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Les coins jeux en maternelle et la résolution des conflits

À l’école maternelle les jeux sont favorisés par un travail sur l’agencement de l’espace où des « coins » sont aménagés. C’est au sein de ceux-ci que les jeux symboliques prennent corps. Et dans les relations qui s’y tissent naissent souvent des conflits, qui s’y résolvent aussi.
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Média secondaire

Fiche réalisée en partenariat avec les

Les cahiers pédagogiques

 


En maternelle, une place importante est accordée aux jeux. Ceux-ci sont omniprésents dans les apprentissages et dans l’espace de la classe. On y trouve des coins destinés à un ou plusieurs jeux. 

Les autrices de l’article mettent ici en lumière la grande importance de l’aménagement de lieux propices au déroulement des jeux symboliques à l’école maternelle.  L’étude des conflits qui s’y déroulent permet de souligner la place des jeux dans le développement des enfants et la mise en place de compétences spécifiques à la résolution collaborative de problèmes.

Elles rappellent également l’aspect coopératif qui la prépare et y préside. Elles insistent sur la capacité des très jeunes enfants de trouver eux-mêmes une issue aux inévitables conflits quotidiens, dont elles soulignent l’intérêt. 


 

Les professionnels de la petite enfance s’accordent à dire que les jeux symboliques sont cruciaux pour le développement de l’enfant. Ils lui permettent, en « faisant semblant », de reproduire des comportements qu’il a vus et stockés en mémoire. Les enfants symbolisent ainsi des objets en les remplaçant par d’autres (par exemple, une banane en guise de téléphone), puis apprennent à jouer des rôles sociaux plus complexes (par exemple, la maitresse), en s’adaptant aux comportements des autres acteurs du jeu. C’est ainsi que transparaissent dans le jeu les capacités des enfants à s’accorder, s’ajuster ou encore s’aligner lorsqu’ils interagissent. Les enfants créent, dans un lieu dédié, un cadre d’interaction propre à leur jeu symbolique ou d’imitation.

La place du jeu symbolique

Les programmes de 2015 pour la maternelle ont été bien accueillis par le monde enseignant, notamment en ce qui concerne le respect des rythmes de l’enfant (rythme journalier et rythme des apprentissages en accord avec le développement cognitif de l’enfant). Dans les préconisations Éduscol, les jeux symboliques sont présentés comme des lieux de développement et d’apprentissages divers. Il est mentionné que lors des jeux symboliques, les élèves font usage de compétences relevant notamment de la « théorie de l’esprit » (que l’on définit comme la capacité à attribuer à l’autre des états mentaux, comme des pensées ou des émotions). Dans une classe de maternelle, les coins jeux sont très prisés par les élèves : coin voitures, coin poupées, coin constructions, coin docteur, coin cuisine, etc.

Les coins jeux permettent une plus grande liberté que d’autres lieux de la classe : on peut se déplacer et choisir ce que l’on y fait.

Paradoxalement, ils apparaissent également comme des lieux privilégiés d’émergence de conflits entre élèves. Une étude préalable montre (sans surprise) que plus il y a d’élèves dans un coin jeux, plus les conflits sont nombreux.

Les élèves déploient différentes stratégies pour résoudre ces conflits. La résolution peut être interne, c’est-à-dire que les enfants trouvent eux-mêmes une issue au conflit dans lequel ils sont engagés. Elle peut également être externe : dans ce cas, il y a un recours à l’adulte, généralement après que les élèves ont pleuré ou ont eu recours à de la violence physique (coups, morsures). La résolution interne requiert des compétences de communication supérieures aux autres types de résolution. Ainsi, la résolution interne est privilégiée par les élèves « experts », pour qui l’adulte est le dernier recours.

Certains élèves, qui ont pourtant un niveau très faible en langage, sont néanmoins capables de développer des stratégies expertes de résolution interne. Citons l’exemple d’une élève ayant très peu de vocabulaire mais qui, lorsqu’elle souhaite garder la poupée qu’un autre élève convoite, utilise l’orientation de son corps et différents gestes : elle se fait ainsi comprendre de son camarade et conserve sa poupée. Cette stratégie étant très efficace, elle la reproduit de nombreuses fois. Dans les (rares) cas où cette même enfant (utilisant la même stratégie) n’obtient pas le résultat escompté, elle pleure et crie, alertant ainsi l’adulte, qui intervient alors pour résoudre le conflit. La réussite de cette tâche de résolution de conflit (sans l’aide de l’adulte) n’est donc pas conditionnée par un haut niveau de langage. Ainsi les compétences communicatives déployées par les enfants sont d’un autre ordre que purement langagier.

Les tout-petits plus impliqués

Les enfants les plus jeunes (enfants nés après septembre) sont plus souvent impliqués dans les conflits. Ils résolvent rarement le conflit de façon interne. Ce résultat pourrait être expliqué par le niveau de développement de la théorie de l’esprit. En effet, autour de 4 ans émerge la capacité d’attribution d’états mentaux de second ordre, c’est-à-dire la faculté de se représenter non plus seulement la pensée de l’autre, mais la pensée de l’autre à propos d’une pensée.

Ainsi, par exemple, on peut imaginer que l’enfant qui ne dispose pas encore de cette compétence conceptualisera le conflit sous une forme de type « Hugo veut la poupée que j’ai dans les mains » (théorie de l’esprit de premier ordre). Alors que l’enfant accédant à une pensée de second ordre pourra par exemple comprendre « Hugo ne sait pas que je suis en colère quand il me prend cette poupée pour laquelle j’ai moi-même dû attendre mon tour », et sera alors plus à même de proposer un compromis ou une alternative adaptée.

Pour les plus jeunes enfants, ces jeux entre pairs sont particulièrement profitables, car ils ne seront en mesure de mettre en œuvre cette pensée de second ordre que lorsqu’ils seront en moyenne section.

De l’intérêt des conflits dans les coins jeux

Les adultes de la classe souhaitent généralement voir le nombre de conflits en classe diminuer, afin de veiller à la sérénité du climat de classe. Ce type de cadre général est nécessaire dans le contexte du groupe classe, en raison du nombre important d’élèves et de la présence de « petits », qui ont besoin de la régulation voire de la protection de l’adulte. Les conflits peuvent être évités par l’augmentation du ratio du nombre de jeux par enfant.

L’agrandissement des espaces de jeu ou l’augmentation du nombre de jouets peuvent être proposés. On rencontre alors des limitations matérielles : les salles de classe sont souvent trop petites et les budgets insuffisants (voir, par exemple, le prix d’une poupée sur un catalogue d’un fournisseur des marchés publics). Dans de nombreuses classes de maternelle, on trouve des étiquettes ou affichettes qui permettent de réduire le nombre d’enfants dans chaque coin jeux.

Il existe pourtant des aspects positifs dans les conflits. Ceux-ci constituent en effet une première approche de la résolution de problèmes, en poussant les élèves à imaginer et à tester différentes solutions. Le conflit peut donc être appréhendé comme une opportunité pour les apprentissages. Savoir résoudre les conflits devient alors une compétence de l’élève, qu’elle soit acquise de façon informelle auprès de ses pairs, ou présentée de façon implicite ou explicite par l’enseignant qui propose des règles de vie dont les élèves s’emparent.

Un enjeu plus large : la résolution de problèmes

Le jeu d’imitation et la résolution de conflits sont des activités hautement coopératives. L’importance de la collaboration entre élèves est mise en exergue par le PISA 2015 (Programme international pour le suivi des acquis des élèves). Pour l’item « résolution collaborative de problèmes », évalué en classe de 4e, la France fait partie des pays dont la performance est inférieure à la moyenne de l’OCDE (score : 494), avec un écart significatif entre filles et garçons (vingt-neuf points en faveur des filles). Or en petite section, on ne trouve pas d’effet du genre sur les conflits ou leur résolution.

Il semble opportun de maintenir, dans notre système scolaire, les pratiques (telles que le jeu) qui constituent les prémices de ces activités collaboratives, en les valorisant tant chez les garçons que chez les filles dès le plus jeune âge.

Cette étude confirme les postulats des programmes de 2015 : les compétences communicationnelles et collaboratives (qui passent notamment par le jeu) ne doivent pas être éclipsées par le renforcement trop prématuré des apprentissages disciplinaires.

Les situations de jeu permettent l’émergence et le développement du langage et de la cognition sociale. Les enfants y mettent en place des stratégies particulières de communication et d’interaction : ces stratégies sont mobilisées à la fois pour jouer, pour se disputer ou mettre fin à un conflit. Les enfants semblent développer des compétences inhérentes à la théorie de l’esprit, en plus des compétences d’abstraction et d’imitation. La capacité à résoudre des conflits sans recours à l’adulte pourrait refléter cet apprentissage, particulièrement important pour les interactions sociales.


Article publié dans les « Cahiers Pédagogiques » n°569 « enseigner la créativité »