Pourquoi proposer des APS ?
Indépendamment des niveaux de pratique, des effets de modes et des discours idéologiques, les activités physiques se présentent comme un formidable vecteur éducatif. La diversité des émotions, des relations et des acquisitions qu'elles permettent en font un outil particulièrement efficace pour les animateurs. Cette richesse pédagogique doit pouvoir être largement utilisée, c’est pourquoi il est important de rester vigilant face aux dérives sécuritaires qui éloignent les animateurs de l'utilisation de ces activités. Il importe que les animateurs volontaires ou professionnels continuent d'innover et d'inventer des formes de pratiques adaptées à leurs projets et à leurs publics. Les activités physiques ne sont nullement la propriété des institutions sportives. Elles appartiennent au patrimoine culturel de tous. En référence aux travaux de Pierre Parlebas nous pouvons identifier les différentes dimensions de la pratique des activités physiques et sportives.
Un atout pour la santé
La dimension biologique est sans doute la plus connue. Quand elles sont pratiquées de manière diversifiée, dosée et régulière, ces activités sont indéniablement un atout pour la santé et le bien-être. Elles développent les capacités motrices : vitesse, résistance, force, coordination. Elles jouent un rôle bénéfique pour les grandes fonctions physiologiques. Elles entretiennent la souplesse articulaire. Beaucoup moins connu est le lien entre motricité et développement intellectuel. C'est à partir de l'activité sensorielle et motrice (des perceptions, des déplacements, des manipulations) que les jeunes enfants vont pouvoir s'approprier l'espace et le temps. Les activités de classement, de mise en équilibre, d'emboîtement et de jeter, apportent les bases des apprentissages cognitifs. La sériation (le classement des objets) prépare à l'arithmétique, la répétition d'action aide à comprendre la relation causale et donc le lien entre action et effet de l'action. Les actions de lancer, d'attraper vont permettre d'apprécier les trajectoires, les vitesses… « L'intelligence psychomotrice » (développement intellectuel consécutif à l'expérimentation motrice) prépare et permet l'intelligence formelle de l'adulte. On le voit, la place faite au mouvement et à l'initiative, notamment des jeunes enfants, est d'une importance qui dépasse la simple jubilation motrice. Pour Jean Piaget, « tous les mécanismes cognitifs reposent sur la motricité ». Pierre Parlebas explicite cette formule : « Les opérations de l'enfant sont d'abord entièrement motrices, puis de plus en plus intériorisées, elles préfigurent et préparent les opérations abstraites de la pensée aboutie ». Ces connaissances sur le lien entre mouvement et cognition, ont considérablement modifié les pratiques éducatives des institutions s'adressant à de jeunes enfants – crèches et écoles maternelles.
Des relations intenses et originales
Les activités physiques intègrent l'autre d'une manière spécifique. Dans toute pratique qui n'est pas solitaire, la motricité du pratiquant s'organise dans une interaction constante avec autrui. Sa présence entraîne un ajustement de chaque mouvement.
Le pratiquant adapte ses gestes à ce qu'il voit, interprète ou anticipe des mouvements de l'autre. Le plus souvent sans parole, une forme particulière de communication se met en place pour obtenir la collaboration des partenaires et deviner les intentions des adversaires. Si les activités physiques sont porteuses de socialisation, contrairement aux images d’Epinal, ce n'est pas parce que les sportifs sont fair-play ou parce qu'ils « jouent collectif ».
Plus fondamentalement, c'est parce qu'elles engendrent des relations particulières (les communications motrices) qui traduisent une prise en compte de l'autre spécifique : dans et par le mouvement. Ces relations sont particulièrement intenses lors des activités de plein air. Pour passer un rapide en canoë, pour gravir un sommet encordés, pour se déplacer dans une grotte, chacun a besoin de l'engagement de l'autre. La collaboration réussie entre pratiquants devient une nécessité absolue pour la pratique (voire pour la sécurité) de tous. On le voit, de telles relations ne sont pas de même nature que celles de la vie sociale habituelle.
Dimension affective, émotions, créativité et imagination motrice
Peur, joie, fierté, hésitations, sont vécues avec intensité dans l'engagement corporel. La nature des activités influe sur la nature des émotions, et d'évidence la boxe et le saut à la corde ne génèrent pas les mêmes émotions ! Il importe que les animateurs sachent que l'intensité des émotions est sans lien direct avec la performance réalisée.Le skieur chevronné qui marque un temps d'arrêt face à un couloir pentu et le jeune enfant qui hésite avant de sauter deux marches d'escalier, connaissent probablement le même dilemme. Que le risque soit réel (alpinisme) ou imaginaire (le saut à l'élastique) ou symbolique (être attrapé par le loup), il sera perçu avec la même intensité. Le passage volontaire de l'appréhension à l'action, conforte le pratiquant dans sa capacité à s’engager. Ces situations, pour peu qu'elles soient adaptées aux possibilités des publics, permettent une lente conquête de la sécurité et de la confiance en soi. Les émotions proviennent aussi des relations avec les autres, qu'il s'agisse de partenaires, d'adversaires ou de simples spectateurs. La crainte de décevoir, la valorisation, la gêne de son corps, la joie de la réussite, la honte de l'échec renvoient autant au regard de l'autre qu'à la simple motricité. Sur ce registre, les enfants sollicitent sans détours l'attention et l'approbation en nous disant : « Regardez ce que je sais faire ! » Pour les plus âgés, d'autres manières sont utilisées, plus subtiles, plus « cultivées ». Ainsi, les activités physiques sont-elles aussi une forme de présentation et de valorisation de soi.
On présente parfois les sportifs comme des exécutants dressés pour l’exécution de gestes mécaniques et répétitifs. Le plus souvent, il n’en est rien. Aussi rapide soit-il, sa réalisation exprime la perception sélective, la prise de décision, les émotions et la créativité. Chaque geste sportif inclut une succession d’opérations, les décomposer permettra de démontrer que les pratiques corporelles sont aussi des espaces de créativité gestuelle. Frapper la balle, planter la pagaie dans l’eau, engager un virage en ski, sont des actes qui n'existent qu’après des prises d’informations ultra rapides sur l’adversaire, le courant de la rivière ou la consistance de la neige. Pour agir, il faut d’abord choisir les informations pertinentes qui permettent le passage à l’acte : le bruit de la frappe de la balle renseigne sur la puissance du smash. La forme des remous indique les rochers invisibles, l’intensité et l’orientation des courants. Le bruit des carres sur la neige dit la consistance de celle-ci et induit la technique de virage. La finesse de l’interprétation des informations dépend simultanément de l’expérience personnelle du pratiquant, de son état émotionnel et du contexte de l’action. C'est le sens qu’il donnera à ces multiples signes qui va lui permettre de décider de l'action à engager. Pour cela, il va puiser dans son capital d’expérience technique pour choisir le type d’amorti du smash, le mouvement de pagaie ou la forme du virage.
La créativité gestuelle s'exprime aussi dans l'exécution du mouvement. Même pour un smash (revers au tennis de table exécuté en quelques dixièmes de seconde), il y a place pour de l’expression gestuelle. Il y a à doser l’effort, l’amplitude du geste, la position de la raquette, la feinte du regard. Avant même que la balle ne passe le filet, le joueur sait si son attaque est réussie ou non ; il anticipe déjà la réponse de l’adversaire.Ces gestes répétés tant de fois se présentent comme des canevas d’actions possibles, jamais complètement codifiés et jamais complètement inventés. Le mouvement, même codifié, est toujours mêlé d’émotions. L’état affectif de la personne, la pression de la compétition, l’ivresse de la prise de risque viennent perturber ou enrichir l’expérience engrangée. Motricité et affectivité forment un couple indissociable, cette intrication renforce la satisfaction procurée par la pratique.
Dimension esthétique du plein air
Les pratiques de plein air sont une ouverture originale sur l'esthétique. Le ski de montagne pratiqué hors des pistes balisées en est une illustration. S’élancer sur une pente de neige fraîche n’est pas que du sport. Descendre une face, c’est se l’approprier, en faire quelque chose pour soi, et d’une certaine façon l’incorporer. Le milieu proche comme le paysage lointain ne sont plus extérieurs au skieur, ils prennent sens par l’action. Il ne s’agit pas ici d’exploit sportif, peu importe que la pente soit raide ou non. Ce type de pratique fait passer le skieur de la contemplation à l’appropriation. La trace laissée par le passage sur la neige en est le signe concret. L’alpiniste perçoit différemment un sommet avant d’y être allé et après. Parcourir effectivement ces espaces extérieurs leur confère un autre sens, le regard porté en est changé. En perdant leur inaccessibilité ces lieux enrichissent ceux qui les ont parcourus. Les émotions esthétiques de ces randonnées (du vieux français randir : courir avec impétuosité) sont sources d'émotions particulières fondées sur la pratique corporelle. La mer n’est pas perçue de la même manière par un marin pêcheur, un pratiquant de la planche à voile, ou un enfant jouant avec du sable sur la plage. Cet accès à l’esthétique du milieu par la pratique corporelle est spécifique, elle n’exige pas préalablement une mise en mots. L'accès est d’un abord plus direct. Ainsi des adolescents emmenés dans ces pratiques aventureuses découvrent cette forme de sensibilité à la beauté. Même si cette émotion est parfois moquée, elle n'en reste pas moins perçue, elle les déstabilise et les enrichit.
Cet article est issu du Dossier 21 Activités physiques et sportives de la revue Les Cahiers de l'animation Vacances-Loisirs