Faire l’école, faire école

Michel Amram et Fabienne d’Ortoli font partie des fondateurs de L’École de la Neuville, créée en 1973. Le projet de cet établissement s’est développé en collaboration avec Françoise Dolto et Fernand Oury. Les pratiques de l’école s’inspirent de la pédagogie institutionnelle.
Média secondaire

L'école de la Neuville fonctionne en internat de semaine et accueille une quarantaine d’enfants âgés de 6 à 16 ans encadrés par une dizaine d’adultes. Voici les grands principes à travers l’évocation de son fonctionnement quotidien

La Neuville, c’était une tentative de construire une école différente mais aussi de prendre en compte ce qui existait et qui n’était pas nouveau : les techniques Freinet qui avaient cinquante ans, la pédagogie institutionnelle de Fernand Oury qui en avait une quinzaine. Les travaux de Françoise Dolto dont on ne peut pas dire qu’ils fussent confidentiels. Et bien d’autres dont un certain Freud.

Ainsi furent posées les bases de cette école. Mais ce qui rendit le milieu vivant et la pédagogie efficace, c’est que l’on ne s’occupa guère de réaliser exactement le projet. On prit des idées à droite et à gauche, dans les livres, dans d’autres écoles, dans la vie de tous les jours. On emprunta beaucoup, notamment, aux différentes corporations, aux arts et techniques, aux sports, aux sciences humaines, car si le métier de faire l’école en est un, alors, il est une mosaïque des compétences nécessaires à une infinité de métiers.

Une nouvelle génération eut connaissance de « ce qui se passait là et qui nous dépassait » et vint se joindre à nous avec ses préoccupations propres et pas forcément pour être membre de l’équipe et y travailler quotidiennement. Il était tentant d’admettre que cette école appartenait, aussi, à tous ceux qui voulaient en être responsables. L’idée commença à faire son chemin. Faire l’école est une chose sérieuse, certes, mais il ne faut pas gommer pour autant son aspect jeu. Ni omettre de laisser du jeu entre le projet et la vie quotidienne. Admettre encore que les dysfonctionnements ne sont pas des ratés du projet mais d’innombrables occasions d’expliquer les raisons d’être des règles, de montrer que la loi est là au service de tous et n’a pas été créée d’abord pour contraindre. À ces remarques de base, on peut ajouter le principe de nécessité. On ne fait semblant de rien. La part de travail confiée aux enfants est réelle, concrète, sans leur participation le projet commun ne pourrait être mené à bien. Ils le savent. Ils savent aussi que c’est en participant qu’ils ont le plus de chance que l’école ressemble à ce qu’ils désirent. S’ils peuvent prendre des initiatives, des décisions, ils ont aussi des comptes à rendre, tout comme les adultes. En revanche, on ne finit rien derrière leur dos et c’est ce qu’ils ont préparé pour le dîner que l’on mangera. Les spectacles, les travaux, les matchs, les repas sont faits suivant les règles de l’art avec du bon matériel. L’école devient ainsi un lieu de solidarité et d’échanges, permettant aux enfants (et aux adultes) de s’approprier un langage, une culture, un style de vie, qui soient les leurs, qu’ils puissent revendiquer et transmettre comme tels même, et surtout, si leur environnement ne les y a pas préparés. Aucune pratique, exceptée la Réunion1, n’est en soit essentielle. La pédagogie est la préoccupation de tous et l’école affaire de gestion en commun.

La scolarité une activité parmi d’autres

Si l’on réfléchit aux programmes, non sur le seul plan des acquisitions envisagées mais en termes de profits effectifs pour les enfants, la scolarité ne devrait être qu’une activité parmi d’autres, dans l’école et même dans la classe.

Du point de vue de l’équilibre de l’individu, de son ouverture d’esprit, de sa santé physique et mentale, l’emploi du temps doit laisser place à divers moments dans la journée, dans la semaine, dans l’année, pour autre chose que les strictes acquisitions scolaires.

Mettre en place des ateliers va permettre de faire vivre le groupe et d’établir des relations interpersonnelles dans le groupe indépendamment des relations de l’individu au groupe classe, sous la responsabilité du seul maître. On peut aller plus loin encore : proposer des activités pas immédiatement scolaires dont les profits se feront sentir ultérieurement. Ces entreprises permettront la mise en confiance de chacun par la reconnaissance de ses compétences, la solidarité à l’intérieur du groupe au profit de chacun des membres par la prise en charge, dans le groupe, autour de l’enseignant, des talents mais aussi des lacunes de chacun. Le groupe, pour réussir plus efficacement, multipliera les initiatives pédagogiques en faveur de tous. Et en tout premier lieu, cela permettra à l’enfant d’être partie prenante des enjeux sociaux et de distinguer ceux le concernant et ceux de la classe.

Dans la classe, dans l’école, une organisation est nécessaire qui ne peut être que meilleure si l’enfant est consulté, écouté. Cela évite la concentration des pouvoirs, les lenteurs de la centralisation de ce pouvoir avec pour conséquence l’immobilité des élèves, leur passivité, l’ennui qui peut en découler, le statut d’objet d’enseignement par opposition à celui de sujet de ses études. La monotonie des cours magistraux, des exercices répétitifs, limite la capacité de concentration de l’enfant là où une participation active permet de varier les rôles de chacun et de gagner grâce à ce dynamisme et à cette créativité le temps que l’on perd en « digressions » du programme scolaire.

Ateliers de scolarité

La possibilité de participer à des ateliers aussi éloignés que possible des formes scolaires, jusqu’à des activités physiques, sportives, amènent, s’ils sont bien gérés, un goût pour les efforts intellectuels sur d’autres terrains – introspection, humour, stratégie – et l’envie de travailler en classe quand l’enfant retournera à sa place, plus tard ou le lendemain.

Les relations qui s’établissent entre camarades dans les activités nécessitant de l’entraide, une collaboration, un travail d’équipe, se convertissent aisément en une « bonne ambiance » même dans les séquences scolaires les plus austères si le groupe vit ses journées d’une façon plus harmonieuse. De la même façon, l’enseignant qui aura occupé différents rôles tout au long des activités peut établir des contacts personnalisés, avec son effectif et réduit au minimum le risque de rejet que pourrait susciter sa personne cantonnée dans la seule fonction de dispensateur des savoirs, contrôleur des acquisitions et autre gendarme des infractions. C’est une forme différente d’utilisation des temps de classe que l’enseignant qui s’occupe de la totalité de son effectif – et pas seulement des enfants qui suivent – aura envie de mettre en place en lieu et place de séances de rattrapage qui laisseront sur la touche beaucoup d’enfants : ceux qui ont déjà compris et ceux qui même lors de ces séances n’y arrivent pas – n’ayant pas assez confiance en eux pour être simplement capable d’acquisition.

On voit bien que dans ce dernier cas, l’enseignant aurait profit à utiliser ceux qui savent pour aider les autres avec un profit double : il gagne du temps et des assistants, le savoir se fructifiant à s’utiliser. Le maître récupère ainsi beaucoup de marge de manœuvre mais cela ne peut se faire que dans une classe qui fonctionne suivant des principes de distribution des responsabilités dans une gestion collective de l’effort.

Une pédagogie de la réussite

Accueillir un enfant à l’école c’est, le plus souvent, l’accueillir en classe. Sur l’ensemble de ceux qui vont arriver en un moment donné, il ne manquera pas d’en trouver que les apprentissages vont mettre en difficulté ou qui ne pourront suivre, au même rythme que les autres, le programme prévu. Qu’est-ce que la classe, c’est-à-dire bien souvent son responsable, le maître, va se proposer de faire, de spécifique, concernant ces individus ?

Bien sûr, on peut commencer par éviter de stigmatiser ceux qui sont le plus en difficulté en adoptant quelques mesures simples : supprimer les notes, les classements dont on peut interroger l’utilité. Pour cela, il serait, sans doute, bien plus intéressant de définir tous les acquis possibles au niveau de cette classe et de mettre en place un programme suivi, appliqué à tous les enfants, de vérification de ces acquis. Sans cela il n’y a pas grand intérêt, de la mise en place de séances d’acquisition des points en question, pour chacun. Cela peut se faire dans des cases d’emploi du temps : « à la carte », où l’on offre différentes possibilités de travail personnel permettant à l’adulte de réellement consacrer du temps et de l’énergie à faire « un cours » à ceux qui en ont besoin. Avec la même organisation chaque fois que c’est possible. C’est-à-dire diviser la classe en groupes de niveau – par matière, car les niveaux peuvent s’avérer sensiblement différents d’une matière à l’autre, ce qui relativise les difficultés que chacun rencontre.

Ainsi le travail demandé sera plus approprié aux possibilités de chacun. Durant la séquence, rien n’empêchera de demander aux enfants qui ont le plus vite fini et qui savent faire, d’aider leurs camarades plus en difficulté. La démarche enrichira aussi bien les uns que les autres, car le savoir s’augmente de le faire passer – mieux maîtrisé, clarifié par le processus de transmission : excellent exercice pour celui qui s’y livre, donc pas du tout une perte de temps. Dans cette classe solidaire, cette opération pourrait ainsi se dérouler au profit de tous et en tout état de cause, la classe fonctionnera mieux car si on n’aide pas l’adulte responsable, il aura moins de temps et de souplesse pour faire avancer l’ensemble du groupe qui est bien la tâche qui lui incombe.

Mais cela ne suffira pas et même si la classe est bien orientée, de ce point de vue, la pression sociale restera forte et sans doute insupportable pour celui qui n’y arrive pas. Il faut trouver des moyens pour permettre à celui qui est toujours dans le cas de figure d’être aidé par les autres d’avoir des réussites qui ne sont dues qu’à lui. Pour cela, il ne faut pas limiter le champ des matières aux seules matières scolaires. Cela veut dire diversifier les centres d’intérêt. Ajouter aux apprentissages de bases, des médiations culturelles – sorties, enquêtes, correspondance – des productions – journaux, spectacles, rencontres sportives.

Si l’on accepte que tout ce qui se travaille avec les mains, les pieds et le corps, compte autant que l’intellect, et soit pris en compte dans les bilans de la classe, c’est-à-dire soit valorisé autant que le reste, alors certaines choses vont bouger dans la hiérarchie tacite de la classe, les mérites, les talents de nombreux enfants vont se retrouver mis en valeur pour le grand bien de tous car le statut de bon élève ne rend pas que des services à celui à qui on l’attribue. Cela ne peut se faire que si l’on refuse d’établir des hiérarchies sommaires du genre : « Le dessin ou le football, c’est bien joli mais ça ne vaut pas l’anglais»; si l’on met en jeu du travail d’équipe et que cela établit ou modifie les relations des enfants entre eux et avec la classe. Cela permet aussi de mettre en lumière que certains enfants sont de bons équipiers, ce qui n’est pas donné à tout le monde, notamment aux plus brillants ou aux plus fortes personnalités. Mais rien ne remplacera, de chercher chez chaque enfant là où il réussit, ce qu’il aime faire et prend plaisir à faire et de reconnaître que ce talent est essentiel. Pour lui, rien ne sera plus jamais comme avant, aucune route ne se retrouvera, automatiquement, barrée. L’enfant pourra, dans un second temps, sentir qu’il n’est pas un bon à rien, un incapable; il ne sera plus paralysé par les jugements des camarades, des maîtres et des parents. Il va essayer de se comporter autrement, il hésitera moins à se risquer davantage et quand il se sentira assez sûr de lui, il reprendra ce sur quoi il avait échoué ou ce sur quoi il n’avait pas osé entreprendre de peur d’échouer. Une fois cette façon de faire comprise par tous, la classe fonctionne et sous l’attention bienveillante mais aussi exigeante de l’enseignant, un groupe rôdé à cette tâche, récupère les enfants presque sans effort tant il s’agit avant tout d’une forme d’état d’esprit et d’une pratique satisfaisante pour tous.

Postulat neuvillois

Toute l’organisation de l’école devrait avoir pour but d’offrir à chacun un éventail aussi large que possible d’activités, donc des occasions de réussite, à partir desquels il aura la possibilité de vivre les situations d’apprentissage autrement.

Donner à la classe, la place qui lui revient et qui est essentielle, fondamentale, ne doit pas consister à la surévaluer ou encore à sous-estimer les autres domaines qui sont également indispensables à la vie de l’école et à l’équilibre des individus.

« Remplacer la discipline de caserne par celle de chantier», dit Fernand Oury. Pour des classes
où l’on produit autre chose que des textes qui restent enfermés dans des cahiers.

Imprimer des journaux, les échanger, correspondre avec d’autres classes, faire des enquêtes, s’organiser, discuter, voter, faire l’apprentissage de devenir autonomes, responsables.

Des classes qui ne devraient pas fonctionner de façon isolée dans l’école. Cela permettrait qu’un certain nombre d’activités, d’institutions de l’école soient reprises dans la classe, de même que les activités de la classe pourraient souvent avoir une influence sur le fonctionnement de l’école.

Il serait possible ainsi de gagner du temps ; la classe est plus facile à mettre en place, les acquisitions se complètent plus facilement d’une année sur l’autre parce que les séjours des enfants dans l’école se poursuivent sur plusieurs années.

Ce mode de scolarisation autorise aussi un fonctionnement de la classe plus centré sur les apprentissages scolaires dans la mesure où l’emploi du temps du reste de la journée offre toutes sortes d’activités manuelles, sportives ou culturelles.

« Les problèmes qu’un enfant pourra rencontrer dans la classe se trouveront relativisés. Du fait même qu’il saura par des réussites dans d’autres domaines que sa valeur n’est pas en cause, ses difficultés fondront comme neige au soleil », Françoise Dolto.

Postulat 2 : Chercher dans quel domaine un enfant est le plus « doué », lui permettre de le développer à satiété et constater qu’alors, il a progressé partout.

Quand un enfant arrive passablement dégoûté de la scolarité – ceux que Fernand Oury appelle les estropiés scolaires – c’est toujours parce qu’il est en échec dans ce domaine. Il s’ensuit une perte de confiance en lui-même qui affecte jusqu’à son désir d’apprendre. La scolarité est un tel enjeu social, familial, personnel que même si son entourage ne culpabilise pas l’enfant, il se sent un bon à rien, il n’a plus goût à rien.

Proposer à un enfant de faire autre chose que le domaine qui le met en difficulté, c’est ce que l’école ordinaire ne peut pas proposer. Cette bouée de sauvetage dont il a besoin, il ne la trouvera pas là et comme la société ne reconnaît rien d’autre que l’institution scolaire, la situation devient vite dramatique.

Seule la restauration de sa confiance en lui-même, que lui apporterait la réussite dans d’autres domaines, peut le tirer d’affaire mais la condition est que l’on ne fasse pas semblant, qu’il s’agisse d’une vraie réussite.

Si cet enfant et ses camarades savaient que l’on considère le journal, le théâtre, le football, comme des domaines aussi importants que les mathématiques ou le français, cela ferait une différence.

L’ensemble des domaines proposés serait également valorisé dans la place qu’ils occupent, la façon dont on en rend compte, à l’intérieur comme à l’extérieur des murs de l’école.

Justement parce qu’il s’agit d’enfants et que l’enjeu est d’importance, le matériel utilisé doit être aussi performant que celui de professionnels. Le soin apporté à la tactique, à la technique en football, aux costumes et au décor au théâtre, à la mise en page et aux thèmes abordés, dans le journal, doivent indiquer sans l’ombre d’un doute que la chose est faite sérieusement, suivant les règles de l’Art. Ce n’est qu’à ce prix que l’on pourra convaincre l’enfant que les réussites partielles qui peuvent être les siennes ont un sens, et lui, une valeur reconnue.

Alors, seulement, cette réussite fera que plus rien pour lui ne sera comme avant, et à partir de là, on pourra le faire travailler à nouveau, et avec succès, sur l’ensemble des autres domaines y compris ceux sur lesquels il était en échec avec quelques chances de se réhabiliter et cela peut même aller assez vite.


  1. Chaque vendredi, une réunion institutionnalisée rassemble enfants et adultes pour aborder les problèmes de vie quotidienne et de vie collective, notamment sur la base des remarques consignées dans le cahier de « râlage ».
  2. Principe d’un système déductif qui n’est ni une définition, ni un axiome et que l’on ne peut prendre pour fondement sans l’assentiment de l’auditeur.

Glossaire Techniques Freinet Pédagogie Institutionnelle

Geffard, P. (2015). Glossaire Techniques Freinet Pédagogie Institutionnelle (T.F.P.I.). Cliopsy, 14, 117-124. www.revuecliopsy.fr

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