Au Papotin, on peut tout dire

On se débarrasse des écharpes et des bonnets, on échange des hugs, des bonjours, de larges sourires, des caresses sur la joue, sur la manche d’un pull... ou pas, c’est selon. Car maintenant, c’est comité de rédaction du Papotin, un journal pas comme les autres, un projet citoyen. Venu d’institutions amies, hôpitaux de jour pour adolescent·es et jeunes adultes, Esat, foyers pour adultes, IME, foyers d’accueil médicalisé d’Île-de-France, le groupe de journalistes a entre 18 et 60 ans. Soixante-dix personnes au total, réunies pour une matinée de cogitations et de partages, de fous rires et de confidences, le tout régulé par Julien Bancilhon, psychologue à l’hôpital de jour d’Antony où est né ce projet. « Le mercredi matin, je suis rédacteur en chef et pas psy. Je travaille avec des journalistes sur un projet culturel et citoyen, pas thérapeutique. D’ailleurs, parmi les personnes atypiques qui sont là, certaines ont déjà eu la carte de presse. » Le micro en main, Julien distribue la parole. Retour tout d’abord sur la dernière rencontre avec Christiane Taubira qui a été filmée trois semaines plus tôt à l’Institut du monde arabe (diffusé le 02/12/2023 à 20h32 sur France 2, disponible en replay jusqu'au 31/12/2025 ). « C’était bien quand Vanessa a parlé créole avec la ministre. Et quand Otto a dansé avec elle », s’enthousiasme David. « Elle a été vraiment émue, quand elle a parlé de sa maman. Je la croyais plus dure », reprend Yolanda. Et en effet, ce qui se produit avec ces journalistes hors des normes établies, donne à voir autrement des personnalités publiques. Comme le souligne Paola Ravanello, éducatrice spécialisée engagée dans le projet depuis ses débuts, « par leur manière d’être, ils ne sont pas tenus par la norme et ne demandent pas d’autorisation. C’est comme ça qu’ils arrivent à rencontrer la personne derrière le personnage public.» Parmi les personnalités qui se sont déjà prêtées à l’exercice, on compte tout de même Marc Lavoine, Barbara, Léos Carax, Carla Bruni, Emmanuel Macron, Dany Boon, Virginie Efira... 

Brainstorming

Déjà 11h25, il s’agit maintenant de préparer l’interview de l’actrice Adèle Exarchopoulos qui aura lieu dans deux semaines. Comme à chaque fois, une biographie de l’invitée a été envoyée dix jours plus tôt aux journalistes et aux personnels éducatifs. « J’ai fait des recherches, regardé les films d’Adèle », explique Claire, une des figures de la rédaction qui vit avec sa mère dans le XXe arrondissement. « Et voici ma question: comment fais-tu pour être mère alors que tu es encore une enfant dans et au fond de ta tête ? » Le micro passe de main en main, les tours de parole sont respectés, comme le sont celles et ceux qui ne s’expriment pas. Ici, nulle injonction et c’est dans un calme et une attention remarquables que s’égrènent les questions : est-ce que tu t’aimes toi-même? Pourquoi as-tu la phobie des bêtes sauvages ? Est-ce que tu aimes la réglisse ? Pourquoi vous sucez votre pouce ? Comment jouer un rôle bisexuel ou homo quand on est hétéro ? Pourquoi tu es maniaque ? Moi aussi je suis maniaque. Quand j’étais jeune, je n’aimais pas trop mon corps. Et toi, tu aimes ton corps ? Les digressions, abondantes, sont accueillies tranquillement par Julien et l’ensemble de l’auditoire. Comme s’il n’y avait ici rien à juger, rien à évaluer, juste écouter et laisser la parole se déployer, quitte à ce qu’elle bifurque, «parce qu’elle est parfois ainsi bien plus intéressante », confie une éducatrice. Pour autant tout le monde ici n’écoute pas. Certains ont un casque sur les oreilles pour se protéger du bruit qui les envahit, d’autres dessinent, croquant ce qu’ils observent ou brossant des paysages intérieurs ou hyperréalistes. D’autres encore, la tête posée sur l’épaule d’un adulte dont ils tiennent fermement le bras, rêvassent en souriant ou ferment les yeux très fort. « Aujourd’hui, ça fait trente ans que j’ai vu Hugues Aufray au Salon du cheval », déclare tout à trac un ancien de l’équipe qui tend ensuite son micro à Aristide. « Thomas Sankara est mort en 1987 à Ouagadougou. » Et d’expliquer par le détail la vie de ce président éclair assassiné par ses plus proches compagnons. « Aristide, tu serais d’accord pour nous écrire un texte sur Thomas Sankara dans le prochain Papotin ? », interroge alors Julien Bancilhon après lui avoir laissé longuement le micro.

Du travail de pro

En mars prochain sortira le 41^e numéro de ce journal fondé en 1990 par Driss El Kesri, un éducateur convaincu que le mode de communication de ces personnes autistes permettait de créer un journal singulier qui s’adresserait à tout le monde et « non une note interne destinée aux familles et aux professionnels ». « J’ai repris le flambeau au départ en retraite de Driss », expliquera Julien Bancilhon lors du déjeuner. Et c’est en 2020 que France 2 s’est intéressée au Papotin. « On a dit oui, à condition que soit respectée notre ligne éditoriale. Ce n’est pas l’autisme qui est ici le sujet, mais bien les sujets qui sont traités et ce qu’apporte la particularité des personnes qui les traitent. Car l’autisme n’est ni une maladie, ni un handicap. La neurodiversité est avant tout une différence qui enrichit notre regard sur le monde. » Il est midi passé, encore une petite trentaine de minutes avant de devoir libérer la salle. Les questions fusent, la bisexualité de l’invitée en perturbe quelques-uns. On en débat, d’autres idées sont partagées in extremis, mais là, il faut vraiment s’arrêter. Après avoir empilé les chaises, chacun et chacune repart vers son lieu de vie. Des au revoir, des sorties silencieuses, une altercation entre deux anciens... ça se calme. Et puis on va se retrouver dans cinq jours exactement, à l’Institut du monde arabe, pour l’interview en vrai. Coiffeurs, coiffeuses, équipe de maquillage y accueilleront l’équipe de journalistes pour pomponner les volontaires. Au dernier étage, une quinzaine de techniciens à la console, cameramen et perchistes les attendront. Adèle sera là, « avec le trac au ventre ». En effet, sait-on jamais de ce qui peut advenir d’une vraie rencontre ? La suite est à découvrir en replay sur France TV/Les rencontres du Papotin, où il sera question d’enfance, d’un coming-out et d’« un peu d’amour, un peu de love ».

CRÉDIT PHOTO : Le Papotin / Laurence Bernabeu