LA MÉDIATHÈQUE ÉDUC’ACTIVE DES CEMÉA

Lolita's paradoxe

Les rapports qu'ont les pré adolescentes avec leur image sont complexes et délicats, mais surtout en décalage avec celle que la société leur renvoie.
Média secondaire

Cynthia est l'une des «grandes» de ce centre de vacances.

Elle a déjà 12 ans et demi, (presque 13) et traite les autres de «gamins».

Que ce soit dans son comportement, ses attitudes, ses discussions ou sa manière de s'habiller, elle fait comprendre à ceux qui l'entourent qu'elle n'est plus une enfant, que ses préoccupations sont ailleurs. Avec les animateurs, elle est dans un jeu de séduction, parfois à la limite de la provocation. Ce qui les oblige à  lui rappeler le cadre et sa place.

Avec certaines des plus grandes filles de son groupe, elle parle de fringues et de mecs...

Une après-midi, alors qu'elle passe près des chalets où logeaient les enfants, l'assistante sanitaire trouve Cynthia toute seule à l'extérieur du bâtiment appuyée contre un mur. Elle est en train de pleurer. Elle s'approche et la questionne: Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu t'es disputée avec d'autres ?

On t'a embêtée ? Tu as reçu une mauvaise nouvelle... Chaque fois Cynthia infirme d'un signe de tête: «Non, c'est pas ça!» Finalement, après un bon moment de discussion et de mise en confiance, elle finit par confier qu'elle a ses règles. L'assistante sanitaire pense d'abord que c'est la première fois que cela lui arrive, mais Cynthia la détrompe: «Non, cela fait déjà plusieurs fois. J'avais prévu tout ce qu'il faut... Mais j'ai honte...»

Cette situation, qui peut paraître caricaturale n'est ni exemplaire, ni générique.

Elle témoigne simplement du paradoxe qui peut parfois être vécu par certaines préadolescentes:

Envie de grandir, de changer de statut, de se trouver belle et de tester le pouvoir que cela peut représenter sur les autres. Mais inquiétude face à ce corps qui se transforme et à ses conséquences multiples sur sa vie.

Je pense qu'actuellement cette période de doute de recherche et d'incertitude que peuvent rencontrer ces jeunes ne leur est pas facilitée.

L'image renvoyée par la société est susceptible de les mettre dans des situations encore plus complexes et ambigües. La catégorie de population des 10 / 13 ans représente une part de marché intéressante. Les publicitaires et marchands de toutes sortes ont donc investi ce créneau et proposé à ces préadolescentes des produits et concepts qui étaient susceptibles de leur plaire et d'être achetés.

Sur le thème: "Comme une grande", on a vu se développer des styles de vêtements et d'accessoires de mode et de loisirs qui ont glissé de l'univers des adultes à celui de ces préados. Y compris dans la dénomination des tailles de certaines marques qui ne fait plus référence au monde des enfants en indiquant l'âge, mais à celui des adultes en reprenant leurs codes XXS...

Il y a un côté "panoplie", jouer à... qui pourrait paraître assez symapthique.

Mais les choses me semblent plus complexes et plus ambiguës que cela en terme de statut.

Lorsqu'un enfant joue à "Batman", même si à un moment il se sent vraiment "Batman", l'environnement et l'image que lui renvoient les autres lui permettent de se situer.

L'autre jour, il y avait derrière moi un gamin qui portait une panoplie. Je vous assure, qu'à aucun moment je n'ai pensé que "Batman" était vraiment derrière moi. Et même si j'ai dit: "Je crois bien que Batman nous suit..." l'enfant n'a pas été dupe et a parfaitement perçu aux intonations et aux attitudes que l'on se situait dans le jeu. Or, je pense que la récupération à des fins marchandes du désir de devenir grandes de ces préadolescentes de 10, 13 ans brouille les frontières. Qui sont-elles et comment sont-elles considérées par le monde des adultes ? L'image qui est leur est renvoyée par les magazines, l'environnement commercial, les publicités frise l’ambiguïté entre statut de préado et statut de femme. Et peut laisser supposer que la société les considère déjà en tant que telles. Cela est parfois susceptible de provoquer des situations difficiles et insécurisantes. Chercher à se projeter dans l'avenir, affirmer son envie de devenir, faire des tentatives ou s'imaginer... ne veut pas dire que l'on est en capacité d'assumer un changement de statut, avec tout ce que cela sous-entend.
C'est la récréation. Ophélie, une des plus grandes filles de CM2, discute avec deux copines. Elles sont déjà très préoccupée par leur look et les petites histoires à propos des garçons. Pas très loin d'elles, d'autres enfants jouent Les trois grandes regardent de temps en temps, l'air mi-condescendant, mi-dédaigneux. L'air de dire: "C'est vraiment plus de notre âge". Mais elles répondent néanmoins à la sollicitation d'une des "petites" qui les invitent à se joindre au groupe: "C'est pour faire plaisir à la sœur d'Ophélie..." déclarent-elles. Le jeu a duré jusqu'à la fin de la récréation. Visiblement, il n'y avait pas que les petits à s'y amuser et la sœur d'Ophélie était un excellent prétexte pour jouer sans vraiment en avoir l'air.
Les préados ont à vivre une période charnière, les y aider, c'est leur permettre d'oser, de se projeter dans l'avenir, mais aussi de se sécuriser en s'appuyant sur leur statut d'enfant. Il faut qu'ils puissent jouer avec leur image, mais ne pas en être prisonniers.

 

Cet article est issu de la revue Les Cahiers de l'Animation