Pourquoi est-ce si difficile? Épisode 3

Qu’entend-on par activité scientifique ? Des activités qui font référence à des concepts aboutissant à des réalisations qui étonnent, émerveillent ou des animations qui produisent observation, questionnement, expérimentation suscités par une balade, une visite, une interrogation?
Lors d’articles précédents nous avons essayé de comprendre pourquoi il était difficile pour bon nombre d’entre nous de proposer des activités scientifiques à un public. Si le problème de la compétence de l’animateur est bien réel, celui de la nature de l’activité proposée l’est tout autant. Qu’entend-on par activité scientifique ? Des activités qui font référence à des concepts quelquefois complexes aboutissant à des réalisations qui étonnent, questionnent, émerveillent ou plus simplement des animations qui réactivent une dynamique d’observation, de questionnement et d’expérimentation simples suscités par une balade, une visite, une interrogation toute simple ? La question est lancée.
Média secondaire

Je détaillerai maintenant quelques propositions d’activité faisant référence aux différentes étapes de la démarche scientifique. Celles-ci relèvent d’une forme de sensibilisation ludique à la méthode expérimentale présentée dans VEN 570. Elles entrent de mon point de vue, dans le registre des activités scientifiques.

Plus simples, plus rapides, elles sont plus accessibles à chacun. Elles n’en sont pas moins intéressantes car elle permettent de développer l’ensemble des compétences requises pour être un bon scientifique. Elles constituent une bonne entrée en matière pour un groupe peu habitué à ce type d’activités et permettent aussi à un animateur n’ayant pas un profil de « scientifique » de se lancer plus facilement dans ce type d’animation.

L’observation est à la base de très nombreuses découvertes scientifiques

Cemea

En effet dès le XVIIe siècle, c’est l’observation du ciel à l’aide du premier télescope qui a permis à Galilée de révolutionner les fondements de l’astronomie en proposant d’adopter l’héliocentrisme.

De même, un siècle plus tard rappelons le travail de Carl von Linné qui grâce à une observation minutieuse des animaux et des végétaux à été à l’initiative de la classification du monde vivant validée encore en très grande partie par les classifications récentes fondées sur la génétique2.

Les exemples ne manquent pas pour illustrer le fait que toute découverte scientifique concernant principalement les sciences de la vie et de la terre découle toujours d’une phase initiale d’observation. Pour nous éducateurs, il est donc évident que toute situation ludique permettant de développer le sens de l’observation constitue une excellente base pour développer l’esprit  scientifique. Rappelons les conseils de nos grands-parents : « Sors les yeux de tes poches ».

Les jeux commerciaux qui stimulent l’observation sont nombreux et variés : Mais où est donc Charlie ? Le jeu des 7 erreurs… De même, nous avons tous joué ou fait pratiquer des jeux de kim où il est question d’observer et de se rappeler le plus possible d’objets en variant les conditions d’observations. Il est aussi possible d’aller plus loin que l’observation en demandant à un groupe, de classer une collection de feuilles, de pierres, d’insectes… selon des critères d’observation définis au préalable ou propres à l’observateur. Cette action, a priori simple, permet d’une part d’affiner son sens de l’observation et suscite le raisonnement.

Pourquoi mettre ensemble ces deux objets ou au contraire les classer dans deux familles différentes ? Comment le justifier ? De même, pour rendre une balade moins longue, j‘aime faire jouer au « premier qui ». Le premier qui trouve une fleur bleue, une pierre avec des cristaux, un animal rampant, une fourche de bois… Il est possible ensuite de monter la difficulté du jeu en augmentant la complexité des choses à rapporter : Trouve une feuille composée, une roche sédimentaire ; recherche lors d’une balade en ville des éléments précis d’architecture… Une fois ceux-ci rapportés ou observés, il sera possible d’en discuter et d’apporter des compléments en rapport avec la consigne.

Jouer à chasser l’intrus est aussi très intéressant. Au cours de ce jeu, une série de cinq objets seront présentés. Parmi ceux-ci, il faudra découvrir l’intrus et expliquer pourquoi il ne possède pas les propriétés des quatre autres. Outre le fait d’observer minutieusement l’ensemble des objets présentés, ce type d’activité renforce l’attention, il y a un piège à découvrir, et stimule ce que certains neurobiologistes appellent la phase d’inhibition cognitive. On place le cerveau en éveil en lui signalant qu’un objet différent des autres est à découvrir. Cela renforce son attention, son pouvoir d’analyse et d’aide à la prise de décision et de ce fait stimule le sens critique.

Pour aborder le thème du questionnement et de la recherche d’hypothèse, il peut être intéressant de faire discuter chacun autour de photos insolites et demander ce qui intrigue, ce qui pose question(s). Celle(s)-ci énoncée(s), il conviendra de voir comment y répondre. Une discussion collective aidera à formuler les hypothèses envisagées, à les confronter, à les faire évoluer afin d’arriver à un consensus.

L’observation d’une manipulation qui au premier abord peut apparaître comme incompréhensible, voire même magique et devoir trouver une explication rationnelle à ce qui est observé constitue une situation pédagogique très stimulante. Pourquoi des raisins secs placés dans un verre d’eau gazeuse montent-ils et descendent-ils de façon régulière ? Suite aux investigations et propositions de chacun, il sera possible de conclure que ce mouvement régulier observé résulte de bulles de gaz qui s’accrochent au raisin et donc modifient sa densité le faisant ainsi monter vers le haut du verre. Une fois à la surface, les bulles s’échappent et le raisin replonge vers le fond. Pour s’en convaincre, essayer cette expérience avec de l’eau plate ou en remplaçant les raisins par des haricots secs lisses incapables de piéger une bulle. De nombreux livres d’activités scientifiques proposent de telles expériences.4

Le développement du sens critique est essentiel

Savoir remettre en question les résultats d’une expérience est fondamental. Cette aptitude nécessite de se poser un grand nombre de questions telles que : n’y a-t-il pas un biais méthodologique dans l’expérience proposée ? Est-ce que ce que j’observe est bien représentatif et donc généralisable ? Est-ce que mon protocole expérimental ne perturbe pas trop le sujet de l’expérience faussant ainsi les résultats obtenus ? Le fameux principe d’incertitude d’Heisenberg (physicien du début du XXe siècle et cofondateur de la mécanique quantique) indique en effet qu’il n’est pas possible de connaître avec précision la position d’un électron car pour définir sa position il faut l’observer et donc entrer en interaction avec lui et, de ce fait, modifier la position qu’il aurait eue si nous n’avions pas observé. De même, concernant les sciences du vivant réalisées sur la cognition du petit rongeur il est démontré que le sexe de l’expérimentateur module les données expérimentales recueillies.

Il est clair que tout ceci s’acquiert avec l’expérience et reste principalement du domaine du chercheur. Cependant, il est bon de connaître cette possibilité de biais pour conforter son esprit critique. Celui-ci peut se renforcer plus simplement en cherchant à quantifier nos observations, nos expériences. Pour cela, favorisons l’utilisation d‘outils de mesure. Cela permettra une plus grande objectivité dans le traitement des résultats obtenus. Un exemple tout simple consiste à observer des segments de ligne droite égaux dessinés sur des fonds différents (rayures, couleurs différentes) et de demander lequel est le plus grand. Vous l’avez compris, il s’agit d’illusions d’optique ; toutes ces lignes ont la même taille et seul l’emploi d’une règle peut permettre de répondre objectivement à la question. Faisons nôtre cette affirmation de Descartes dans le Discours de la méthode : « Nos sens nous trompent » et soyons critiques face aux observations que nous réalisons.

Un jeu simple peut aussi consister à donner une série d’objets de taille, de poids et de densité différents et à demander à chacun de les classer par ordre de poids croissant. Il sera ensuite intéressant de comparer cet ordre à celui obtenu avec l’aide d’une balance. Et pour aller plus loin, pourquoi ne pas réaliser une balance de type Roberval qui permet de comparer le poids de deux objets et d’entrer plus avant dans le « comment on mesure ». L’intérêt de quantifier permet aussi d’aborder la notion d’erreur toujours associée à une mesure et dont il faut tenir compte dans toute expérimentation. Cela nous rappelle les débats sur les pourcentages de vote aux élections qui, donnés sans marge d’erreur, peuvent conduire à certaines interprétations peu fiables.

Refaire un grand nombre de fois la même mesure et constater que le résultat change dans un certain intervalle autour de sa vraie valeur permet d’aborder cette question. Ceci étant compris, il sera plus facile de relativiser le poids que l’on accorde aux chiffres. Ces manipulations simples concourent à affiner notre sens critique. Pour clore cette série d’articles, nous aborderons dans le prochain numéro, les autres formes d’activités scientifiques qu’il est possible de proposer.

Notes

  1. Ven 570 , Ven 571
  2. Lecointre (G.) et (H.) Le Guyader, Classification phylogénétique du vivant Belin, 2001.
  3. Houdé (O.) et (G.) Borst, « Le cerveau et les apprentissages », Repères pédagogiques, Nathan, 2018.
  4. 50 expériences pour épater vos amis au jardin, Editions Le pommier, 2013. 


    Crédits Photo: Muriel AZARI

    Cet article est issu de la revue Vers l'Éducation Nouvelle n° 572

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