Une belle opportunité

Un centre de vacances est un lieu où surgissent parfois de bien gênantes réparties. Comment réagir alors au racisme ordinaire qu’un mot lâché convoque ? Comment mettre à distance les émotions pour s’emparer de cette situation et en faire une occasion de grandir ?
Média secondaire

Ce beau matin de juillet, dans le parc du château d'Alleret, Pierre propose des jeux de ballon aux enfants volontaires. Une péripétie de jeu entraîne un contact un peu rugueux entre Abdel, Mohamed et Youen - les prénoms des enfants ont été modifiés. Ce dernier tombe à terre. Il se relève agacé. Il repousse les deux autres joueurs. Ceux-ci se rebiffent et la remarque cinglante fuse « Me touchez pas les Africains ! Vous puez ! ». En quelques secondes le jeu a basculé. Pierre intervient très vite, sépare les protago­nistes et se renseigne sur les faits. Abdel et Mohamed lui expliquent l'injure qu'ils viennent de subir. La réaction de Pierre est alors d'une grande justesse. Il ne prend à partie aucun des bagarreurs et demande aux deux amis, s'ils sont d'accord, d'expliquer par écrit en quoi les Africains méritent le respect. Ceux-ci (8 et 9 ans) acquiescent et partent très remontés vers le château afin de trouver une feuille et un crayon.

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METTRE A DISTANCE UN ÉVÉNEMENT

Sur le chemin, ils me croisent et me demandent de quoi écrire. Je les amène au bureau et ils m'expli­quent. Je leur rappelle alors l'activité Land Art dans laquelle chacun avait expliqué les qualités qu'il avait développées pour réussir son œuvre dans la nature, ainsi que le grand jeu de la veille à vocation initia­tique dans lequel ces mêmes qualités avaient été réinvesties dans différentes épreuves. On en fait le tour : solidarité, force, patience, minutie, courage, loyauté, humour ...

Finalement, ils en retiennent six et rédigent seuls leur texte. Puis ils retournent voir Pierre pour lui lire le texte ainsi qu'à Youen. Abdel et Mohamed demandent des excuses. Youen (9 ans) indique qu'il le fera par écrit.

LE TEMPS DES RETROUVAILLES

Après avoir montré sa lettre d'excuses à Abdel et Mohamed, la tension retombe. Cependant Abdel et Mohamed souhaitent lire leur texte à toute la colo en fin de jour­née lors du « temps des retrouvailles » qui permet d'échanger ensemble sur la journée. Ils sollicitent Youen qui accepte de lire ses excuses. 18 heures 15 : temps des retrouvailles. Les 45 enfants de 7 à 13 ans sont assis en cercle. Mohamed prend la parole et explique ce qui s'est passé le matin. Youen lit alors sa lettre d'excuses. Mohamed lit ensuite son texte d'une voix forte. Il termine en disant : « La violence ne mène à rien, nous sommes tous pareils». Le silence est impressionnant, l'émotion est palpable. Spontanément, plusieurs enfants applaudissent.

TOUS PAREILS, TOUS UNIQUES

Marie-Jo, intervenante formée à la médiation et à la gestion pacifique des conflits, partici­pant bénévolement, et à sa demande, au déroulement du centre de vacances afin de mettre en œuvre ses compétences auprès d'un jeune public, prend alors la parole. Elle précise qu'il faut toujours faire atten­tion aux propos qui généralisent car ils peu­vent enfermer une personne, un groupe dans une logique qui occulte sa diversité. « On est tous pareils » Mais nous sommes aussi uniques avec nos qualités et nos zones d'ombre. Il importe d'être attentif à toutes ces particularités qui nous enrichissent mutuellement dès lors que l'on sait les accueillir avec empathie.

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GRANDIR UN PEU TOUS LES JOURS

Plusieurs enfants déclarent alors qu'ils souhaiteraient devenir médiateurs. Marie-Jo leur propose aussitôt de constituer un groupe. Une demi-douzaine d'enfants se manifestent. Rendez-vous est donné pour le lendemain matin. Ils ont passé la matinée avec l'adulte afin de com­prendre les enjeux de la médiation, de repérer ensemble les qualités et les compétences auxquelles le médiateur fait appel et de s'essayer dans quelques jeux de rôle. A midi, ils sont tous très motivés et décident de man­ger à la même table. Awena et Johanna qui cherchent une place, s'approchent de leur table. « Non, dit Mohamed, ici se sont les médiateurs. » Marie-Jo, toute proche, lui rappelle à l'oreille qu'un médiateur accueille et crée du lien. Mohamed comprend. Ne jamais oublier que les enfants n'apprennent pas une fois pour toutes. Ils apprennent maintenant, puis encore maintenant, toujours maintenant.

La dynamique est lancée ... Et dans deux jours, ils s'en vont... Retrouver leurs proches et se confronter à des problématiques d'adultes qui pour un certain nombre les dépassent. Cependant, ils auront découvert que leurs sentiments existent vraiment, qu'ils peuvent être entendus, qu'ils ont des besoins et la possibilité de formuler des demandes ... Qu'ils ont aussi le droit d'être en colère et possèdent la formidable puissance de la parole pour exprimer leurs ressentis.

LA MEDIATION

PRINCIPES

  • Un espace d'écoute et de parole, confidentiel, qui doit permettre de résoudre un conflit par l'intermédiaire d'un tiers: le médiateur.
  • Ce tiers conduit une démarche. Son rôle n'est pas de trou­ver une solution mais de faciliter son émergence chez les pro­tagonistes, que l'on appellera les« parties médiées ».
  • C'est une démarche qui engage à la réflexion, à l'écoute, à la décentration de son point de vue. Elle responsabilise car elle redonne du pouvoir à chacun par une prise en charge personnelle et concertée. La médiation est un lieu de production d'identité.

LES ETAPES

  • ACCUEILLIR, POSER UN CADRE

Organiser l'espace, préciser le rôle de chacun, rappeler les règles.

  • IDENTIFIER LE PROBLÈME : LE QUOI

Relater les faits du point de vue de chaque médié.

  • ANALYSER LA SITUATION : LE POURQUOI

Faire référence notamment aux sentiments et aux besoins de chacun.

  • DÉFINIR DES SOLUTIONS: LE COMMENT

Envisager plusieurs solutions possibles de sortie de conflit avant d'établir un choix dans une logique de gagnant/gagnant.

  • OFFICIALISER LES SOLUTIONS: LE COMMENT DURABLE

Passer d'un accord provisoire à un accord durable via notam­ment un accord écrit.


Issu des Cahiers de l'Animation - Vacances Loisirs n°74 (avril 2011)