Journal de bord d’un Bafa palestinien

Le constat est fait que malgré la présence d’un grand nombre de volontaires dans les centres que nous côtoyons en Palestine, il n’existe aucune formation à l’animation volontaire. Nous retroussons nos manches et nous voilà parti·e·s pour organiser des formations.
Média secondaire

Depuis des décennies, de conflits politiques en tragédies humaines, la situation ne cesse de se dégrader. Les Ceméa interviennent sur ce territoire depuis 1993 et l’association territoriale des Pays de la Loire depuis 2006 pour y développer un projet d’éducation populaire, au politique et à la géopolitique. Les militant·e·s en reviennent bouleversé·e·s et écœuré·e·s par la perversion et le sadisme qu’ils·elles y ont croisés. Ces séjours ne sont pas anodins (ils confrontent à une occupation très organisée) et ont année après année transformé et construit l’AT. Raconter est le premier acte de résistance et il en faudra des mots pour que celle-ci devienne une reconquête, tant en ce début de 21ème siècle la situation est encore désastreuse, inquiétante et révoltante.

À l'origine du projet, l’idée un peu folle de créer avec « les copains et les copines » de Palestine en Cisjordanie un centre de formations. Le constat est fait que malgré la présence d’un grand nombre de volontaires dans les centres que nous côtoyons en Palestine, il n’existe aucune formation à l’animation volontaire... Nous fondant sur l’expérience de la création d’un institut d’Éducation nouvelle à Gaza, l'institut Canaan, nous retroussons nos manches et nous voilà parti·es pour organiser des formations. Nous travaillons ce projet avec une association de Naplouse, Human Supporters, qui a pour volonté de proposer à la jeunesse de Naplouse et des alentours une alternative participative et non violente pour faire face aux réalités politiques actuelles. Elle souhaite être un point de rassemble- ment pour les militant·es travaillant pour la justice et le changement social dans la société palestinienne. Elle se donne pour mission de mobiliser, soutenir et renforcer la communauté locale, avec une attention particulière portée aux enfants et aux jeunes et pense ainsi que la formation des acteurices est une priorité. Du 16 au 21 mars 2013 nous organisions une formation à l’animation volontaire pour 22 stagiaires, étudiant·es pour la majorité à l'université de Naplouse et habitant Naplouse ou dans les villages alentours. L’équipe était constituée de quatre formateurs palestiniens et d’une formatrice française (moi-même). Voici le journal de bord de cette formation.

J -1 - Vendredi 15 mars : réunion de préparation

Nous devions nous retrouver ce vendredi en équipe à peine complète puisque Ali travaille à l’hôpital et n’a pas pu se libérer pour préparer la formation que nous allons mener toute la prochaine semaine ; et oui, en Palestine, le vendredi étant le jour non travaillé, les semaines commencent le samedi. J’étais d'ores et déjà un peu inquiète de préparer cette formation complètement nouvelle pour chacun·e des membres de l’équipe un seul jour auparavant. Je fus d'autant plus surprise quand on ne me donna rendez-vous qu'à 15 heures dans les locaux de Human Supporter. Prête à grogner, je me retins, après tout c’était leur formation. Cette réunion ne dura malgré l’imminence de la formation, les différences de langues, l’absence de culture commune, que quelques heures. Pourtant chacun·e s’est exprimé·e, chacun·e a participé à la construction des temps de formation ; chacun·e se retrouvera en menée de temps d’activité et d’échanges demain. Mais je ne suis pas au bout de mes surprises car : – Un temps d’Agir « c’est une heure maximum ! Tu connais pas les gens d’ici, ils vont péter un câble sinon. » – Un temps de jeu? «20 minutes ; t’as vu la taille de la cour ? » Tout compte fait, c’est très agréable de se faire chambouler un peu. La formation me semble construite de manière tout à fait pertinente et la journée du lendemain est parfaitement calée. Alors on verra bien...

J1- Samedi 16 mars

Comme annoncé dans la convocation, l’accueil de la formation se fera de 9 heures à 9h 30 dans les locaux de Human Supporter. Nous attendons vingt-deux stagiaires et Yamin m’explique qu’il a dû refuser de nombreuses inscriptions pour cause de locaux trop petits. Cette journée est la seule journée «entière» de la formation durant laquelle nous pouvons nous permettre de travailler de 9 heures à 17 heures car nous sommes en week-end. Dès demain nous nous plierons aux horaires de l’université que les stagiaires fréquentent et nous commencerons à 14 heures. Après quelques jeux pour briser la glace et une présentation succincte des personnes et de la formation, nous nous répartissons en groupes de référence pour définir les attentes de la formation. Les stagiaires doivent répondre à trois questions : « Qu’ai-je envie d’acquérir durant cette formation ? Quels sont mes sentiments, mes craintes ? » et « Que sais-je déjà faire ? » Nous poursuivons par un temps d’échange sur le temps libre et les vacances. Mis à part les flirts, la consommation d’alcool et la sexualité qui ne sont pas cités comme faisant partie du temps libre des adultes, on retrouve évidemment des réflexions similaires à celles entendues en France. C’est assez drôle par ailleurs puisque les autres formateurs remarquent que le besoin de sexualité a disparu de la pyramide de Maslow sur le document en arabe que nous utilisons. L’après-midi nous pratiquons des activités (théâtre, apprentissage de la recette de la pâte à sel et modelage ou jeux sportifs) et finissons la journée en groupes de référence pour faire le bilan de la journée. Une retransmission et un au revoir en grand groupe et c’est fini pour la journée ou presque. Nous nous retrouvons pour une réunion d’équipe afin de préparer la journée du lendemain. La réunion durera moins d’une heure.

J2- Dimanche 17 mars

Nous commençons, un peu en retard, la formation par un jeu linguistique et nous poursuivons par un temps d’échange sur l’autorité. Nous abordons les questions de pouvoirs, de dominations, de discriminations, mais cela est un peu frustrant car le temps imparti est très court et nous devons interrompre plusieurs discussions. Après une courte pause nous voilà parti·es pour une heure d’activité, avec toujours au choix, théâtre, jeux sportifs et activités manuelles. De manière assez prévisible, je ne me retrouve en activité manuelle qu’avec des filles. Nous ressortons la poterie, la peinture, de quoi faire de la pâte à sel et nous commençons. C’est à ce moment qu’arrive Imed avec une malle à outils flambants neufs et quelques chutes de bois. Deux filles commencent à fabriquer quelque chose. Avec mes trois mots d’arabe et à grand renfort d'onomatopées, de mimes et de dessins, nous voilà lancées dans la fabrication d’étagères et de maison de poupées. Quelques garçons ne tardent pas à arriver et je m’acharne à redonner aux nanas les outils que les mecs leurs enlèvent des mains. J’ai droit à de grands sourires de la part des filles et tout le monde éclate de rire. Quand Imed vient annoncer la fin du temps, les stagiaires refusent de ranger.

J3- Lundi 18 mars

Voilà déjà le troisième jour qui se termine avec son lot de ressemblances et de différences avec les autres formations. Nous avons fait un bilan de mi-parcours et les stagiaires sont ravi·es : « Ça nous sort de la routine. Ça fait trois ans que je suis à l’université et je n’ai jamais eu l’impression d’apprendre autant de choses. Je n’aurais jamais imaginé être en capacité de faire des choses avec mes mains comme le bois, cela me donne confiance en moi » ou encore : « Lors des temps de discussion, je m’enrichis du point de vue de tout le monde et deviens plus ouverte ; on aborde des sujets auxquels je n’avais jamais vraiment réfléchi ». Les stagiaires et les formateurs sont de plus en plus frustré·es de n’avoir que trois heures de formation par jour. Ils et elles parlent d’organiser une formation « comme en France » où l’on aurait une semaine avec des jours entiers, consacrés uniquement à la formation. C’est le premier jour où ils et elles ont réussi à dire des choses négatives en bilan de journée : quelques un·es sont frustré·es de ne pas avoir de « bonnes réponses » des formateur·ices durant les temps de discussion. D’autres sont embêté·es du temps pris par les traductions anglais-arabe lors des moments que je mène. Ils disent que le temps de discussion est déjà trop court et qu’il faudrait une personne qui ne soit que traductrice afin de réduire ce temps, d’autant plus qu’il est frustrant de traduire lorsque l’on souhaite participer à un débat. Durant cette journée, nous avons aussi eu un temps de discussion à propos des discriminations : handicap, religion et camps de réfugié·es / villes / villages. Nous finissons cette journée avec quarante minutes de retard ; le temps est réellement trop court. Je rentre à la Guest House dans laquelle je suis hébergée. Je reçois très peu de temps après la visite de deux formateurs affolés. La mère du directeur de l'association vient de décéder subitement. En Palestine, lors d'un deuil, la vie « fait une pause » pour chacun·e, pas uniquement les proches de la famille du défunt mais aussi pour toutes les personnes l'ayant côtoyé de près ou de loin. Les formateurs veulent annuler la formation, ce n'est pas envisageable autrement. Après plusieurs heures de discussion nous décidons finalement de la poursuivre ; c'est un choix très difficile à faire car nous avons peur que cela soit perçu comme une offense. Nous discuterons et expliquerons ce choix avec les stagiaires. Ce qui nous fait opter pour ce choix ? Un peu de folie, le côté expérimental de cette formation et son importance pour tous et toutes.

J4 - Mardi 19 mars

Aujourd’hui est donc une journée un peu spéciale, une journée de deuil... Une partie des stagiaires est absente – cela était une évidence pour eux et elles que la formation serait annulée. Nous sommes tout de même une petite vingtaine. Nous choisissons de suivre malgré tout le programme décidé pour cette journée et commençons avec un échange autour des questions de genre. Cela n'empêchera pas les discussions de digresser autour de la mort « Pourquoi la vie est elle si dure ? » Suite aux questions de genre nous poursuivons en discussions informelles à parler de sphère publique et sphère privée, de religion, de droits, de libération... On refait le monde quoi ! « Si je bois de l’alcool, c’est bien un problème entre Allah et moi, la société n’a pas à s’en mêler - Quand les femmes se mettent à sortir le soir, après il se passe de mauvaises choses, elles couchent avec d’autre hommes et veulent divorcer. - Et alors ? je ne vois pas où est le problème. - Et puis pendant la seconde Intifada, les femmes aussi, elles lançaient des pierres ! »

J5 - Mercredi 20 mars

C'est déjà l’avant-dernier jour de formation et nous nous rendons réellement compte de tout ce que nous n’aurons pas le temps de faire. Les stagiaires ont le choix entre un temps de discussion sur les limites données dans notre relation avec les enfants et un autre autour des punitions. Nous poursuivons par un temps d’activité pour avancer sur les projets respectifs.

J6 - Jeudi 21 mars - Fin - Mais ce n’est qu’un début ! Voici venu le dernier jour. Au programme, une heure d’activité afin que les stagiaires puissent terminer les projets entamés. Je retourne dans l’atelier bois pour accompagner les projets qui s’y déroulent. Une stagiaire m’interpelle car elle n’arrive pas à planter un clou dans un morceau de bois pour fixer les pieds de sa table. Je lui montre comment s’y prendre en lui expliquant que le bois est un peu plus dur à cet endroit car il y a un nœud assez proche mais que ce n’est pas grave car on ne demande son avis ni au bois ni au clou. Elle me répond : « Ah oui ? c’est comme le mariage traditionnel ici, alors ! » Après un moment d'évaluation de la formation, nous finissons par la remise « officielle » des diplômes à chacun·e des stagiaires ; et oui, ça a trop d’importance pour que je puisse jouer à la fine bouche sur ce moment un peu trop formaliste à mon goût. Nous terminons par un goûter puisque chaque stagiaire a cuisiné un gâteau ou des pâtisseries – enfin, plutôt les filles que les garçons. Imed nous annonce solennellement que toute l'association souhaite que de nombreuses autres formations s’organisent. Tout le monde acquiesce. Nous nous disons au revoir et merci. On est un peu triste de terminer. On dit qu’on se reverra, sur d’autres formations... Inch’Allah