Faire la malle

Je suis une malle à roulettes qui chaque jour arrive dans la cour. Je suis à la disposition des enfants qui viennent se servir dans ma caverne d’Ali Baba pour jouer avec mes bidules. L’heure passe, il est temps de ranger, et je m’en vais jusqu’à demain.
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Il y a des enfants qui mangent au restaurant scolaire juste pour profiter de ce qu’offre la malle, pour piocher dans son ventre divers jeux ou matériel destinés aux activités de la pause méridienne. C’est un coffre ambulant qui ouvre sa porte avant le temps du repas et qui la referme quand il est temps de se mettre à table. Un moyen pratique de garder intacts les objets qui pimentent le temps libéré du midi.
Média secondaire

J’entre en scène, ou plutôt, j’entre en cour de récréation. Il est midi. L’animateur qui me pousse, Nicolas, s’avance tranquillement vers mon emplacement. Déjà, j’entends qu’on parle de moi : « c’est la malle », « y’a la malle »… On m’arrête, on me cale, on m’ouvre le ventre et là, pleins de petites mains s’affairent à piocher ici ou là ce que je leur apporte. Cerceaux, cordes, ballons, mallette dessin et mallette bidouille partent en premier. C’est ensuite le tour des diabolos, des raquettes, du frisbee  et des jeux de société.

- Cela fait trois ans  que je viens sur cette cour de récréation, deux fois par semaine et je suis toujours aussi surprise de l’enthousiasme que je génère. On m’attend avec impatience, on se bouscule parfois devant moi. On m’a aussi dit que certains mangent à la cantine rien que pour passer du temps en ma compagnie.-

Quelques minutes se sont écoulées. Presque vidée, je suite vite délaissée car tout le monde s’active à jouer de ci de là. Un peu seule, je commence à observer ce qui se passe.

A côté de moi, Efflam progresse au diabolo. Depuis quelques semaines, il n’arrête pas. Toute la récré, pour lui, c’est diabolo. À croire que rien d’autre en moi ne l’intéresse. Tant pis. Un petit train passe. Un groupe d’enfants a attaché des cordes aux cerceaux et imite une locomotive et ses wagons. Drôle de manière d’utiliser mes jeux mais bon, ça a l’air de leur plaire. C’est comme Sidih et Simon qui ne trouvent pas mieux à faire que de se servir des raquettes comme mitraillettes et des foulards de jeu comme bandeaux. Cachés derrière leur muraille de pneus, eux aussi ont l’air de bien s’amuser. Les petites malles sont parties trop loin pour que je les voie, dans la salle mise à disposition par l’école ou dans un coin de la cour. J’imagine bien autour de la caisse bidouille le petit groupe habituel qui découpe, colle, scotch, enfile… Comme un rituel.

– D’ailleurs, c’est Clarisse qui apprécie la bidouille. Elle a dit un jour que comme elle n’allait pas à l’accueil périscolaire ni au centre de loisirs et qu’à l’école on ne faisait pas d’activité comme ça, c’était bien  de m’avoir le midi. Ça  flatte.- Après cet épisode, je sens que je vais être appauvrie en perles et en papier mais peu importe, j’aime bien les voir revenir avec des colliers, des cartes postales, des pots de sel coloré… Après tout, l’animateur est là pour veiller à ce que je ne manque de rien, c’est son travail aussi, je ne peux pas tout faire.

Cemea

D’ailleurs, le voilà qui s’approche de moi avec Adèle et April. Je l’entends leur dire qu’il a ajouté des figurines d’animaux sauvages dans la malle de jouets que je conserve depuis le début de la récré. Il la sort et leur montre. Ni une ni deux, les voilà partis faire un zoo dans le bac à sable avec, dans le rôle des visiteurs, les petites voitures et les billes.

Mauranne me rapporte le frisbee et le pose sur son support, dans mon dos. Merci Mauranne. Au loin, je vois Rémi tomber et s’égratigner le genou. Il pleure et son copain Antoine va chercher Chantal, a.t.s.e.m, dans la salle où ça dessine et ça bidouille. Elle sort et accompagne Rémi pour le soigner. Ils passent devant moi et à ce moment, en voyant son pantalon déchiré, je me demande encore une fois pourquoi ils ne portent pas des vêtements en bois sur leur peau qui a l’air si fragile. Moi, le bois me réussit très bien.

Tient ! Ça se bagarre là-bas. Les footballeurs et la footballeuse ont pris le ballon des plus jeunes. Ils ont encore certainement envoyé le leur chez le voisin, les malins. Nicolas intervient et propose à tout le monde un « sept pierres ». Un jeu qui nécessite un seau de pierres que je me trimballe toujours, je ne serais pas mécontente de m’en débarrasser un moment. Ça pèse mais l’animateur y tient car c’est un jeu qui marche bien ici. Mais pas cette fois ci, les plus jeunes préfèrent rester dans leur coin, à faire leur mini foot à quatre avec le petit ballon. Je les comprends, pas toujours simple de jouer avec des plus grands que soi et de se faire une place. Pas simple non plus pour l’animateur de lancer des jeux mais parfois il s’en sort.

Nicolas sait qu’il faut trouver quelque chose sinon, ce petit groupe va circuler et risque de s’agiter auprès des autres et les perturber dans leur activité. Il sort de mes entrailles sa botte secrète : le décamètre. Un vrai décamètre pour le saut en longueur. Ça marche, ils sont contents, ils l’avaient oublié celui-là. - Pour la petite histoire, quelques temps auparavant, je les ai observés se faire un concours de saut en longueur, j’ai donc soumis l’idée à l’animateur qu’un décamètre pourrait enrichir leur jeu. Je n’avais pas tort.- Ils s’installent près du bac à sable. Nicolas va négocier une corde avec le groupe du petit train (qui s’était d’ailleurs transformé en serpent). Une fois attachée à un pneu et tirée, cela permet d’aplanir le sable. Ils ont souvent de bonnes idées comme celle-ci. Nicolas repart et les laissent s’organiser : un qui tamise, un qui mesure, un qui donne le feu vert, les autres qui sautent et ça tourne.

12h35 : il faut commencer à ranger. J’observe Nicolas et Chantal circuler entre les petits groupes pour faire passer le message. Victoria sort de la salle avec la malle bidouille. Nejma et Clarisse sortent à deux la malle dessin. Les jeux extérieurs me sont rapportés progressivement. Ah! il manque un cerceau. Il est coincé en haut de la haie. Je ne leur en veux pas, c’est le jeu. En revanche, je suis plus pointilleuse sur le rangement des mallettes. Avec moi, les règles sont simples mais très importantes : « tu as le droit d’emprunter librement les jeux et les petites malles, mais tu dois prendre soin du matériel, le ranger, me le rapporter, sinon tu n’y auras plus accès à la récréation suivante ». Ces règles, on me les a même tatouées. Mais je n’ai pas vraiment à me plaindre, je me sens respectée car je suis beaucoup appréciée par les enfants et l’animateur a prévu de nombreuses petites boites, de pochettes, de systèmes d’accroche pour faciliter le rangement.

J’en oublie des choses et des personnes. Je n’ai pas parlé des quelques imperturbables dans leurs jeux pour qui je passe inaperçue, ou encore de Lauryne et Manon qui sont restées discuter avec Jocelyne, a.t.s.e.m, pendant que cette dernière « gardait un œil » sur la partie de foot. Il faut dire qu’il s’en passe des choses sur ce court moment de récréation.

12h40 : Me voilà de nouveau complète. Nicolas me pousse vers mon petit garage pendant que Chantal et Jocelyne accompagnent les enfants à la cantine.

A demain midi les petits loups.

Voilà ma vie de « malle récré ». Il est vrai que parfois j’aimerais être autre chose qu’une petite caverne d’Ali Baba, qu’une cachette, qu’un poteau de foot ou encore qu’un support pour dessiner des Pokémons (bien que cela me mette en valeur). Parfois, j’aimerais bien jouer avec eux, mais l’animateur est là pour ça. On forme une équipe. Je me console en voyant toutes les possibilités d’activités que je leur offre et le plaisir qu’ils prennent à jouer, à créer. J’ai même entendu un jour que lorsque j’étais là il y avait moins de conflits dans la cour, comme s’ils étaient toutes et tous occupés à faire quelque chose qui leur plaît. Moi, ça me fait bien plaisir et je me dis qu’il me reste encore de jolis moments à passer sur cette cour.

 


Cet article est issu des Cahiers de l'Animation - Vacances Loisirs