Carnet de Voyage, une trace commune

Qu’est-ce qu’un carnet de voyage ? Pourquoi garder trace de son séjour ? Et comment ? Témoignage sur la réalisation de cet outil qui recueille les impressions, les émotions, les souvenirs, les pris sur le vif, etc. et qui permet une mise en valeur d'un projet partagé à plusieurs.
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Média secondaire

Élaboration du carnet

Depuis toujours j’aime récolter, accumuler, récupérer toutes sortes de matériaux. Et noter tout ce qui me vient à l’esprit. Une mémoire individuelle et personnelle qui me permet de me souvenir et de garder une trace de mes séjours, mes découvertes. C’est ainsi que le carnet de voyage est entré dans ma vie. Il recueille les impressions, les émotions, les souvenirs, les pris sur le vif, un reportage sur un sujet très précis, des observations pédagogiques, il nomme les personnes rencontrées et les sujets qu'elles ont abordés ensemble, lors de leurs échanges. Il parle du groupe qui fait vivre le projet. Ce n'est pas un compte-rendu exhaustif mais une mise en valeur d'un projet partagé à plusieurs.

Le carnet de voyage permet de conserver une mémoire collective et commune des souvenirs c’est un témoin de ce qui s’est vécu et passé dans un groupe fait d’un mélange d’individuel et de collectif. C’est donc aussi un passeur de pensées. Le carnet de voyage une autre forme de récit collectif. Pour fabriquer, élaborer l’objet carnet de voyage de nombreuses techniques peuvent être utilisées avec de multiples matériaux, la couleur (peinture, crayon, craie grasse) ou le noir et blanc (encre, fusain, crayon gris, gouache), le découpage et le collage (papier, tissu), le dessin (en décalquant si on ne sait pas bien dessiner), le croquis, la photographie et bien-sûr l’écrit (interviews, observations, notes, poèmes).

Je propose des formes non figées pour favoriser l'imagination, l'expérimentation et recueillir toutes les sensibilités. Parmi les militant.e.s, certain.e.s manient déjà le crayon, d’autres la photographie, ou alors c’est l’écriture qui sera leur moteur. Les un.e.s le font en direct, in situ, d’autres ont besoin d’alter-temps, d’alter-espaces. Ce peut être le groupe et ses réunions-retour (lors de la mobilité) ou alors ce sera lorsqu’ils.elles seront de retour chez eux.elles avec une certaine distance, un recul nécessaire et fructueux. Lors de ces mobilités la relation individu/groupe va influer incontestablement sur la qualité immédiate du carnet de voyage collectif. Que voulons-nous mettre en commun ? Acceptons-nous de livre cette part de notre intime à l’ensemble du groupe ? Que pouvons-nous choisir de noter pour notre recherche-action, pour le réseau Ceméa ? Le carnet de voyage sera le miroir de toutes les réflexions au travers de multiples traces qui témoigneront d’activités et de rencontres particulières. Pour moi ce fut en Belgique au Danemark et en Hongrie.

Cemea

Trois pays trois chemins différents

En Belgique nous ne savons pas comment commencer. À partir de notre thématique, la vie en plein air, je propose de construire ensemble une carte mentale. Et c’est ainsi que le carnet de voyage voit le jour. S. propose d’écrire un petit journal quotidien sur la vie du groupe. Les autres étant questionnées sur un élément particulier d’une journée. Certaines commencent à dessiner ou à écrire. Nous passons un moment autour du sac de matériel que j’ai prévu. Une boîte de papier photographique recouverte d’un joli papier est le point de départ, un couvercle et un dedans, une couverture et un carnet en accordéon : idéal car il peut s’agrandir ainsi à l’infini.

Au Danemark des petits groupes d’affinités se forment qui ne permettent pas un collectif. Le carnet de voyage est ressenti comme une contrainte… L’écrit commun ne semble pas nécessaire, le groupe n’existe pas encore. L’idée du carnet est vécue comme une mise en lumière de la difficulté d’écrire et de dire. Nous ne décidons finalement que de la forme de notre carnet : une feuille carrée ; ce qui est très peu.

En Hongrie, c’est la rencontre avec le partenaire Tobias Laslo qui oriente. Nous nous organisons très vite pour que ce carnet soit réalité d’ici quelques semaines. En commun, nous décidons d’une répartition pour restituer les travaux au groupe et construire une trace ; le format de ce carnet est choisi : un demi-formatA3-paysage. Dans le groupe qui s’est formé et existe réellement on voit plus loin, on s’engage. Nous recueillons déjà nos émotions, nos impressions ou le souvenir de la journée. Le carnet de notre voyage se construit, chacun semble avoir sa place, alors il devient une mise en valeur d’un projet partagé à plusieurs.Il arrive selon notre planning et les temps de déplacement que nous nous réunissions pour fabriquer,coller, décorer et élaborer NOTRE carnet de voyage.

L’importance du sujet dans la réalisation de l’objet

Partir, c'est parfois se faire peur, tester des choses inconnues, découvrir et faire à cette occasion,des rencontres étonnantes. Partir pour voir autrement, sans préjugés, juste là - regarder - simplement,sans intentions précises ou décidées à l'avance, et voir chez « les autres ». Lors de ces mobilités la relation individu/groupe va influencer sur la qualité immédiate du carnet de voyage. Que voulons-nous mettre en commun ? Quelle part de nous acceptons-nous de donner au collectif ? Pouvons-nous livrer cette part d’intime à l’ensemble du groupe? Le carnet de voyage peut être une obligation, une contrainte, ou au contraire un élément fédérateur. Toutefois se contraindre peut aider un groupe à se construire. Le groupe va naître aussi grâce à des éléments événements particuliers : partager ensemble la visite d’un musée,découvrir la culture particulière d’un pays, rencontrer un partenaire. À ce moment, réfléchir ensemble,se questionner, découvrir et surtout garder trace de ce vécu partagé, tout cela fera naître le carnet de voyage. Nous travaillons aussi sur l’observation et ses différentes approches. Le voyage n’est pas une simple consommation mais une expérience collective pour chacun.e d’entre nous. Le carnet de voyage n’existera donc et ne prendra sens que si le groupe existe vraiment dans le respect mutuel et une bienveillance pour ce projet commun. Et après le voyage il faudra en effet valoriser chaque proposition, la faire rentrer dans le cadre commun et n’oublier aucune trace personnelle des différents membres du groupe. Avant de se séparer, chacun, chacune s'engage à laisser une trace personnelle, à écrire un élément particulier à propos de notre sujet d'étude : «La vie en plein air et l'épanouissement du jeune enfant ». Je me propose d'assembler toutes les productions du groupe, de les réunir pour enfin les relier ensemble, puis le photocopier en plusieurs exemplaires. Nous pourrons ainsi nous en servir à notre retour et savoir ce que nous avons vu. Le carnet de voyage demande bien sûr une structuration, et une organisation. Cela prendra du temps mais une grande place dans notre recherche-action.

Ce carnet de voyage, regards de militant.e.s devient, une fois terminé, un bel objet que l'on a envie d'ouvrir et de regarder, seul ou à plusieurs ; il invite les autres à voyager et donne envie de l'ailleurs. Il est d'emblée support à discussion et questionnement. Le carnet de voyage a toute sa place dans nos formations avec nos stagiaires ou celles des militants, à l'occasion d'un café pédagogique ou d'un débat autour de films du festival international du film de l’éducation (Fife) sur la petite enfance. Ajouté à ces événements,l’exposition de ces nombreux carnets de voyage deviendra prétexte à discussion. Le carnet de voyage est un outil véritable d’Éducation nouvelle, de dimension politique qui permet de propager dans nos revues,nos formations et au ministère, nos idées, nos valeurs qui ne restent pas des utopies mais sont ancrées dans une réalité vécue et une mise en pratique auprès des jeunes enfants.

Vers l'Education nouvelle n°570

Cet article est extrait du numéro 570 "Jeunes enfants, le goût du dehors"
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