Au détour d’un été

Pendant un festival, un stage d’approfondissement continue et la conjonction de ces deux facteurs conduit à un réel bouleversement qui d’émerveillement en émerveillement modifie peu à peu la perception de ce que sont l’éducation, l’animation dans l’esprit d’une stagiaire.
Média secondaire

Ce texte est le fruit d’un travail d’écriture entrepris au sein d’un stage Bafa 3 « accompagnement culturel » dans le cadre du festival du théâtre de rue d’Aurillac en août 2017. L’autrice a commencé son texte pendant le stage puis terminé son article au début de l’automne. Elle avait envie d’écrire son expérience, de livre ses impressions mais aussi de laisser transparaître en filigrane ses émotions. A été choisie la forme d’un journal de bord qui relate sous un angle original et subjectif une aventure inattendue, une odyssée qui pour être ordinaire n’en est pas moins exceptionnelle.

Aurillac le 21 août 2017 : au fond de l’inconnu

Dimanche 20 août 2017, vingt heures vingt-deux minutes. Je quitte le train, parcourant cette gare inconnue dans une ville méconnue, Aurillac m’accueille à bras ouverts, enfin non pas vraiment, c'est Mylène qui s’avance vers moi, accompagnée d’un de mes futurs acolytes, Louis: « Bonjour, est-ce que c’est toi Maurane pour le stage Bafa 3 ? » « Maurine, oui c’est moi» « Maurine ? » « Maurine »… Et c’est à cet instant que tout a commencé.

Cemea

Ce premier jour, sous le signe de la rencontre et de l'apprivoisement du groupe que nous formerons pour le reste de la semaine, était teinté de sympathie et de légèreté. Nous avons alors enchaîné « cartes mentales », qui consistent à organiser des images sur un support mural, en se consultant les uns les autres, et jeux de présentation. J'ai beaucoup aimé celui qui s'organisait dans l'espace où nous devions nous placer selon une déclaration : « L'endroit où j'étais en vacances dernièrement », ou encore « Où serai-je l'année prochaine ? » mais aussi «La destination de mes rêves ». C'est ainsi que prenait vie une carte du monde, incarnée par le placement de chacun des membres du groupe, les uns par rapport aux autres. Une autre activité propice à la connaissance des autres stagiaires était tournée vers le dessin, une pratique qui me plaît. Face à face, deux lignes d'individus se confrontaient. Successivement, il s'agissait de dessiner yeux, nez, bouche, oreilles et contours du visage des personnes qui se trouvaient en face de nous, sachant que cela se décalait d'une personne à chaque partie du visage dessinée.Chacun de ces organes était accompagné d'un élément propre aux goûts et à la personnalité des stagiaires et formateurs dessinés : les yeux associés à un film, le nez à une pièce de théâtre, la bouche à un jeu, les oreilles à un artiste, une musique, et les cheveux et le contour du visage à un « talent caché » (nous devions demander à la personne dessinée ces informations, selon ce que nous dessinions, puis, les noter à côté du dessin).

Ma première impression d'après cette introduction, est que les gens sont rayonnants, d'une bienveillance extrême, passionnés. Une aura douce et positive habite le groupe. Cela fait beaucoup de bien pour qui cherche à s’enrichir de tout comme moi. C’est rafraîchissant et vivifiant en même temps, encourageant. J'en ai eu la véritable confirmation lorsque j'ai découvert, le soir même, le résultat de nos expressions corporelles/théâtrales menées l'après-midi : elles m'ont épatée. La première et la dernière m’ont captivée. Dans une ambiance mystique, imprégnée d'un « Ohm », la première expérience s'est installée, s'est emparée de nos esprits avides de découvertes. Le cercle était à l'honneur dans l'ordre spatial des choses, à la manière du système solaire, nous ont confirmé les créatrices de cette belle performance. J'ai interprété toute cette expérience sous le trait d'une métaphore, à la manière d'une quête existentielle et spirituelle, presque introspective, à la conquête d’une règle suprême, d’un but... Ce moment était pour moi empreint d'une grande beauté: poétique, magique, imaginatif, inventif et engagé.

Aurillac le 22 août 2017 : pour trouver du nouveau

Joyeux tapage en ce deuxième jour de stage, et ce n’est pas l’architecture même d’Aurillac qui m’a le plus saisie mais plutôt ces ballets colorés d’affiches en suspension, en figuration, qui habillent la ville d’une parure foisonnante. À côté de nos premiers pas en tant que festivaliers en devenir, nous avons abordé l'analyse de stage pratique, qui s'est avérée être un moment intéressant et enrichissant. Cependant, ce sont les enchaînements théâtraux plus ou moins improvisés qui m’ont à nouveau bluffée ; ils ont confirmé le potentiel poétique, imaginatif, créatif de chacun d’entre nous. La bière blanche est bonne, les blagues sympathiques, le time’s up plaisant et le dixit une révélation, une adorable révélation. Demain adviendra le début du festival. j’ai faim, faim de surprise, de poésie. Je veux me retourner la tête, le cerveau. Me révéler. Fleurir ? Il me faudra dormir pour affronter sereinement la belle journée de demain. Au plaisir de découvrir.

Aurillac le 23 août 2017 : de découvertes en découvertes..

La journée fut longue et riche, je n’avais jamais connu Aurillac sous cette morne grisaille à laquelle je trouve pourtant un certain charme. Nous avons démarré la journée, excités à l'idée de découvrir les spectacles, puis l'avons finie sur une note plus lourde, due aux éléments incontournables de la formation. Tout s’annonce comme une déclaration incroyable ou pas loin. Non pas réellement à travers un fond, un sens détaillé du spectacle (même si ce dernier a été introduit et présenté en amont) mais par la place qu’il occupe dans le séjour. Le tout premier spectacle du séjour auquel nous assistons tous ensemble. Il s’agit de 93 par la compagnie La Grenade, inspiré par le texte de Victor Hugo qui relate la situation conflictuelle entre les royalistes et les révolutionnaires français en 1793. Personnellement, le contexte historique en jeu n’était pas un élément de fascination mais une curiosité pour sûr. En revanche, c’est l’originalité de la prestation qui m’a conquise. Jouer à chaque représentation un personnage différent ! Pour ce faire, chacun des cinq protagonistes possède dans le dos un numéro de un à cinq. Un membre du public pioche tour à tour une pièce de bois numérotée pour attribuer un personnage à chacun des comédiens. Aller à leur rencontre à l’issue de la représentation a aussi été un moment agréable. En effet, la metteure en scène a écrit et joué ses premières pièces à l’âge de dix-sept ans (elle a d’ailleurs joué ce matin), la distribution aléatoire vient d’un désir de ne pas cantonner un comédien à un personnage; la troupe comporte une majorité de femmes et les personnages de la pièce sont essentiellement des hommes, la metteure en scène ne voulait pas éveiller une quelconque interprétation quant au rôle joué, préférant parier sur une certaine neutralité. L’après-midi s’est avérée plus anarchique. Nous nous sommes répartis en plusieurs groupes avec un objectif commun : se retrouver à 16 heures (15h30 pour un placement privilégié au spectacle joué à la pastille 74* : Oracle). Mais avant d’atteindre notre destination phare nous déambulons dans les rues prêtant une oreille brève à un clarinettiste qui doit crever de chaud. Quelle idée de se parer d’un costard par un temps pareil ! Près de la mairie, devant même, se donnait un spectacle circassien. Près de la pastille 74 nous avons fait escale à l’intérieur d’un centre social où un assistant nous a invités à participer gratuitement à une psychanalyse. Avec le petit groupe nous avons pénétré dans une salle à l’ambiance tamisée où lumière était faite sur les deux comédiens. Un long moment de vide s’est fait ressentir. Une voix féminine invitait l'un des spectateurs à prendre place sur un fauteuil encadré par les deux comédiens. S'en est suivie une consultation loufoque, sous les regards intrigués et ébahis de l'assistance. Mais le meilleur reste à venir. La pastille 74 s'est avérée être un lieu de révélation. Ce que j'ai englouti des yeux restera gravé à jamais dans ma mémoire. La brutalité poétique des mots clamés par le performeur, sa nudité surprenante, provocante. Le tout, dans un esprit de controverse, lucide et pertinent, couronné par un lancé de pigments colorés : un moment comme hors du temps, hors des conventions, dont l'émotion si étrangement intense et indéfinissable occupe une place précieuse parmi mes souvenirs.

Aurillac 24 août 2017, nous sommes jeudi et je me découvre

J’ai achevé cette journée avec ardeur, plaisir et passion. Elle a pourtant débuté sous des aspects plus douloureux. L’analyse du stage pratique a suscité des réflexions qui m’ont renvoyée à un problème qui me suit depuis quelque temps. Comment m’affirmer alors que je me suis faite à l’idée que je suis timide, réservée, que je manque de confiance en moi ? Comment m’affirmer alors que je traîne depuis des années cet inconfort dans le repli de l’écriture m’évitant d’aller au-devant des autres et d’assumer mes idées et qui je suis ? En discutant avec une stagiaire qui a une plus grande expérience avec les enfants, ma culpabilité s’est atténuée. Oui, peut-être que les conditions de mon stage pratique n’étaient pas idéales. Une organisation bancale, une équipe d’animateurs désintéressés malgré une directrice d’une extrême bienveillance. Telles sont mes déductions grâce au recul pris avec l’avis de Mathilde. Pour aller plus loin, je rapprocherai ce rapport entre mon ressenti et ce que je renvoie à autrui, directement lié à l'idée que j'en ai, et qui construit la manière dont je me perçois. Si je me sens inintéressante, consciemment ou non je ne pourrai m’élever dans la joie de captiver mes interlocuteurs. La théorie est simple, facile. Il me semble qu’elle est juste. Il ne s’agit pas de me croire capable de voler mais simplement peut-être de m’aimer pour commencer ; en cette édition 69 du festival, l’amour est prédominant). Je pense être corrompue par une forme de croyance négative envers moi-même. J’en suis consciente mais les poisons coulent encore dans mon sang. Longtemps j'ai pensé que ce devait être par l'éducation que l'on forgerait et formerait ceux qui construiront le monde de demain. Pourvu que le plus grand nombre y ait accès, sans exception, sans réserve. *