Question de point de vue

Les enseignant·e·s et les animateur·ices n’ont pas la même vision des temps partagés. Au-delà d’un imaginaire personnel fantasmé, cela engendre des incompréhensions, des divergences de vue, l’envie d’empiéter. Ça encourage aussi le besoin de se concerter.
Média secondaire

Même si le retour à la semaine de 4 jours semble une tendance dominante dans la plupart des communes, ce nouveau paysage ne règle aucunement les tensions perceptibles entre monde de l’école et monde de l’animation. Il y a une véritable ignorance du métier de l’autre dans chaque camp et partant un regard plombé et biaisé sur ce qu’il ou elle fait.

La coéducation ne peut s’arrêter à ces querelles larvées, vaines et contre-productives, c’est le grandir de chaque enfant qui est en jeu !

Il y a peu, dans tous les lieux où il y avait des classes, des enseignant.e.s, il y avait des animateurs.trices pour assurer l’encadrement des TAPS (Temps d’accueil périscolaire) et si au-delà d’un imaginaire individuel prolifique cela engendrait des incompréhensions, des retenues d’empiéter sur le domaine de l’autre, ça donnait aussi l’envie de se concerter

Cemea

8h 20, je suis aujourd’hui à l’ouverture du portail.

Entre deux bonjours aux parents, la maman de Germain me saute dessus pour me demander ce qui s’est passé hier soir en périscolaire. Germain est revenu avec une bosse sur la tête et personne ne l’en a tenu informée. Germain lui dit que Louis l’a poussé violemment sans aucune raison et que l’animateur lui a dit que ce n’était pas grave. Je ne comprends pas pourquoi c’est encore à moi de régler, une fois de plus les relations entre les parents et le périscolaire. L’école c’est l’école, le périscolaire c’est le périscolaire. Ce n’est pas aux enseignants de s’occuper des Taps.

11h 20, enfin la pause. Je vais peut-être revoir le temps de géométrie, ce n’est pas forcément le meilleur temps pour le placer. Je vais tester avant la récréation ; les élèves sont plus concentrés à cette heure-là. L’animateur arrive dans la classe pour récupérer les enfants de la cantine. Je sors rapidement avec ceux qui ne mangent pas ; c’est la débandade. À peine l’animateur arrivé les élèves se promènent seuls dans la classe et l’animateur ne fait rien. Dans quel état je vais récupérer ma classe ?

13h 20, je file ouvrir le portail. Je traverse difficilement la cour entre les enfants qui courent dans tous les sens, les cris, les animateurs qui n’interviennent pas si ce n’est pour exciter les enfants avec des jeux qui ne servent pas à grand-chose. Je garde mon calme. Ce n’est plus une école, c’est du périscolaire.

13h 30, je rentre avec ma classe. Ça se bouscule encore, il va falloir reprendre du temps pour poser le cadre et mettre les élèves au travail. Paul et Ibrahim se chamaillent dès l’entrée en classe. Visiblement Paul a insulté Ibrahim pendant la cantine et aucun animateur n’est intervenu pour régler le problème.

15h 45, c’est l’heure des taps. Je descends les enfants dans la cour, les animateurs y sont déjà, en train de discuter entre eux. Je remonte, j’ai des copies à corriger.

16 heures, l’animateur entre dans ma classe avec son groupe pendant que je corrige mes copies. J’avais oublié que c’était le jour où les Taps utilisent ma classe. Je n’ai pas eu le temps de planquer mes affaires. À chaque fois je ne retrouve plus rien le lendemain. Je suis tiraillé entre rester pour corriger mes copies dans le vacarme de ma classe et partir travailler ailleurs au risque de ne plus reconnaître ma classe demain matin. Je souffle discrètement à Dina qui est la seule de la classe dans ce groupe, de faire attention au matériel de la classe. Ces Taps c’est vraiment dur depuis qu’ils sont là ; il faudrait qu’on rencontre les animateurs un jour pour qu’ils puissent l’entendre.

Pendant ce temps, de l’autre côté du miroir

11h 25, c’est l’arrivée à l’école. Ça va être encore speed entre récupérer les fiches de cantine, les infos du jour et les enfants 11h 30, j’attends devant la porte qu’Anne-Marie finisse la classe pour que je puisse faire l’appel. La porte s’ouvre enfin. Anne-Marie emmène ceux qui ne mangent pas à la cantine. Dans la classe, les autres courent dans tous les sens. Ça va être galère pour faire l’appel. Sur le chemin de la cantine, Ibrahim et Paul se cherchent, comme souvent. Visiblement, Ibrahim a fait passer le mot : « Paul est un con » dans la classe, ce matin, et tout le monde s’est moqué de lui à la récréation. Je n’ai pas trop le temps, on va être en retard à la cantine et de toute façon c’est plutôt à Anne-Marie de régler le problème, pas à moi. Après la cantine, je suis au city Stade ; c’est plutôt tranquille. Germain est avec moi. Il est encore sur l’histoire d’hier quand Louis l’a contré au foot ; il ne comprend pas que Louis s’est excusé et que l’affaire est réglée.

13h 20, moment d’angoisse. Tous les enfants sont dans la cour et Anne-Marie est au portail. Nous sommes loin du 1 animateur pour 12 mais tout près du 1 pour 25. Dix minutes à tenir, c’est compliqué. J’ai beau mettre en place des jeux pour les occuper, j’ai l’impression que les problèmes arrivent dans tous les sens.

15h 45, reprise des Taps. Tous les enfants descendent dans la cour. Quinze minutes pour goûter et se défouler, c’est un peu comme si on ouvrait une cocotte-minute.

16 heures. Je prends mon groupe et remonte dans la classe. Anne-Marie est encore là. J’espère qu’elle ne va pas rester ; j’ai toujours des réflexions quand elle est là et elle parle aux enfants comme si j’étais absent. Il faudrait qu’elle comprenne que ce n’est plus l’école, mais le périscolaire. Heureusement, elle part.

Comme d’habitude, elle ne range rien. Ce n’est pas elle qui doit dire aux enfants de ne pas toucher au matériel. Comme si moi je laissais le mien traîner dans la classe après mon activité. J’irais bien rencontrer Anne-Marie un jour pour lui dire que tout ça c’est un peu compliqué.


Cet article est issu de la revue Les Cahiers de l'Animation Vacances - loisirs