Cycles et déraillement
Il est parfois des situations étonnantes, dans lesquelles la contradiction s’installe et se vit au quotidien des habitudes. Le fonctionnement de l‘école en cycles d’apprentissages me semble être de celles-ci. En 1989, lorsque la loi d’orientation avait acté la mise en place de cycles à l’école maternelle et élémentaire, mettant l’enfant au centre du système éducatif, on ne pouvait que se réjouir, d’une organisation permettant aux enfants de pouvoir davantage progresser à leur rythme. L’apprentissage de compétences de base ne se validant pas chaque année, mais s’étalant sur une période de trois ans, donnant ainsi la possibilité aux élèves, en fonction de leurs réalités et de leurs besoins, de prendre plus ou moins de temps pour apprendre. Au moment de la mise en place de cette organisation en cycles, je me revoie dire aux parents d’élèves, que nous étions en train de vivre une véritable révolution dans le fonctionnement de l’école. Mais curieusement, la mise en place des cycles ne modifia pas l’organisation administrative par classe, avec la Grande Section de maternelle, le CP, le CE1, le CE2, le CM1, le CM2… chacun de ces niveaux ayant un programme précis. Elle aurait dû avoir pour conséquence de ne plus se référer à des classes annuelles, mais à une réorganisation du temps sur trois ans.
Ce fonctionnement étrange, faisant cohabiter deux organisations antinomiques, me paraît générateur de faux semblants. J’avais évoqué cette incohérence avec une Inspectrice de l’Education nationale : « Cela ne vous semble-t-il pas incompatible que l’on définisse des compétences de fin de cycle, avec une échéance de trois ans et la possibilité pour les élèves d’avancer à un rythme différent, alors que les instructions officielles fixent un programme détaillé pour chaque année en fonction du niveau de classe ? Cette situation ne met-elle pas enfants et enseignants dans une position ambigüe ?» Sa réponse me parut dans la logique de cette ambiguïté : « Ce ne sont que des suggestions… »
Je me souviens d’un dessin humoristique représentant le propriétaire d’une charrette tirée par des chevaux. Il achetait une automobile, qu’il attelait ensuite à ses chevaux. L’organisation classe/cycle ne relève-t-elle pas, elle aussi, d’une forme de logique de l’absurde ?
On peut s’interroger sur cette situation faisant cohabiter deux systèmes opposés. L’inconscient collectif lié à « l’école de Jules Ferry » n’a-t-il pas tellement imprégné la société, que l’on ne pouvait envisager un fonctionnement rompant totalement avec une organisation par classes, qui a façonné notre histoire et nos références ? La réflexion sur la place de l’enfant dans le système scolaire et le temps des apprentissages reste d’actualité.