LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

L’éducation par l’artistique

L’élargissement des publics de l’art est un échec. Pour tenter d’y remédier, l’éducation populaire doit œuvrer à la démocratisation des pratiques artistiques. Cette démarche, qui est celle des Ceméa mérite sans conteste d’être mise en avant auprès des collectivités territoriales.
Média secondaire

L’éducation populaire donne un cadre politique à la relation art-culture. Elle contribue à déconstruire les ségrégations créées par la vision réductrice qu’en donnent les politiques publiques en développant des pratiques sensibles pour permettre aux personnes de s’emparer des langages artistiques afin de faire non pas œuvre mais relation.


 

Pourquoi les collectivités territoriales doivent-elles soutenir en-deçà et au-delà de la création et de la diffusion des objets d'art, les associations pour qui l'Éducation populaire aujourd'hui c'est d'abord socialiser leur réception et ainsi « faire relation », « mettre en culture ».

Une porte d’entrée et un pont à construire

La question de l’éducation artistique est un enjeu majeur pour les organisations d’Éducation populaire dans leurs relations aux collectivités territoriales. En effet, les compétences culturelles de ces dernières, acquises progressivement depuis près de quarante ans, se sont d’abord développées dans le décalque, ou l’ombre portée, de l’action de l’État.
Elles ont reproduit la distinction administrative, instituée par l’État, avec la création du ministère des Affaires culturelles, entre les activités de loisir et les activités culturelles. Aujourd’hui, cette distinction n’a plus grande pertinence. Les collectivités territoriales accompagnent, dans le même temps, des actions concernant la fonction de l’École comme lieu de socialisation et d’ouverture sur la société, l’éveil à l’expression, l’insertion des actions culturelles et artistiques dans le tissu de plus en plus déchiré du social.

Mon propos ici est de montrer pourquoi les transformations profondes qui affectent, aussi bien les modalités de production et de diffusion des institutions culturelles que les pratiques sociales doivent conduire à un renouveau de l’Éducation populaire.

 



Cette régénération, rendue nécessaire par l’élargissement de la fracture sociale et l’éclatement du sentiment d’appartenance, peut et doit être portée par l’éducation artistique. Celle-ci est le pont entre les pratiques artistiques et les pratiques culturelles ; elle doit être une porte d’entrée pour la « mise en culture » de l’art. Cette ouverture consiste à reconnaître la distance entre art et culture qui ne peut être dépassée que par « l’appropriation des démarches artistiques. L’art devenant alors culture » ( Greffe X.,« Quelle politique culturelle pour une société créative », in Poirrier (P.), (sous la direction), Politiques et pratiques de la culture, La documentation française, Les Notices, 2010.).


Ce pont et cette porte à construire supposent d’échapper, en même temps, à la confusion de l’art et de la culture et à l’idée opposée — schématique, et trop répandue — que l’art produirait, par nature, un regard neuf ou dérangeant sur le monde et la société et produirait de la dissidence, alors que la culture, au contraire, serait réconciliatrice et dépasserait les antagonismes sociaux et idéologiques.

Image ci-contre : Une aprem au musée (Congrès des Ceméa 2015) - Après de brèves explications nous avons pu faire le premier jeu qui consistait à prendre une position d’un personnage sur un tableau. Voilà ce que ça donne quand on joue dans un musée de Grenoble.

Les limites de la démocratisation culturelle

La conjonction du discours de Malraux sur « l’héritage culturel qui se conquiert » et la volonté politique a eu un effet fondateur. Avec la création du ministère des Affaires culturelles, en 1959, la Ve République se fixait la mission de « rendre accessibles les plus grandes œuvres de l’humanité, et d’abord de la France au plus grand nombre possible de Français ». En faisant de la culture un objet de sa politique, l'État français se donnait, dans les années soixante, un nouveau moyen d’assurer la cohésion nationale, d’orienter les transformations sociales, de définir des pôles d'identification.

Un objectif oublieux des résistances sociales et culturelles

La démocratisation culturelle, bien qu’André Malraux, n’ait jamais utilisé cette expression, représente la formulation politique et sociologique d'une conception esthétique fondée sur l'actualisation des oeuvres du passé, par la mise à la disposition au plus grand nombre. Le lyrisme de Malraux a su témoigner de la capacité de l’art de forger une sensibilité commune et, par là même, de contribuer à construire une communauté. Le souci de lutter contre l'inégalité d'accès à la culture se fondait alors sur la confiance en l'universalité de la culture qu’il s’agissait de faire partager. L’objectif de démocratisation culturelle se formulait, dans les années soixante, indépendamment des modalités de l’organisation sociale et politique de la société dans laquelle ce processus devait se développer.
Envisagée par le biais de la diffusion des œuvres artistiques, la démocratisation était conçue comme une extension des publics aux plans géographique et sociologique. Comme Malraux en faisait le pari, en 1966, la « province » a cessé d’être un « désert culturel ». En revanche, près de cinquante plus tard, l’élargissement sociologique des publics de l’art est bien loin d’être réalisé.

Une conception magique de l’art

Les années qui ont suivi ont mis en évidence les limites de la diffusion du patrimoine artistique comme moyen de reconnaissance et d’appropriation de l’héritage. La conception magique de l’art s’est brisée sur les obstacles de tous ordres (sociaux, économiques, culturels) qui s’opposent à la rencontre entre l’art et les citoyens. Une des raisons de l’essoufflement de l’action culturelle, outil de la démocratisation culturelle, réside dans le fait que la rencontre avec l'art ne pouvait se faire sans prendre en compte les multiples facteurs qui en diffèrent le rendez-vous ( Caune (J.), La Culture en action, PUG, 1999.).

La séparation de la Culture et de l’École, d’une part, et l’éloignement institué par Malraux de la culture et de l’Éducation populaire, n’ont pas été pour rien dans les limites de la démocratisation culturelle. L’interrogation sur la politique de démocratisation culturelle conduite d’abord par la Ve République puis poursuivie, avec plus ou moins de constance, en partenariat avec les collectivités territoriales, ne peut se formuler dans l’alternative : échec ou succès ? Ce questionnement binaire n’est généralement ni contextualisé ni problématisé. Les réponses font l’économie des analyses idéologiques, culturelles, sociales, sous-jacentes à la question ( Caune (J.), « La démocratisation culturelle : une évaluationà construire »in Poirrier (P.),(dir.), op. cit.supra, p.21.). De même qu’elles font l’impasse sur les processus complexes qui caractérisent la circulation et l’appropriation des réalités diversifiées des phénomènes artistiques. Ceux-ci ne se réduisent pas à la rencontre avec l’objet d’art.

L’Éducation populaire : cadre politique de la relation art-culture

La place de l’art dans les politiques culturelles publiques s’est construite sur la réception sensible (esthétique) rapportée à un certain type d’objet, l’oeuvre artistique. De plus, l’expérience esthétique n’a été envisagée qu’en fonction de la confrontation à l’oeuvre légitimée par l’Institution. Cette conception réductrice a eu pour effet premier de borner les politiques culturelles à l’intérieur des formes déjà reconnues.

La diffusion de l’art dans un espace clos

En visant prioritairement des œuvres relevant de classements qui ordonnent et hiérarchisent les pratiques culturelles, les politiques publiques contribuent à maintenir les ségrégations et les échelles normatives de valeur. De plus, le processus de démocratisation se développant dans un champ où l’objet d’art est une marchandise, ce processus s’évalue selon des logiques quantitatives de diffusion. Les politiques culturelles demeurent enfermées dans un point de vue qui ne reconnaît l’art que dans les œuvres, oubliant qu’il est aussi processus d’expression et de relation. Si Hannah Arendt insistait sur la nécessité de distinguer art et culture, il convient de comprendre comment l’objet d’art peut participer à la construction de la culture. Pour Arendt, les œuvres d’art sont les objets culturels par excellence : les œuvres ont la particularité de durer plus longtemps au monde que n’importe quoi d’autre.

Les œuvres d’art ne sont ni consommées comme des biens de consommation ni utilisées comme des objets d’usage ; elles sont soumises à une certaine distance entre elles et nous. Et si « cette mise à distance peut se réaliser par une infinité de voies […], c’est seulement quand elle est accomplie que la culture, au sens spécifique du terme, vient à l’être».( Arendt (H.), La Crise de la culture, huit exercices de pensée politique, Gallimard, 1972, p. 269.).

L’Éducation populaire peut retrouver une identité et une autonomie dans cette mise à distance qui est aussi relation de transmission en développant les pratiques sensibles et artistiques qui s’emparent des langages artistiques, non pour faire oeuvre mais pour faire relation. l’Éducation populaire doit être envisagée dans une perspective dynamique qui se préoccupe de « socialiser » l’objet d’art et les langages artistiques, c’est à- dire de défricher le domaine de sa réception et de ses usages (http:// affiniteelective. wordpress.com). Elle pourrait ainsi prendre une place identifiée dans le domaine des pratiques culturelles, au sens de la praxis grecque qui vaut comme système de relations interpersonnelles.

 

L’éducation artistique, parce qu’elle vise à la formation de Soi dans son rapport à l’autre se doit de reprendre l’apport trop oublié de Michel de Certeau. Ce dernier, au début des années soixante-dix, parlait des « arts de faire » et passait au crible les mécanismes d’appropriation, de détournement tels qu’ils peuvent être développés quand « l’homme ordinaire devient le narrateur, quand il devient le lieu (commun) du discours et de l’espace (anonyme) de son développement »( Certeau (M. de), L’Invention du quotidien, T.1, «Arts de faire», UGE, Paris, 1980, p. 40.). Cette démarche est celle des Ceméa, c’est elle qui doit être valorisée auprès des collectivités territoriales parce qu’elle concerne le développement de la personne dans sa relation à la collectivité. ■