Atelier parent-enfant : espace de co-creation pour une rencontre
Crédit photo via Unsplash : Jordan Whitt
Le contexte
Une fois par mois, le samedi matin, je viens chargée d’un caddy à roulette, de gros sacs en plastique zippés, remplis de matériel, matériaux et outils pour proposer une activité d’expérimentation et de création à des enfants ayant des troubles du spectre autistique, accompagnés d’un parent.
J’interviens pour une association de parents qui a ouvert une ludothèque, et qui propose à ses adhérents des ateliers mensuels parmi lesquels un atelier « d’art thérapie ».
Les guillemets ici ont toute leur importance car il ne s’agit pas d’art thérapie en tant que telle.
Pour mener à bien cet atelier, je m’appuie sur ma formation d’art thérapeute mais le cadre de cet atelier n’est pas thérapeutique. Il fait partie des possibilités de loisirs éducatifs proposées aux familles.
L’ enfant ne choisit pas de venir. Le parent s’inscrit avec son enfant, afin de partager un temps de loisirs en lien avec un de ses intérêts, et de l’ouvrir à de nouvelles possibilités cognitives, langagières, manuelles et relationnelles, d’expérimenter et de patouiller en dehors de la maison, dans l’espoir d’observer des modifications comportementales.
Mon approche se situe du côté du jeu de la créativité : comment le déclencher ? Le parent, l’enfant vont-ils jouer le jeu ? Les dispositifs invitent à soutenir la curiosité et l’exploration, à poursuivre le tissage de la relation parent-enfant et ce faisant, à permettre à l’enfant de vivre son enfance.
Le projet de l’atelier : le cadre
Le projet coconstruit avec l’équipe de l’association a pour objectifs de proposer des situations d’explorations sensorielles que les enfants et leurs parents pourront partager. Réunissant principalement des enfants non ou peu scolarisés, cet atelier est pensé de manière à permettre à chacun d’interagir ou pas avec les autres, d’avoir plein d’occasions d’échanger avec leur parent.
J’installe l’atelier de manière à susciter l’envie de s’y lancer, comme un buffet de desserts à recomposer soi-même.
Je pars d’une inspiration prise dans mes observations des vécus de la séance précédente, et je me relie à la création d’un artiste. Je me documente.
Je nourris ma propre sensibilité artistique également en expérimentant par moi-même, chez moi, me mettant ainsi dans un esprit d’ouverture à tous les possibles.
Nous sommes dans la ludothèque de l’association, un endroit propre, immaculé, le matériel de jeu est rangé dans des étagères à claire-voies afin de permettre l’accès en libre service.
Un réagencement préalable, la couverture des étagères par de grands pans de tissus est nécessaire. Les tables et les chaises sont redisposées dans l’espace, les fauteuils remisés ; en revanche un recoin aménagé de tapis et quelques jouets « premier âge » est conservé et devient une zone de repli. L’enfant peut à tout moment aller s’y retrouver, et jouer avec un jeu connu.
Lorsque l’enfant crée par l’intermédiaire de sa mère
Valérie, maman de deux enfants, est très investie dans le projet et la vie de l’association.
Férue de bricolage, elle s’est inscrite à l’atelier avec son fils, Hugo, 7 ans. Séduite par la présentation que j’en avais faite, elle a eu envie d’essayer. Elle est toutefois sceptique : son fils refuse toute invitation à entrer en contact avec les matières liquides, humides, il rejette la peinture, la terre… Il appréhende la sensation du « mouillé ».
Hugo est motivé par l’expédition que représente cette activité et surtout par le tour en ascenseur pour rejoindre la salle de l’association. Il se réjouit aussi à l’idée d’aller faire du toboggan dans le petit square du quartier, après le temps de l’atelier.
Le premier dispositif propose des flacons et bouteilles de différentes tailles et contenances, des bacs en plastiques pour explorer et jouer avec des couleurs liquides sans avoir à les toucher.
Hugo ne veut pas toucher ni prendre les bouteilles, il fait des va-et-vient entre la table où se déroule l’activité et le recoin de la ludothèque. Valérie, sa mère, le rappelle régulièrement. Je rappelle aux familles que ce temps est aussi un temps d’exploration proposé aux parents. Valérie se lance, tout en commentant ce qu’elle voit et ce qu’elle fait. Elle verse une couleur de peinture très liquide dans une grande barquette en plastique, puis une autre et fait bouger doucement la barquette : les couleurs se mélangent en créant des motifs. Elle clame sa surprise et son plaisir à voir apparaître les motifs colorés. Hugo, attiré par les exclamations, se rapproche et vient observer quelques instants le fond de la barquette. Son regard montre une attention et un intérêt pour ce qu’il se passe. Il demande : « encore ». Sa mère l’invite à choisir une nouvelle couleur, en l’incitant à nommer toutes celles disponibles. Une, puis une autre, sont versées dans la barquette… Hugo se rapproche alors, il fixe du regard les liquides colorés en train de se mélanger, il ralentit ses gestes, et abaisse le son de sa voix, il observe avec attention, à chaque fois, les effets produits.
Crédit photo : Markus Spiske via Unsplash
Des photos de ces mélanges éphémères sont prises, afin de constituer des traces sur lesquelles nous pourrons revenir par la suite ...Ou pas.
Je décide alors d’imprimer les photos prises et de les afficher sur un mur pour la prochaine séance afin qu’ils puissent se souvenir et faire le lien, pour ceux qui le souhaitent.
Le jeu de la mère ouvre l’espace de jeu de l’enfant
Bien qu’ayant refusé tout contact avec les matériaux et les outils proposés, Hugo est particulièrement présent lors du rangement et il aide avec empressement. Il répond volontiers au jeu proposé par sa mère autour de la nomination des couleurs, il me tend les flacons de peinture. Il va voir les autres participants : regarde ce qu’ils ont fait. Il est content, il anticipe sur la suite : le départ, la promesse de la descente en ascenseur, et le tour de toboggan dans le square.
Lorsque sa mère n’est pas disponible, Hugo vient accompagné de sa sœur, de son père, tous deux également investis dans l’activité, avec un plaisir certain pour sa sœur à utiliser ces matières.
Observation, régularité des ateliers et permanence du cadre
Au fur et à mesure des séances, Hugo semble plus rassuré. Il a établi quelques repères. En arrivant, Il me nomme et vient me voir pour me dire bonjour. Lors d’une séance, j’ai observé son attirance particulière pour les objets qui roulent, ce qui m’a amené à proposer des rouleaux pour peindre des cartons de déménagement. Il a tout de suite envie d’utiliser les rouleaux et de les tremper dans la peinture. Après avoir choisi sa couleur, il l’applique avec beaucoup d’attention sur la trace produite et beaucoup de plaisir dans le geste de roulé avant-arrière. Il est accompagné de sa maman qui le guide pour l’aider à recouvrir la surface. Une fois secs, ces cartons sont investis par Hugo comme un jeu de cubes géants puis avec sa mère en un totem décoré de miroirs adhésifs.
Par la suite, d’autres séances utilisant divers objets roulants dans la peinture lui permettent petit à petit de rentrer en contact avec la matière humide.
Entrer au contact de la matière
A la 6ème séance, Hugo expérimente la peinture sur sa main.
C’est donc six mois après la 1ère séance que Hugo s’intéressant particulièrement au rouleau à peindre, teste le rouleau sur sa main. Ce qui, pour la première fois, le fait rire et lui plaît.
Depuis lors, Hugo n’a plus cette appréhension du liquide, ni du mouillé. Il commence à montrer de la curiosité et du plaisir dans la découverte de nouveaux dispositifs proposés d’une séance à l’autre.
Où s’exprime la création ? Quel intérêt peut-elle présenter ?
La création en tant qu’avènement d’une nouvelle forme et qui suscite notre étonnement, est issue de cet espace de jeu potentiel ainsi que le définit D.W. Winnicott1. Ce témoignage nous montre que cet espace peut s’ouvrir dans l’expérimentation du parent, médiatisé par l’intervenant, et la matière (aire intermédiaire d’expérience). La création ne se joue pas tant dans les formes esthétiques produites que dans les émotions éprouvées et partagées dans les expérimentations.
La médiation permet un espace de création de nouvelles formes de relations.
A la fin de l’année d’ateliers, Valérie me confie son découragement quant à l’évolution de son fils. Je lui rappelle alors le changement d’attitude de Hugo : son plaisir à toucher, et être touché par la peinture. L’expression crispée de son visage se modifie alors en un sourire de contentement. Elle et son fils s’étaient rencontrés dans la peinture.
1D.W.Winnicott (1896-1971) : pédiatre et psychanalyste britannique. Il a écrit Jeu et réalité, l’espace potentiel, en 1971, traduit par Monod et Pontalis en 1975 chez Gallimard. Texte dans lequel il est question de l’origine de la créativité et où il développe notamment le concept d’aire potentielle de jeu et d’aire intermédiaire d’expérience.