour autant ces expériences des pulsions localisées aux parties du corps ne disparaissent pas, elles contribuent dans une sexualité épanouie aux préliminaires de la rencontre ou dans le cas contraire deviennent des points d'ancrage signes de souffrances ou de perversions. Ces excitations involontaires pour bon nombre d’entre elles, mais provoquées pour d’autres au fil de sans, ont pour moteur le couple Plaisir/Déplaisir. Les tensions éprouvées des passages de l’un à l’autre animent le socle de ce que nous nommons sexualité infantile, cette activité dont le point d’ancrage est le corps mais dont le centre essentiel est la pensée. Pensée de soi, sur soi, pensée dans sa relation aux autres ; une activité créatrice fondamentalement.
Façonner l’identité
La maîtrise des excitations et la découverte des plaisirs éprouvés par le jeune enfant entre deux et quatre ans se conjuguent simultanément à la connaissance de son corps et à celui des autres, ainsi qu’aux premiers interdits éducatifs exprimés par le s parents ou les adultes qui le côtoient à la crèche, à l’école et au centre de loisirs. La sexualité s’inscrit alors dans la relation sociale et dans le langage.
Ce qui n’était jusqu’alors qu’une activité personnelle pour l’enfant et insignifiante aux yeux des adultes devient un centre d’intérêt qui va constituer une des bases de la morale d e situation, préalable à l a conscience de la morale dans les relations humaines . L’intime va se confronter aux règles sociales et aux interdits. Les découvertes des différences physiques entre fille et garçon, les interrogations et les pensées secrètes, ainsi que les rêveries et les fantasmes sont une activité importante chez les enfants entre deux et six ans. Les identités se façonnent au fil des premières années et les intérêts des découvertes de la connaissance du monde environnant, des apprentissages et des connaissances de l’école, mai s aussi des plaisirs éprouvés auprès des autres dans une relation socialisée complexe, sont l’annonce d’une nouvelle phase du développement entre sept et dix ans dans laquelle la sexualité infantile va s’exprimer différemment dans les relations d’amitié entre garçons et entre filles et dans les jeux de séduction qui y sont liés. C’est l’âge des relation s homophiles identitaires, des bandes de garçons et des bandes de filles essentielles à cette période e t qui permettent les expressions personnelles et de groupe dans les activités. Expressions qui n’interdisent absolument pas les tentatives d’interpellation de rencontre s entre bandes de fille s et bandes de garçons et les activités communes de temps à autres . C’est justement la bande, espace de sécurité, qui permet les risques à prendre, prémisses des parades préadolescentes.
La puberté qui signale l’entrée dans l’adolescence, cette transformation physiologique, conséquente dans les effets psychologiques et sociaux, va venir mettre fin à cette période précédente de calme apparent par de nouveaux bouleversements avant une sexualité qui, quelques années plus tard , s’exprimera alors dans son apogée. L’adolescent va connaître et éprouver les transformations de son corps, ce corps qu’il avait appris à maîtriser depuis sa plus jeune enfance et qui soudain lui échappe. Ce corps vécu dans ses changements va alors se confronter au corps censé être perçu par les autres . Les insatisfactions prédominent souvent , les souffrances vraies rarement heureusement, alors que dans le même temps les pensées de conquête et d’intelligence de séduction se concrétisent au mieux. Et ce corps qui donne à voir ce bouleversement est le même qui donne à découvrir l’acmé du plaisir premier : la masturbation. Troubles et déstabilisation sont les deux faces de cette période, contrebalancée par une intelligence qui atteint le sommet des capacités de raisonnement et par une sensibilité à fleur de peau tout en contraste ! Belle personne, l’adolescent dépassera ces affres pour exprimer sa sexualité aboutie dans la rencontre amoureuse romantique.
Principe de bienveillance
Dans les lieux d’accueil pour mineurs (ACM), au passage déviance sémantique terrible (les mineurs ont remplacé les enfants et les adolescents), une d es attentions premières importantes des animateurs et des directeurs est l’observation de ce que les cor ps des enfants et adolescents disent en expression ou en silence de leur développement en fonction de leur âge . Une autre attention e t compétence des animateurs et directeurs est de toujours considérer que les expressions des enfants et adolescents sur leur corps ont toujours un lien avec cette sexualité qui s’organise, dans les activités comme dans la vie collective et la vie quotidienne. Enfin, corollaire de ces deux attentions, une autre compétence est la bienveillance, la prise en compte de ce qui s’exprime ou se tait, dans une relation de langage construit en équipe qui ne banalise ni ne dramatise.